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en retour, celui-ci abandonnait les prétentions de sa maison sur le royaume de Sicile. Mais, lorsque la question de Majorque fut soulevée, l'on ne s'entendit plus, nous avons vu pourquoi. C'était, pour l'irréconciliable ennemi de Jacques Ier, le point délicat, intangible. Il espérait même qu'on ne l'aborderait pas, sous le prétexte, souvent allégué par ses successeurs, que c'était purement une affaire entre suzerain et vassal, dans laquelle aucun tiers n'avait le droit de s'immiscer. Et, de fait, les négociateurs avaient tout simplement omis de la régler; à dessein ou non, ils avaient oublié le roi de Majorque! Il fallut que le pape, défenseur-né de la cause des faibles et des opprimés, exigeât l'insertion de son nom dans le traité. Il avait déjà refusé, du reste, de recevoir en grâce son adversaire parce qu'il craignait que l'infortuné prince, déjà dépouillé de son domaine essentiel pour avoir embrassé le parti de l'Église, ne fût abandonné de tout le monde ; c'est, en effet, ce qui devait arriver plus tard, et, ce jour-là, le pontife romain devait rester l'unique appui du malheur. Les raisons de Nicolas IV étaient trop justes pour qu'on ne lui cédât point. Toutefois, sur la solution à donner à cette question si grave, il fut impossible aux cardinaux de triompher de la rancune d'Alphonse. Charles d'Anjou eut beau déclarer que le roi de France ne ratifierait jamais l'accord si son allié n'obtenait les restitutions, dédommagements et sûretés auxquels il avait droit : il en fut pour ses frais d'éloquence. Cet article fut la pierre d'achoppement des négociations; le traité tout entier demeura en suspens jusqu'à nouvel ordre, et le terme de cette longue querelle se trouva encore reculé par un ressentiment dont rien ne justifiait la vivacité exceptionnelle 2.

1. Raynaldi, 1290, an. no 20, 21.

2. « Ítem, cum ageretur inter eundem regem Sicilie ac nuncios supradictos super restitucione regni Majoricarum et satisfaccione atque securitate eidem regi Majoricarum per eundem regi Aragonum faciendis, ex eo quod sine restitucione, satisfaccione et securitate predictis idem rex Sicilie non credebat regem Francie ad pacem flecti vel ad concordian posse deduci, ex certis causis est tractatus ipse suspensus, in brevi per sollicitudinem ipsius regis Sicilie per concordiam, Deo auctore, complendus. » (Arch. nat., J 915,

Les cardinaux se retirèrent donc, et avec eux les ambassadeurs anglais. Après leur départ, le roi de Sicile, que rien ne décourageait, voulut tenter une dernière démarche. Il se rendit au camp d'Alphonse III, qui guerroyait alors aux environs du col de Panissars. Là, il eut avec lui, au mois d'avril, une nouvelle entrevue, où l'on prit de part et d'autre les précautions les plus minutieuses pour éviter toute surprise. Il lui fit ratifier, le 7, les clauses qui venaient d'être stipulées avec ses représentants ; puis, le lendemain, l'ayant suivi auprès de la Jonquère, il aborda de front la difficulté et parvint à lui faire agréer, en apparence du moins, les propositions dont voici la substance : « Le roi d'Aragon, ne se reconnaissant pas tenu de restituer Majorque et ses dépendances, consent à s'en rapporter à la décision du souverain pontife et de deux membres du sacré collège; il s'engage à s'y soumettre, sous peine d'être exclu du bénéfice du traité de Tarascon. La sentence arbitrale sera rendue à Rome dès qu'il s'y présentera, c'est-à-dire avant la fête de Noël, et sans autre forme de procès. Si cet arrangement n'est pas accepté par la partie adverse, il ne s'en tiendra pas moins aux ordres du pape et des cardinaux. Il se réserve seulement ses droits de suzeraineté, qui seront reconnus par les arbitres dans les conditions où ils s'exerçaient antérieurement 2. » Charles se hâta de transmettre ce résultat au roi d'Angleterre, et, le 12, il lui écrivit encore de Montpellier, où sans doute il avait été en conférer avec Jacques Ier, que les deux princes envoyaient leurs procureurs en cour romaine, dans l'espoir que leur différend y serait tranché

no 15.) Plusieurs historiens, notamment dom Vaissète (IV, 67), semblent voir dans le traité de Tarascon la conclusion de la paix définitive et générale, et disent que la restitution du royaume de Majorque fut alors convenue. La suite de ce récit montrera qu'ils anticipent sur les événements. Henry se trompe plus gravement encore lorsqu'il prétend, avec Zurita, qu'il fut arrêté alors que le royaume resterait sous la puissance du roi d'Aragon, qui serait seulement tenu d'indemniser le fils de Jacques Ia. (Hist. du Roussillon, I, 186.)

