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SCÈNE VI.

JOCASTE, ANTIGONE, OLYMPE.

ANTIGONE.

Le perfide! A quel point son insolence monte!

JOCASTE.

Ses superbes discours tourneront à sa honte.
Bientôt, si nos désirs sont exaucés des cieux,
La paix nous vengera de cet ambitieux.

Mais il faut se hâter, chaque heure nous est chère :
Appelons promptement Hémon et votre frère;
Je suis, pour ce dessein, prête à leur accorder
Toutes les sûretés qu'ils pourront demander.

Et toi, si mes malheurs ont lassé ta justice, Ciel, dispose à la paix le cœur de Polynice, Seconde mes soupirs, donne force à mes pleurs, Et comme il faut enfin fais parler mes douleurs! ANTIGONE seule.

Et si tu prends pitié d'une flamme innocente,
O ciel, en ramenant Hémon à son amante,
Ramène-le fidèle; et permets, en ce jour,
Qu'en retrouvant l'amant je retrouve l'amour.

ACTE SECOND.

SCÈNE I.

ANTIGONE, HÉMON.

HÉMON.

Quoi! vous me refusez votre aimable présence,
Après un an entier de supplice et d'absence!
Ne m'avez-vous, madame, appelé près de vous
Que pour m'ôter sitôt un bien qui m'est si doux?

ANTIGONE.

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Et voulez-vous sitôt que j'abandonne un frère? Ne dois-je pas au temple accompagner ma mère?

Et dois-je préférer, au gré de vos souhaits,

Le soin de votre amour à celui de la paix?

HÉMON.

Madame, à mon bonheur c'est chercher trop d'obstacles;
Ils iront bien, sans nous, consulter les oracles.
Permettez que mon cœur, en voyant vos beaux yeux,
De l'état de son sort interroge ses dieux.
Puis-je leur demander, sans être téméraire,
S'ils ont toujours pour moi leur douceur ordinaire?
Souffrent-ils sans courroux mon ardente amitié?
Et du mal qu'ils ont fait ont-ils quelque pitié?
Durant le triste cours d'une absence cruelle,
Avez-vous souhaité que je fusse fidèle?

Songiez-vous que la mort menaçait, loin de vous,
Un amant qui ne doit mourir qu'à vos genoux?
Ah! d'un si bel objet quand une âme est blessée,
Quand un cœur jusqu'à vous élève sa pensée,
Qu'il est doux d'adorer tant de divins appas !
Mais aussi que l'on souffre en ne les voyant pas !
Un moment, loin de vous, me durait une année :
J'aurais fini cent fois ma triste destinée,

Si je n'eusse songé, jusques à mon retour,
Que mon éloignement vous prouvait mon amour;
Et que le souvenir de mon obéissance
Pourrait en ma faveur parler en mon absence;
Et que pensant à moi vous penseriez aussi
Qu'il faut aimer beaucoup pour obéir ainsi.

ANTIGONE.

Oui, je l'avais bien cru qu'une âme si fidèle
Trouverait dans l'absence une peine cruelle;
Et, si mes sentiments se doivent découvrir,
Je souhaitais, Hémon, qu'elle vous fit souffrir,
Et qu'étant loin de moi, quelque ombre d'amertume
Vous fit trouver les jours plus longs que de coutume.
Mais ne vous plaignez pas : mon cœur chargé d'ennui
Ne vous souhaitait rien qu'il n'éprouvât en lui,
Surtout depuis le temps que dure.cette guerre,
Et que de gens armés vous couvrez cette terre.
Oh dieux! à quels tourments mon cœur s'est vu soumis
Voyant des deux côtés ses plus tendres amis !
Mille objets de douleur déchiraient mes entrailles;

J'en voyais et dehors et dedans nos murailles :
Chaque assaut à mon cœur livrait mille combats;
Et mille fois le jour je souffrais le trépas.
HÉMON.

Mais enfin qu'ai-je fait, en ce malheur extrême,
Que ne m'ait ordonné ma princesse elle-même?
J'ai suivi Polynice; et vous l'avez voulu :
Vous me l'avez prescrit par un ordre absolu.
Je lui vouai dès lors une amitié sincère;
Je quittai mon pays, j'abandonnai mon père;
Sur moi, par ce départ, j'attirai son courroux,
Et, pour tout dire enfin, je m'éloignai de vous.

ANTIGONE.

Je m'en souviens, Hémon, et je vous fais justice;
C'est moi que vous serviez en servant Polynice :
Il m'était cher alors comme il est aujourd'hui;
Et je prenais pour moi ce qu'on faisait pour lui.
Nous nous aimions tous deux dès la plus tendre enfance,
Et j'avais sur son cœur une entière puissance;

Je trouvais à lui plaire une extrême douceur,

Et les chagrins du frère étaient ceux de la sœur.
Ah! si j'avais encor sur lui le même empire,
Il aimerait la paix, pour qui mon cœur soupire :
Notre commun malheur en serait adouci :
Je le verrais, Hémon; vous me verriez aussi !
HÉMON.

