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De son côté, l'administration du canton de Morez ne restait pas inactive. Les membres de la commission départementale, prévoyant que la grande rigueur des peines contre les personnes qui cachaient des réquisitionnaires, serait par là même un obstacle à leur application et voulant épuiser tous les moyens de conciliation avant d'user de la sévérité des lois, avaient autorisé les commissaires du Directoire exécutif à placer des garnisaires en subsistance chez celles qui étaient connues pour donner retraite à quelque déserteur.

Aucune loi n'autorisait cette mesure, mais, la croyant efficace, les officiers municipaux du canton de Morez, l'avait acceptée sans mot dire.

Le 25 frimaire (15 décembre), Claude Chavin, agent municipal (1) de Morez, reçut l'ordre, pour se conformer à l'arrêté départemental du 7 frimaire, de dresser une liste des militaires et réquisitionnaires de Morez, maintenus provisoirement dans le pays.

On voit, d'après le tableau qu'il établit le 3 nivôse (23 décembre), qu'il y avait alors à Morez 35 militaires en congé ou exempts, dont 15 employés à l'atelier de Cochet, en vertu de certificats d'exemption obtenus le 24 floréal du ministre de la guerre.

Le même jour, Lizon, agent municipal des Rousses, fit le sien. Ce village n'avait que 4 citoyens à la manufacture d'armes, mais on y comptait 5 déserteurs et 2 estropiés volontaires qui s'étaient coupé des doigts afin de ne pas partir.

L'agent municipal de Morbier envoya seulement son état le 25 pluviôse an V (13 février 1797): 122 citoyens de la

(1) Claude Chavin fut nommé agent municipal le 3 prairial an III (22 mai 1795) en remplacement de Claude Jobez, démissionnaire. Il dit accepter temporairement pour répondre à la confiance de ses concitoyens et être utile à son pays.

commune étaient inscrits sur les contrôles de l'armée; sur ce nombre, 34 étaient sous les drapeaux, et le reste dans ses foyers, porteur de réquisitions régulières pour travailler dans les divers ateliers militaires.

Ce même jour, un arrêté du Directoire exécutif ordonna aux militaires, absents de leurs corps, de s'y rendre pour le 1er germinal, au plus tard, et réclama à chaque agent municipal un état nominatif de tous les militaires de sa commune; un second, des militaires qui devaient partir à l'armée; un troisième enfin, des militaires qui avaient obtenu des exemptions des commissaires du pouvoir exécutif ou des états-majors des armées.

Ces diverses mesures avaient diminué le nombre d'ouvriers de la manufacture d'armes de Morez. Toutefois l'activité la plus grande, ne cessa de régner dans les ateliers pendant l'été de 1797.

Le traité de Campo-Formio, signé par Bonaparte le 26 vend. an VI (17 octobre 1797), en donnant à la France la suprématie en Europe, affermit le gouvernement et lui imprima une nouvelle force.

Pendant quelque temps, il n'eut point d'ennemis sous les armes. Ce nouvel état de choses apporta un grand ralentissement dans le travail et une grande modification dans le personnel de la manufacture.

Il est toutefois assez difficile de dire ce qu'elle était à cette époque, mais tout laisse à supposer que le travail fut arrêté pendant quelque temps, puisque le compte-rendu de la gestion de l'administration centrale du département du Jura (1), imprimé à Lons-le-Saunier chez Delhorme, en

(1) L'administration centrale composé de Bouvier, président; Cluny, Petetin, Bossu, Pareau, administrateurs; Bailly, secrétaire en chef, entra en fonctions le 12 brumaire an IV et fut destituée par un arrêté du Directoire exécutif du 4e jour complémentaire an V. Elle resta en fonctions cependant jusqu'au 10 brumaire an VI, époque de l'arrivée de

ses successeurs.

brumaire an VI (novembre 1797), ne parle pas, à l'article manufactures, des ateliers d'armes de Morez.

Le 5 brumaire (26 octobre), un arrêté du Directoire ordonna le rassemblement d'une armée, sur les côtes de la Manche, sous le nom d'armée d'Angleterre, et en confia le commandement au général Bonaparte. Pour en assurer le recrutement, la loi du 21 brumaire an V fut-abrogée et remplacée par une autre plus sévère encore.

Les archives des diverses communes du canton de Morez ne contiennent aucun document relatif à l'existence de la manufacture d'armes pendant l'année 1798 (an VI).

Il est vrai qu'en ce temps-là, la commune n'était presque rien. Créée avec des attributions très étendues, l'administration cantonale l'englobait pour ainsi dire en entier dans son action, et ne lui laissait qu'un semblant d'autorité.

