Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Cependant la ville de Paris, devenue le séjour privilégié des rois et la capitale du royaume, resta par cela même dans la dépendance trop directe de la royauté pour que la police et l'administration fussent entièrement abandonnées aux magistrats municipaux comme dans les simples villes de communes. Le prévôt royal de Paris, agissant au nom du roi, intervenait concurremment et magistralement dans cette administration, ainsi que dans les charges d'édilité relatives aux travaux publics qui intéressent directement notre sujet.

Les documents qui nous sont parvenus permettent de préciser la limite et l'étendue de ces deux pouvoirs exerçant l'un à côté de l'autre des fonctions identiques: le prévôt de Paris représentant la royauté, le prévôt des marchands, la commune.

Faut-il ajouter que devant la puissance royale, prépondérante et absolue, il n'y a à cet égard, comme à tous autres au moyen âge, aucune règle sans exception. Mais l'exception n'infirme en rien ce qui se passait habituellement et n'ôte aucune réalité à la délimitation que nous allons exposer.

Indépendamment de ses fonctions judiciaires comme lieutenant du roi et chef du Châtelet, chargé de la police proprement dite, le prévôt de Paris intervenait dans les soins d'édilité et les travaux publics. Lorsqu'en 1184, Philippe-Auguste fit paver pour la première fois la ville, il en donna l'ordre à son prévôt et lui confia l'exécution, de concert avec les bourgeois de Paris, c'est-à-dire avec leurs magistrats municipaux'. Mais il chargea directement ces derniers du soin de la clôture de Paris commencée également par ses ordres, en 1190, au moment de son départ pour la croisade 2.

En compensation des frais assez considérables de cette clôture fortifiée, les bourgeois de Paris reçurent du roi certaines concessions, parmi lesquelles figure un octroi pour l'entretien du pavé.

Des lettres en forme d'arrêt de Philippe III, datées du mois de

1. « Convocatis autem burgensibus cum præposito ipsius civitatis, regia << auctoritate, præcepit quod omnes vici et vie totius civitatis Parisii duris « et fortibus lapidibus sternerentur.» (Rigord, De gestis Philippi Augusti, dans le Recueil des Historiens de France, t. XVII, p. 16.)

2. « Præcepit etiam civibus Parisiensibus quod civitas Parisii, quam rex « multum diligebat, muro optimo in tornellis decenter aptatis et portis, < diligentissime clauderetur.» (Ibid., p. 31.)

février 1285, nous apprennent qu'ils étaient tenus seulement à entretenir le pavage des quatre chemins principaux ou croisée de la ville, que nous définirons exactement plus loin. Le prévôt de Paris les ayant voulu contraindre à paver un chemin dont ils soutenaient ne pas avoir la charge, ils exposèrent au roi que leurs revenus ne pourraient supporter ce surcroît de travaux puisqu'ils suffisaient à peine aux dépenses obligatoires. Une enquête fut ordonnée, et il en résulta ce fait reconnu dans la décision royale: que les bourgeois de Paris ne devaient pas être contraints de paver aucun chemin au-delà de la porte Saint-Martin, contrairement à ce que demandait le prévôt'.

Si, cette fois, le prévôt de Paris avait été trop loin dans ses prétentions, il était souvent obligé de prescrire aux habitants de la ville le soin du pavage et du nettoyage des rues qu'ils étaient trop portés à négliger. Nous le voyons rappeler continuellement les délinquants à l'ordre. En 1348, Guillaume Gormont, alors prévôt de Paris, sentit la nécessité de revenir plus sévèrement et plus efficacement sur les prescriptions de ses prédécesseurs bientôt mises en oubli. En conséquence, dans un édit spécial, après avoir constaté que la bonté et la patience du roi n'avaient fait qu'encourager les bourgeois dans leur négligence, en sorte que les rues de la ville étaient dégradées et remplies d'immondices, il ajouta qu'il était temps de porter remède à un tel état de choses, et menaça d'une amende de trois livres parisis tous ceux qui, à l'avenir, négligeraient d'entretenir et de nettoyer la partie des rues correspondant à leurs demeures. En 1350, dans un règlement général de police, le roi Jean revint sur cette prescription 2, afin de lui donner l'autorité d'un ordre royal direct, et des lettres patentes du 30 janvier 1356 confirmèrent et renouvelèrent l'édit de 1348 3. Cette ordonnance très-explicite commit le même Guillaume Gormont et ses quatre sergents à la surveillance des réparations du pavé et de l'enlèvement des boues, gravois et immondices par les bourgeois qui durent, « chascun en droit soi, refaire « chauciées, tantost et sans delay, en la maniere et selon ce que il « est accoustumé à faire d'ancienneté. »

1. Félibien et Lobineau, Hist. de Paris, t. I; preuves de la dissertation de Leroy sur l'origine de l'Hôtel-de-Ville, p. civ, col. 2.