1. Zurita, I, 346.

2. Rymer, ib., p. 86.

à la satisfaction de l'un et de l'autre. Mais tout cela était l'expression de ses désirs personnels plutôt que celle de la réalité, car le monarque aragonais avait levé le camp de la Jonquère en déclarant de nouveau qu'il ne pouvait rien décider sans consulter les cortes 2. On sait ce que cela voulait dire aussi la convention ébauchée avec lui n'eut-elle aucune suite, d'autant plus qu'il n'eut pas le temps d'entreprendre le voyage de Rome.

Ce ne fut donc pas la mort prématurée de ce monarque de vingt-sept ans, enlevé, deux mois après, par une maladie contractée au milieu des fêtes et des plaisirs, qui empêcha, comme le prétend Muntaner, la réalisation immédiate des espérances du monde chrétien; ce fut plutôt sa persistance obstinée dans une haine héréditaire ou dans la politique d'ambition. Le vieux chroniqueur feint jusqu'au bout d'ignorer qu'il y eût une question majorquine, et il se plaît à tirer de ce coup inattendu une grave leçon sur l'impénétrabilité des desseins de la Providence, qui semblait par là s'opposer à la conclusion de la paix. L'histoire peut aujourd'hui juger que la Providence a, au contraire, facilité la concorde en substituant soudain à l'homme dont la volonté personnelle était l'obstacle un prince plus disposé aux sacrifices nécessaires. Nous verrons, en effet, Jacques II d'Aragon, appelé par la mort de son frère aîné à troquer son sceptre usurpé pour un trône légitime, se montrer bientôt moins sourd à la voix de la justice et à la voix du sang. Mais jusque-là Rome tint bon, et s'obstina, elle aussi, à ne pas restituer leurs droits aux détenteurs du bien d'autrui. Le 11 août 1291, Honorius IV écrivait encore à l'évêque de Majorque et aux autorités de l'île pour les adjurer de rester fidèles à leur seigneur naturel et de ne prêter aucun serment, aucune obéissance au « tyran », mais de résister plutôt à ses tentatives. Il faisait appel à leur dévouement à l'Église, et il ajoutait même que leur devoir était de reve

1. Rymer, ibid. 2. Zurita, ibid.

nir sous la loi de son très cher fils l'illustre roi de Majorque, de se réconcilier avec lui et de conserver ses bonnes grâces '. L'évêque Ponce s'était précisément signalé par sa constante adhésion au parti romain; il avait été chassé de son siège par Alphonse III pour avoir promulgué l'anathème fulminé contre son prédécesseur. Aussi le pape lui octroyait-il en même temps plusieurs privilèges. Mais que pouvaient, contre la force matérielle, les fidélités les plus intrépides? Comme Rome elle-même, elles en étaient réduites à attendre des jours meilleurs.

1. « Quin imo ad devotionem et fidelitatem vestri domini naturalis, charissimi in Christo filii nostri Jacobi, regis Majoricarum illustris, prudenter redire, sibique intendere, ut tenemini, et parere curetis; ita quod inter vos et eum gratia reconciliationis adveniat, vosque gratiosum et propitium vobis habeatis eundem. » Raynaldi, an. 1291, no 52.

CHAPITRE II

ACQUISITION DE MONTPELLIERET
PAR PHILIPPE LE BEL

Pendant que, sur le terrain diplomatique, Philippe IV semblait défendre avec énergie les intérêts de son allié, il préparait d'un autre côté une annexion qui, bien que légitime, était appelée à lui porter un coup fatal dans l'avenir. La ville de Montpellier comprenait, nous l'avons vu, deux parties inégales : l'une, soumise à l'autorité du roi de Majorque, se nommait plus proprement Montpellier; l'autre, réservée à l'évêque de Maguelonne, qui avait néanmoins la suzeraineté des deux, s'appelait Montpelliéret, diminutif trahissant une origine postérieure, en dépit du nom de part antique, qu'elle porta plus tard. Ces deux bourgs ou ces deux paroisses, d'étendue inégale, adossés à la même colline, l'un du côté du nord, l'autre du côté de l'est, avaient fini, en raison d'accroissements successifs, par se rapprocher et se rejoindre. Au xe siècle, une enceinte commune les réunissait déjà. Peu à peu, ils ont couvert toute la montagne et même une partie de la plaine voisine. Ils sont si bien confondus dans la ville moderne, qu'on a peine à retrouver leurs limites respectives 1. Du reste, les guerres de religion et des révolutions de toute sorte ont tellement transformé l'aspect de Montpellier, que celui qui cherche à en reconstituer la physionomie ancienne se trouve plus dérouté que partout ailleurs. Du

La

1. V. à ce sujet Germain, Hist. de la comm. de Montpellier, III, 349 et ss. part antique ou part de lay (par opposition à la part de say) s'étendait de la porte de Lattes à celle du Pila-Saint-Geli (Thalamus parvus, p. 590).

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