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Que vous importe, ô dieux, sa joie ou son dépit? Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire?

PYRRHUS.

Non, je n'ai pas bien dit tout ce qu'il lui faut dire:
Ma colère à ses yeux n'a paru qu'à demi;
Elle ignore à quel point je suis son ennemi.
Retournons-y. Je veux la braver à sa vue,
Et donner à ma haine une libre étendue.
Viens voir tous ses attraits, Phoenix, humiliés.
Allons.

PHOENIX.

Allez, seigneur, vous jeter à ses pieds:
Allez, en lui jurant que votre âme l'adore,
A de nouveaux mépris l'encourager encore.

PYRRHUS.

Je le vois bien, tu crois que prêt à l'excuser
Mon cœur court après elle, et cherche à s'apaiser.

PHOENIX.

Vous aimez : c'est assez.

PYRRHUS.

Moi l'aimer? une ingrate

Qui me hait d'autant plus que mon amour la flatte?
Sans parens, sans amis, sans espoir que sur moi?
Je puis perdre son fils, peut-être je le doi;
Étrangère.... que dis-je ? esclave dans l'Épire,
Je lui donne son fils, mon âme, mon empire;
Et je ne puis gagner dans son perfide cœur
D'autre rang que celui de son persécuteur?
Non, non, je l'ai juré, ma vengeance est certaine ;
Il faut bien une fois justifier sa haine;

J'abandonne son fils. Que de pleurs vont couler !
De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler !
Quel spectacle pour elle aujourd'hui se dispose!
Elle en mourra, Phoenix, et j'en serai la cause.
C'est lui mettre moi-même un poignard dans le sein.

PHOENIX.

Et pourquoi donc en faire éclater le dessein?
Que ne consultiez-vous tantôt votre foiblesse ?

PYRRHUS.

Je t'entends. Mais excuse un reste de tendresse.
Crains-tu pour ma colère un si foible combat?
D'un amour qui s'éteint c'est le dernier éclat.
Allons. A tes conseils, Phoenix, je m'abandonne.
Faut-il livrer son fils? faut-il voir Hermione?

PHOENIX.

Oui, voyez-la, seigneur; et, par des vœux soumis, Protestez-lui....

PYRRHUS.

Faisons tout ce que j'ai promis.

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I-ORESTE, PYLADE

PYLADE.

Modérez donc, seigneur, cette fureur extrême :
Je ne vous connois plus, vous n'êtes plus vous-même.
Souffrez....

ORESTE.

Non, tes conseils ne sont plus de saison,

Pylade; je suis las d'écouter la raison.

C'est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice;
Il faut que je l'enlève, ou bien que je périsse.
Le dessein en est pris ; je le veux achever :

Oui, je le veux

PYLADE.

Hé bien, il la faut enlever;

J'y consens. Mais songez cependart où vous êtes :
Que croira-t-on de vous à voir ce que vous faites?
Dissimulez: calmez ce transport inquiet;

Commandez à vos yeux de garder le secret.
Ces gardes, cette cour, l'air qui vous environne,
Tout dépend de Pyrrhus, et surtout d'Hermione.
A ses regards surtout cachez votre courroux.
O dieux ! en cet état pourquoi la cherchiez-vous ?

ORESTE.

Que sais-je ? De moi-même étois-je alors le maître ? La fureur m'emportoit, et je venois peut-être Menacer à la fois l'ingrate et son amant.

PYLADE.

Et quel étoit le fruit de cet emportement?

ORESTE.

Et quelle âme, dis-moi, ne seroit éperdue
Du coup dont ma raison vient d'être confondue ?
Il épouse, dit-il, Hermione demain;

Il veut, pour m'honorer, la tenir de ma main.
Ah! plutôt cette main dans le sang du barbare...

PYLADE.

Vous l'accusez, seigneur, de ce destin bizarre:
Cependant, tourmenté de ses propres desseins,
Il est peut-être à plaindre autant que je vous plains.

ORESTE.

Non, non ; je le connois, mon désespoir le flatte ;
Sans moi, sans mon amour, il dédaignoit l'ingrate;
Ses charmes jusque-là n'avoient pu le toucher :
Le cruel ne la prend que pour me l'arracher.
Ah dieux ! c'en étoit fait: Hermione gagnée
Pour jamais de sa vue alloit être éloignée;
Son cœur, entre l'amour et le dépit confus,
Pour se donner à moi n'attendoit qu'un refus ;
Ses yeux s'ouvroient, Pylade; elle écoutoit Oreste,.
Lui parloit, le plaignoit.... Un mot eût fait le reste.

Vous le croyez ?

PYLADE.

ORESTE.

Hé quoi ! ce courroux enflammé

Contre un ingrat...

PYLADE.

Jamais il ne fut plus aimé.

Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l'auroit accordée,
Qu'un prétexte tout prêt ne l'eût pas retardé ?
M'en croirez-vous? Lassé de ses trompeurs attraits,
Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais.

Quoi ! votre amour se veut charger d'une furie
Qui vous détestera, qui, toute votre vie,
Regrettant un hymen tout prêt à s'achever,
Voudra....

ORESTE.

C'est pour cela que je veux l'enlever.

Tout lui riroit, Pylade; et moi, pour mon partage,
Je n'emporterois donc qu'une inutile rage?
J'irois loin d'elle encor tâcher de l'oublier;
Non, non ; à mes tourmens je veux l'associer.

C'est trop gémir tout seul. Je suis las qu'on me plaigne,
Je prétends qu'à mon tour l'inhumaine me craigne,
Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés,
Me rendent tous les noms que je leur ai donnés.

PYLADE.

Voilà donc le succès qu'aura votre ambassade :
Oreste ravisseur !

ORESTE.

Et qu'importe, Pylade?

Quand nos États vengés jouiront de mes soins,
L'ingrate de mes pleurs jouira-t-elle moins?
Et que me servira que la Grèce m'admire,
Tandis que je serai la fable de l'Épire?

Que veux-tu ? Mais, s'il faut ne te rien déguiser,
Mon innocence commence à me peser.

Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance
Laisse le crime en paix et poursuit l'innocence.

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