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Oui, grand Dieu! tu le veux, tu permets que je voie...
Dieu, ranime mes sens trop faibles pour ma joie !
Madame... Nérestan... soutiens-moi, Chatillon...
Nérestan, si je dois vous nommer de ce nom,
Avez-vous dans le sein la cicatrice heureuse
Du fer dont à mes yeux une main furieuse....

NÉRESTAN.

Oui, seigneur, il est vrai.

LUSIGNAN.

Dieu juste! heureux moments!

NÉRESTAN, se jetant à genoux.

Ah! seigneur! ah! Zaïre!

LUSIGNAN.

Approchez, mes enfants.

NÉRESTAN.

Moi, votre fils!

ZAÏRE.

Seigneur !

LUSIGNAN.

Heureux jour qui m'éclaire !

Ma fille, mon cher fils! embrassez votre père.

CHATILLON.

Que d'un bonheur si grand mon cœur se sent toucher !

LUSIGNAN.

De vos bras, mes enfants, je ne puis m'arracher.
Je vous revois enfin, chère et triste famille,

Mon fils, digne héritier... vous... hélas ! vous, ma fille,
Dissipez mes soupçons, ôtez-moi cette horreur,
Ce trouble qui m'accable au comble du bonheur.
Toi qui seul as conduit sa fortune et la mienne,
Mon Dieu qui me la rends, me la rends-tu chrétienne ?
Tu pleures, malheureuse, et tu baisses les yeux !
Tu te tais! je t'entends! ô crime! ô justes cieux!

ZAÏRE.

Je ne puis vous tromper: sous les lois d'Orosmane... Punissez votre fille... elle était musulmane.

LUSIGNAN.

Que la foudre en éclats ne tombe que sur moi !
Ah! mon fils! à ces mots j'eusse expiré sans toi.
Mon Dieu! j'ai combattu soixante ans pour ta gloire,
J'ai vu tomber ton temple et périr ta mémoire ;
Dans un cachot affreux abandonné vingt ans,
Mes larmes t'imploraient pour mes tristes enfants:
Et lorsque ma famille est par toi réunie,

Quand je trouve une fille, elle est ton ennemie !
Je suis bien malheureux... C'est ton père, c'est moi,
C'est ma seule prison qui t'a ravi ta foi.

Ma fille, tendre objet de mes dernières peines,

Songe au moins, songe au sang qui coule dans tes veines :
C'est le sang de vingt rois, tous chrétiens comme moi,
C'est le sang des héros, défenseurs de ma loi;
C'est le sang des martyrs... O fille encor trop chère !
Connais-tu ton destin ? sais-tu quelle est ta mère ?
Sais-tu bien qu'à l'instant que son flanc mit au jour
Ce triste et dernier fruit d'un malheureux amour,
Je la vis massacrer par la main forcenée,
Par la main des brigands à qui tu t'es donnée !
Tes frères, ces martyrs égorgés à mes yeux,

T'ouvrent leurs bras sanglants, tendus du haut des cieux !
Ton Dieu que tu trahis, ton Dieu que tu blasphèmes,
Pour toi, pour l'univers, est mort en ces lieux mêmes;
En ces lieux où mon bras le servit tant de fois,
En ces lieux où son sang te parle par ma voix.
Vois ces murs, vois ce temple envahi par tes maîtres :
Tout annonce le Dieu qu'ont vengé tes ancêtres.
Tourne les yeux, sa tombe est près de ce palais;
C'est ici la montagne où, lavant nos forfaits,
Il voulut expirer sous les coups de l'impie;
C'est là que de sa tombe il rappela sa vie.
Tu ne saurais marcher dans cet auguste lieu,
Tu n'y peux faire un pas, sans y trouver ton Dieu;

Et tu n'y peux rester sans renier ton père,

Ton honneur qui te parle, et ton Dieu qui t'éclaire.
Je te vois dans mes bras, et pleurer, et frémir;
Sur ton front pâlissant Dieu met le repentir:
Je vois la vérité dans ton cœur descendue ;
Je retrouve ma fille après l'avoir perdue;
Et je reprends ma gloire et ma félicité
En dérobant mon sang à l'infidélité.
NÉRESTAN.

Je revois donc ma sœur !... Et son âme...

ZAÏRE.

Ah mon père !

Cher auteur de mes jours, parlez, que dois-je faire ?

LUSIGNAN.

M'ôter, par un seul mot, ma honte et mes ennuis,
Dire: "Je suis chrétienne."

ZAÏRE.

Oui... seigneur... je le suis.

LUSIGNAN.

Dieu, reçois son aveu du sein de ton empire!

SCÈNE IV.

ZAÏRE, LUSIGNAN, CHATILLON, NÉRESTAN,

CORASMIN.

CORASMIN.

Madame, le soudan m'ordonne de vous dire
Qu'à l'instant de ces lieux il faut vous retirer,
Et de ces vils chrétiens surtout vous séparer.
Vous, Français, suivez-moi: de vous je dois répondre.

CHATILLON.

Où sommes-nous, grand Dieu! Quel coup vient nous

confondre !

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O vous que je n'ose nommer,

Jurez-moi de garder un secret si funeste.

ZAÏRE.

Je vous le jure.

LUSIGNAN.

Allez, le ciel fera le reste.

FIN DU SECOND ACTE

39

ACTE III.

SCÈNE I.

OROSMANE, CORASMIN.

OROSMANE.

Vous étiez, Corasmin, trompé par vos alarmes :
Non, Louis contre moi ne tourne point ses armes ;
Les Français sont lassés de chercher désormais
Des climats que pour eux le destin n'a point faits;
Ils n'abandonnent point leur fertile patrie,
Pour languir aux déserts de l'aride Arabie,

Et venir arroser de leur sang odieux

Ces palmes, que pour nous Dieu fait croître en ces lieux.
Ils couvrent de vaisseaux la mer de la Syrie.
Louis, des bords de Chypre, épouvante l'Asie ;
Mais j'apprends que ce roi s'éloigne de nos ports;
De la féconde Egypte il menace les bords:
J'en reçois à l'instant la première nouvelle ;
Contre les Mamelucs son courage l'appelle:
Il cherche Méledin, mon secret ennemi;
Sur leurs divisions mon trône est affermi.
Je ne crains plus enfin l'Egypte ni la France.
Nos communs ennemis cimentent ma puissance,
Et, prodigues d'un sang qu'ils devraient ménager,
Prennent en s'immolant le soin de me venger.
Relâche ces chrétiens, ami, je les délivre ;

Je veux plaire à leur maître, et leur permets de vivre ;
Je veux que sur la mer on les mène à leur roi,
Que Louis me connaisse, et respecte ma foi.

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