En messidor (juillet), les agents municipaux du canton de Morez durent établir des listes nominatives des militaires alors dans leurs foyers sans titres légaux.

Tous envoyèrent au procureur-syndic un état négatif. Le traité de Campo-Formio n'avait été pour l'Autriche qu'une suspension d'armes. L'Angleterre n'eut point de peine à l'engager dans une nouvelle coalition; excepté la Prusse et l'Espagne, toutes les puissances européennes en firent partie. La République française trouva même des ennemis dans les républiques voisines qu'elle avait fondées, grâce aux exactions et à la tyrannie des agents directoriaux.

Alors le gouvernement et les conseils se hâtèrent d'adopter des mesures de défense.

Une loi du 3 fructidor (20 août) annula d'abord les exemptions délivrées à titre provisoire par les commissaires du gouvernement, déclara nul l'engagement souscrit par le militaire qui n'avait pas une réquisition per

sonnelle pour travailler dans un atelier de la République et lui ordonna de rejoindre immédiatement son régiment.

Une autre du 23 (9 septembre), enjoignit à tous les Français mis en réquisition et appelés à la défense de la patrie par la loi du 23 août 1793, de se rendre sans délai aux armées.

La loi de conscription, décrétée sur la proposition de Jourdan, mit deux cent mille jeunes gens à la disposition de la République. Cette loi, qui eut des suites incalculables, dit Mignet, fut le résultat d'un ordre de choses. plus régulier. Les levées en masse avaient été le service révolutionnaire de la patrie; la conscription en devint le service légal.

La manufacture d'armes de Cochet perdit donc un cer tain nombre d'ouvriers.

L'administration centrale du département ayant pris le 22 brumaire, an VII (12 novembre 1798), un arrêté par lequel elle se plaignait de l'insouciance et de la nonchalance des autorités cantonales à faire exécuter les lois relatives aux déserteurs et conscrits, l'administration du canton de St-Laurent écrivit le 28 (18 novembre) au président de celle de Morez (1), de se joindre à elle pour protester contre l'arrêté cité ci-dessus.

Quelque temps après, l'article 32 de la loi du 28 nivôse (17 janvier 1799) vint décider la nullité de toute dispense, soit provisoire, soit définitive, accordée jusqu'à cette époque, sauf au détenteur à en demander une nouvelle aux autorités compétentes.

Le 24 pluviôse (12 février), l'administration centrale du département écrivit, en conséquence, aux administrateurs du canton de Morez pour les inviter à obliger les citoyens qui travaillaient aux manufactures d'armes à se mettre en règle :

(1) Pierre-Célestin Chavin.

a Bien que l'instruction qui détermine d'une manière claire et précise les cas d'exemption, ne nous soit pas encore parvenue, disait-elle, vous pouvez différer leur départ jusqu'à ce que le Directoire exécutif ait donné une réponse à leur demande. »

Le 1er germinal (21 mars) suivant, ils envoyèrent à l'administration départementale une liste de tous les citoyens employés à la manufacture d'armes de Cochet, avec des notes explicatives en regard de chaque nom.

Le ministre de la guerre, alors Millet-Mureau, avait rédigé le 11 (31 mars), par ordre du Directoire exécutif, une instruction complémentaire à la loi du 28 nivòse an VII, d'après laquelle tout militaire absent de son corps, devait s'y rendre immédiatement, sinon être arrêté et puni comme déserteur. Le citoyen qui croyait avoir un titre d'exemption devait aussi se présenter à son administration municipale, qui, statuant dans les 3 jours, faisait droit à sa réclamation ou le faisait rejoindre l'armée.

La manufacture d'armes de Morez fut encore une fois désorganisée par la mise en vigueur de cette circulaire. Le 8 floréal, une lettre de l'administration centrale du département vint défendre à l'administration du canton de Morez de délivrer des passeports aux conscrits des trois classes, même pour se rendre dans l'intérieur de la République (1).

La situation de la France était décourageante. La coalition, supérieure à la République en forces effectives et en préparatifs, venait de nous enlever l'Italie et de faire subir à nos armées de nombreux revers. A l'intérieur, le gouvernement était livré au mépris public.

La loi du 10 messidor (29 juin), en mettant en activité de service toutes les classes de conscrits, épouvanta les familles, lasses de tant de sacrifices.

(1) Le nombre des conscrits de la première classe était de 76 ; celui de la deuxième de 87; celui de la troisième de 71.

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