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Tout semble abandonner tes sacrés étendards;
Et l'enfer, couvrant tout de ses vapeurs funèbres,
Sur les
yeux les plus saints a jeté ses ténèbres
Lui seul, invariable et fondé sur la foi,

Ne cherche, ne regarde, et n'écoute que toi;
Et, bravant du démon l'impuissant artifice,
De la religion soutient tout l'édifice.

Grand Dieu, juge ta cause, et déploie aujourd'hui
Ce bras, ce même bras qui combattoit pour lui
Lorsque des nations à sa perte animées

Le Rhin vit tant de fois disperser les armées.
Des mêmes ennemis je reconnois l'orgueil;
Ils viennent se briser contre le même écueil :
Déjà, rompant partout leurs plus fermes barrières,
Du débris de leurs forts ils couvrent ses frontières.
Tu lui donnes un fils prompt à le seconder,
Qui sait combattre, plaire, obéir, commander;
Un fils qui, comme lui, suivi de la victoire,
Semble à gagner son cœur borner toute sa gloire;
Un fils à tous ses vœux avec amour soumis,
L'éternel désespoir de tous ses ennemis :
Pareil à ces esprits que ta justice envoie,
Quand son roi lui dit : Pars, il s'élance avec joie;
Du tonnerre vengeur s'en va tout embraser,
Et, tranquille à ses pieds, revient le déposer.

Mais, tandis qu'un grand roi venge ainsi mes injures, Vous qui goûtez ici des délices si pures,

S'il permet à son cœur un moment de repos,
A vos jeux innocens appelez ce héros;
Retracez-lui d'Esther l'histoire glorieuse,
Et sur l'impiété la foi victorieuse.

Et vous, qui vous plaisez aux folles passions
Qu'allument dans vos cœurs les vaines fictions,
Profanes amateurs de spectacles frivoles,
Dont l'oreille s'ennuie au son de mes paroles,
Fuyez de mes plaisirs la sainte austérité :
Tout respire ici Dieu, la paix, la vérité.

ESTHER.

TRAGÉDIE TIRÉE DE L'ÉCRITURE SAINTE.

ACTE PREMIER.

Le théâtre représente l'appartement d'Esther.

SCÈNE I. - ESTHER, ÉLISE.

ESTHER.

Est-ce toi, chère Élise? O jour trois fois heureux!
Que béni soit le ciel qui te rend à mes vœux,
Toi qui, de Benjamin comme moi descendue,
Fus de mes premiers ans la compagne assidue,
Et qui d'un même joug souffrant l'oppression,
M'aidois à soupirer les malheurs de Sion!
Combien ce temps encore est cher à ma mémoire!
Mais toi, de ton Esther, ignorois-tu la gloire?
Depuis plus de six mois que je te fais chercher,
Quel climat, quel désert a donc pu te cacher?
ÉLISE.

Au bruit de votre mort justement éplorée,
Du reste des humains je vivois séparée,
Et de mes tristes jours n'attendois que la fin,
Quand tout à coup, madame, un prophète divin:
C'est pleurer trop longtemps une mort qui t'abuse.
Lève-toi, m'a-t-il dit, prends ton chemin vers Suse.
Là tu verras d'Esther la pompe et les honneurs,
Et sur le trône assis le sujet de tes pleurs.
Rassure, ajouta-t-il, tes tribus alarmées,
Sion: le jour approche où le dieu des armées
Va de son bras puissant faire éclater l'appui;

Et le cri de son peuple est monté jusqu'à lui. »
Il dit et moi, de joie et d'horreur pénétrée,
Je cours. De ce palais j'ai su trouver l'entrée.
O spectacle! O triomphe admirable à mes yeux,
Digne en effet du bras qui sauva nos aïeux!
Le fier Assuérus couronne sa captive,

Et le Persan superbe est aux pieds d'une Juive!
Par quels secrets ressorts, par quel enchaînement
Le ciel a-t-il conduit ce grand événement?

ESTHER.