De cette affreuse guerre il abhorre l'image.
Je l'ai vu soupirer de douleur et de rage,
Lorsque, pour remonter au trône paternel,
On le força de prendre un chemin si cruel.
Espérons que le ciel, touché de nos misères,
Achèvera bientôt de réunir les frères :
Puisse-t-il rétablir l'amitié dans leur cœur,
Et conserver l'amour dans celui de la sœur!

ANTIGONE.

Hélas! ne doutez point que ce dernier ouvrage
Ne lui soit plus aisé que de calmer leur rage :
Je les connais tous deux, et je répondrais bien
Que leur cœur, cher Hémon, est plus dur que le mien.
Mais les dieux quelquefois font de plus grands miracles.

SCÈNE II.

ANTIGONE, HÉMON, OLYMPE.

ANTIGONE.

Eh bien! apprendrons-nous ce qu'ont dit les oracles?

Que faut-il faire?

OLYMPE.

Hélas!

ANTIGONE.

Quoi? qu'en a-t-on appris?

Est-ce la guerre, Olympe?

OLYMPE.

Ah! c'est encore pis!

HÉMON.

Quel est donc ce grand mal que leur courroux annonce?

OLYMPE.

Prince, pour en juger, écoutez leur réponse :

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Thébains, pour n'avoir plus de guerres,
Il faut, par un ordre fatal,
«Que le dernier du sang royal

"

<< Par son trépas ensanglante vos terres. »>

ANTICONE.

O dieux, que vous a fait ce sang infortuné?
Et pourquoi tout entier l'avez-vous condamné?
N'êtes-vous pas contents de la mort de mon père?
Tout notre sang doit-il sentir votre colère?

HÉMON.

Madame, cet arrêt ne vous regarde pas,

Votre vertu vous met à couvert du trépas:

Les dieux savent trop bien connaître l'innocence.

ANTIGONE.

Hé! ce n'est pas pour moi que je crains leur vengeance.
Mon innocence, Hémon, serait un faible appui;

Fille d'Edipe, il faut que je meure pour lui.

Je l'attends, cette mort, et je l'attends sans plainte;

Et, s'il faut avouer le sujet de ma crainte,

C'est pour vous que je crains; oui, cher Hémon, pour vous.

De ce sang malheureux vous sortez comme nous;

Et je ne vois que trop que le courroux céleste

Vous rendra, comme à nous, cet honneur bien funeste,

Et fera regretter aux princes des Thébains
De n'être pas sortis du dernier des humains.
HÉMON.

Peut-on se repentir d'un si grand avantage?
Un si noble trépas flatte trop mon courage;
Et du sang de ses rois il est beau d'être issu,
Dût-on rendre ce sang sitôt qu'on l'a reçu.

ANTIGONE.

Hé quoi! si parmi nous on a fait quelque offense,
Le ciel doit-il sur vous en prendre la vengeance?
Et n'est-ce pas assez du père et des enfants,
Sans qu'il aille plus loin chercher des innocents?
C'est à nous à payer pour les crimes des nôtres :
Punissez-nous, grands dieux! mais épargnez les autres.
Mon père, cher Hémon, vous va perdre aujourd'hui;
Et je vous perds peut-être encore plus que lui :
Le ciel punit sur vous et sur votre famille,
Et les crimes du père, et l'amour de la fille;
Et ce funeste amour vous nuit encore plus
Que les crimes d'Edipe et le sang de Laïus.
HÉMON.

Quoi! mon amour, madame? Et qu'a-t-il de funeste?
Est-ce un crime qu'aimer une beauté céleste?
Et puisque sans colère il est reçu de vous,
En quoi peut-il du ciel mériter le courroux?
Vous seule en mes soupirs êtes intéressée,
C'est à vous à juger s'ils vous ont offensée :
Tels que seront pour eux vos arrêts tout-puissants,
Ils seront criminels, ou innocents.

Que le ciel à son gré sont

ma perte dispose,

J'en chérirai toujours et l'une et l'autre cause,
Glorieux de mourir pour le sang de mes rois,
Et plus heureux encor de mourir sous vos lois.
Aussi bien que ferais-je en ce commun naufrage?
Pourrais-je me résoudre à vivre davantage?
En vain les dieux voudraient différer mon trépas,
Mon désespoir ferait ce qu'ils ne feraient pas.
Mais peut-être, après tout, notre frayeur est vaine :
Attendons.... Mais voici Polynice et la reine.

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