Que vous importe, ô dieux, sa joie ou son dépit? Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire?
Non, je n'ai pas bien dit tout ce qu'il lui faut dire: Ma colère à ses yeux n'a paru qu'à demi; Elle ignore à quel point je suis son ennemi. Retournons-y. Je veux la braver à sa vue, Et donner à ma haine une libre étendue. Viens voir tous ses attraits, Phoenix, humiliés. Allons.
Allez, seigneur, vous jeter à ses pieds: Allez, en lui jurant que votre âme l'adore, A de nouveaux mépris l'encourager encore.
Je le vois bien, tu crois que prêt à l'excuser Mon cœur court après elle, et cherche à s'apaiser.
Vous aimez : c'est assez.
Qui me hait d'autant plus que mon amour la flatte? Sans parens, sans amis, sans espoir que sur moi? Je puis perdre son fils, peut-être je le doi; Étrangère.... que dis-je ? esclave dans l'Épire, Je lui donne son fils, mon âme, mon empire; Et je ne puis gagner dans son perfide cœur D'autre rang que celui de son persécuteur? Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine ; Il faut bien une fois justifier sa haine;
J'abandonne son fils. Que de pleurs vont couler ! De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler ! Quel spectacle pour elle aujourd'hui se dispose! Elle en mourra, Phoenix, et j'en serai la cause. C'est lui mettre moi-même un poignard dans le sein.
Et pourquoi donc en faire éclater le dessein? Que ne consultiez-vous tantôt votre foiblesse ?
Je t'entends. Mais excuse un reste de tendresse. Crains-tu pour ma colère un si foible combat? D'un amour qui s'éteint c'est le dernier éclat. Allons. A tes conseils, Phoenix, je m'abandonne. Faut-il livrer son fils? faut-il voir Hermione?
Oui, voyez-la, seigneur; et, par des vœux soumis, Protestez-lui....
Faisons tout ce que j'ai promis.
Modérez donc, seigneur, cette fureur extrême : Je ne vous connois plus, vous n'êtes plus vous-même. Souffrez....
Non, tes conseils ne sont plus de saison,
Pylade; je suis las d'écouter la raison.
C'est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice; Il faut que je l'enlève, ou bien que je périsse. Le dessein en est pris ; je le veux achever :
Hé bien, il la faut enlever;
J'y consens. Mais songez cependart où vous êtes : Que croira-t-on de vous à voir ce que vous faites? Dissimulez: calmez ce transport inquiet;
Commandez à vos yeux de garder le secret. Ces gardes, cette cour, l'air qui vous environne, Tout dépend de Pyrrhus, et surtout d'Hermione. A ses regards surtout cachez votre courroux. O dieux ! en cet état pourquoi la cherchiez-vous ?
Que sais-je ? De moi-même étois-je alors le maître ? La fureur m'emportoit, et je venois peut-être Menacer à la fois l'ingrate et son amant.
Et quel étoit le fruit de cet emportement?
Et quelle âme, dis-moi, ne seroit éperdue Du coup dont ma raison vient d'être confondue ? Il épouse, dit-il, Hermione demain;
Il veut, pour m'honorer, la tenir de ma main. Ah! plutôt cette main dans le sang du barbare...
Vous l'accusez, seigneur, de ce destin bizarre: Cependant, tourmenté de ses propres desseins, Il est peut-être à plaindre autant que je vous plains.
Non, non ; je le connois, mon désespoir le flatte ; Sans moi, sans mon amour, il dédaignoit l'ingrate; Ses charmes jusque-là n'avoient pu le toucher : Le cruel ne la prend que pour me l'arracher. Ah dieux ! c'en étoit fait: Hermione gagnée Pour jamais de sa vue alloit être éloignée; Son cœur, entre l'amour et le dépit confus, Pour se donner à moi n'attendoit qu'un refus ; Ses yeux s'ouvroient, Pylade; elle écoutoit Oreste,. Lui parloit, le plaignoit.... Un mot eût fait le reste.
Hé quoi ! ce courroux enflammé
Jamais il ne fut plus aimé.
Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l'auroit accordée, Qu'un prétexte tout prêt ne l'eût pas retardé ? M'en croirez-vous? Lassé de ses trompeurs attraits, Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais.
Quoi ! votre amour se veut charger d'une furie Qui vous détestera, qui, toute votre vie, Regrettant un hymen tout prêt à s'achever, Voudra....
C'est pour cela que je veux l'enlever.
Tout lui riroit, Pylade; et moi, pour mon partage, Je n'emporterois donc qu'une inutile rage? J'irois loin d'elle encor tâcher de l'oublier; Non, non ; à mes tourmens je veux l'associer.
C'est trop gémir tout seul. Je suis las qu'on me plaigne, Je prétends qu'à mon tour l'inhumaine me craigne, Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés, Me rendent tous les noms que je leur ai donnés.
Voilà donc le succès qu'aura votre ambassade : Oreste ravisseur !
Et qu'importe, Pylade?
Quand nos États vengés jouiront de mes soins, L'ingrate de mes pleurs jouira-t-elle moins? Et que me servira que la Grèce m'admire, Tandis que je serai la fable de l'Épire?
Que veux-tu ? Mais, s'il faut ne te rien déguiser, Mon innocence commence à me peser.
Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance Laisse le crime en paix et poursuit l'innocence.
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