Peut-être on t'a conté la fameuse disgrâce
De l'altière Vasthi, dont j'occupe la place,
Lorsque le roi, contre elle enflammé de dépit,
La chassa de son trône ainsi que de son lit.
Mais il ne put sitôt en bannir la pensée :
Vasthi régna longtemps dans son âme offensée.
Dans ses nombreux États il fallut donc chercher
Quelque nouvel objet qui l'en pût détacher.
De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves coururent:
Les filles de l'Égypte à Suse comparurent;
Celles même du Parthe et du Scythe indompté
Y briguèrent le sceptre offert à la beauté.
On m'élevoit alors, solitaire et cachée,
Sous les yeux vigilans du sage Mardochée :
Tu sais combien je dois à ses heureux secours.
La mort m'avoit ravi les auteurs de mes jours;
Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
Me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère.
Du triste état des Juifs jour et nuit agité,
Il me tira du sein de mon obscurité;

Et, sur mes foibles mains fondant leur délivrance,
Il me fit d'un empire accepter l'espérance
A ses desseins secrets tremblante j'obéis:
Je vins; mais je cachai ma race et mon pays.
Qui pourroit cependant t'exprimer les cabales
Que formoit en ces lieux ce peuple de rivales,
Qui toutes, disputant un si grand intérêt,
Des yeux d'Assuérus attendoient leur arrêt?

Chacune avoit sa brigue et de puissans suffrages:
L'une d'un sang fameux vantoit les avantages;
L'autre, pour se parer de superbes atours
Des plus adroites mains empruntoit le secours;
Et moi, pour toute brigue et pour tout artifice,
De mes larmes au ciel j'offrois le sacrifice.
Enfin, on m'annonça l'ordre d'Assuérus.
Devant ce fier monarque, Élise, je parus.

Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puissantcs?
Il fait que tout prospère aux âmes innocentes,
Tandis qu'en ses projets l'orgueilleux est trompé.
De mes foibles attraits le roi parut frappé :
Il m'observa longtemps dans un sombre silence;
Et le ciel, qui pour moi fit pencher la balance
Dans ce temps-là sans doute agissoit sur son cœur.
Enfin, avec des yeux où régnoit la douceur :
« Soyez reine, dit-il; et, dès ce moment même,
De sa main sur mon front posa son diadème.
Pour mieux faire éclater sa joie et son amour,
Il combla de présens tous les grands de sa cour;
Et même ses bienfaits, dans toutes ses provinces,
Invitèrent le peuple aux noces de leurs princes.

Hélas! durant ces jours de joie et de festins,
Quelle étoit en secret ma honte et mes chagrins!
Esther, disois-je, Esther dans la pourpre est assise,
La moitié de la terre à son sceptre est soumise,
Et de Jérusalem l'herbe cache les murs,
Sion, repaire affreux de reptiles impurs

Voit de son temple saint les pierres dispersécs,
Et du Dieu d'Israël les fêtes sont cessées!

ÉLISE.

N'avez-vous point au roi confié vos ennuis?

ESTHER.

Le roi, jusqu'à ce jour, ignore qui je suis :
Celui par qui le ciel règle ma destinée

Sur ce secret encor tient ma langue enchaînéc.
ÉLISE.

Mardochée? Hé! peut-il approcher de ces lieux?

ESTHER.

Son amitié pour moi le rend ingénieux.
Absent je le consulte, et ses réponses sages
Pour venir jusqu'à moi trouvent mille passages :
Un père a moins de soin du salut de son fils.
Déjà même, déjà, par ses secrets avis,
J'ai découvert au roi les sanglantes pratiques
Que formoient contre lui deux ingrats domestiques.
Cependant mon amour pour notre nation

A rempli ce palais de filles de Sion,
Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées,
Sous un ciel étranger, comme moi, transplantées.
Dans un lieu séparé de profanes témoins,

Je mets à les former mon étude et mes soins
Et c'est là que, fuyant l'orgueil du diadème,
Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même,
Aux pieds de l'Eternel je viens m'humilier,

Et goûter le plaisir de me faire oublier.
Mais à tous les Persans je cache leurs familles.
Il faut les appeler. Venez, venez, mes filles,
Compagnes autrefois de ma captivité,

De l'antique Jacob jeune postérité.

SCÈNE II. ESTHER, ÉLISE, LE CHOEUR.

UNE ISRAÉLITE, chantant derrière le théâtre.
Ma sœur, quelle voix nous appelle?

UNE AUTRE.

J'en reconnois les agréables sons :

C'est la reine.

TOUTES DEUX.

Courons, mes sœurs, obéissons.

La reine nous appelle :

Allons, rangeons-nous auprès d'elle.

TOUT LE CHOEUR, entrant sur la scène par plusieurs endroits

différens.

La reine nous appelle :

Allons, rangeons-nous auprès d'elle.

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