2. Ordonnances des rois de France, t. II, p. 379.

3. Ibid., t. III, p. 96.

L'ordonnance royale entre dans les détails les plus précis sur la façon dont le prévôt et les siens doivent surveiller l'exécution de ces mesures :

« Nous vous mandons et commandons estroictement à tous << ensemble et chascun de vous, que tous ensemble les quatre, les << troiz ou les deux, ou l'un de vous (sergens), vous transportés et << alez chascun jour une foiz de la rue de la Charronnerie com<< mençant en la grande rue Saint Denys, en alant droit à la croix « du Tirouer, et d'ilecques à la porte Saint Honoré jusques aux << champs, ou au moins en la semaine quatre ou trois fois, et « visités ladite rue et toutes les rues d'une part et d'autre. Et ou «< cas où vous trouverés aucun qui s'efforceront de faire le con<<< traire des choses dessus dites, si les contraigniez et gagez1 à << payer l'amende de 60 solz parisis, par devers le receveur du « roy, nostre seigneur, à Paris. »

Charles VI fut obligé de revenir encore sur ces prescriptions, et nous ne pouvons mieux faire que de citer en partie l'ordonnance édictée à ce sujet le 1er mars 1388. Elle nous définit complètement les inconvénients qui résultaient de cette négligence continuelle, les mesures prises pour y remédier, et la part réservée dans l'exécution ou la surveillance de ces mesures aux deux pouvoirs chargés de la police et du soin de la ville.

<< Comme à notre prevost de Paris, seul et pour tout, appartiegne « pour nous et doye appartenir, à cause de son office, la cure et le << gouvernement de nostre bonne ville de Paris, pour icelle tenir « et garder en telle et si bonne justice, ordonnance et police de << toutes choses, que ce soit à la louange de Dieu, à nostre hon<< neur ou bien et decoracion de la dicte ville, et à l'utilité de la « chose publique; et nous soiens acertenez souffisamment que en << nostre dicte ville a eu ou temps passé, et encores a, plusieurs << faultes notables ou gouvernement et estat d'icelle, mesmement << es pavemens des chauciées, lesquelz sont moult empiriez et tel«lement descheuz en ruine et dommaigiez que, en plusieurs << lieux, l'en ne peut bonnement aler à cheval ne à charroy, sans << tres grans perilz et inconveniens; et sont les chemins des entrées des portes de nostre dicte ville si mauvais et tellement dommaigiez, empiriez et affondrez en plusieurs lieux, que à tres grans

«

1. Contraindre par voie de gage et saisie.

< perilz et peines l'en ny peult admener les vivres et denrées pour « le gouvernement de nostre peuple; et avec ce, icelle ville a esté << et est encore si orde et si plaine de boes, fiens, gravois et autres « ordures que chascun a laissié et mis communement devant son « huis, contre raison et contre les ordonnances de nos predeces« seurs, que c'est grant horreur et tres grant deplaisir à toutes « personnes de bien et d'honneur; et sunt ces choses au tres grant « esclande, vitupere et déshonneur d'icelle ville, et ou grant grief « et prejudice des creatures humaines demourans et frequentans « en icelle, qui, par infection et punaisie desdites boes, fiens et << autres ordures, sont encourues ou temps passé en griefs maladies, mortalitez et infirmitez de corps dont il nous deplaist for

<< tement et non sans cause.

«

<< Considerans que en toutes les choses dessus dictes, si comme exposé nous a esté par plusieurs gens de nostre conseil et autres « personnes notables, est tres grant besoing et necessité de mettre « briefment provision et remede convenable pour le bon gouver<< nement de nostre dicte ville, à laquelle nous avons affection sin« guliere, comme à celle qui est la plus notable et la principale << de nostre royaume; confians à plain du sens, loyauté et bonne « diligence de nostre amé et feal chevalier et conseiller, Jehan, « seigneur de Folleville, à present nostre prevost de Paris; << icellui avons commis, desputé et establi à pourvoir diligem<<ment et par toutes les meilleures voies et manieres que fait « pourra estre, que nostredit prevost verra ou trouvera estre expe« diens necessaires et prouffitables pour le bien, honneur et deco<< racion de nostre dicte ville et des personnes qui y habitent et << affluent; et pour la faire tenir et maintenir d'ores en avant en bon << estat et ordenance, nette et bien pavée, en contraignant ou fai<< sant contraindre vigueureusement, et sans aucune faveur ou deport, tous les demourans ou aians maisons, jardins ou autres edifices et habitacions en ycelle, de quelque estat ou condicion qu'il soient et de quelque auctorité, noblesce ou previlege qu'il « usent ou soient fondez, à tenir un chascun en droit soy nette, << et faire oster les boes, gravois, fiens et autres ordures qui sont << ou seront trouvés d'ores en avant devant leurs maisons et autres « ediffices, et à faire admender et refaire semblablement, chascun << en droit soy, les pavemens des chauciées de ladicte ville, excep« tez toutevoies ceuls de la croisiée d'icelle ville et d'aucunes « rues et places qui y appendent, et lesquelz doivent estre faiz

[ocr errors]

« et soustenuz par celui qui est establi de par nous au gouverne« ment de la prevosté des marchands'. »

Ainsi tout en réservant au prévôt de Paris le droit de veiller à ce que les habitants, de quelque condition qu'ils fussent, exécutassent les travaux de pavage et de nettoyage devant leurs propriétés, jardins ou demeures, l'ordonnance royale fait exception à l'égard de la croisée de la ville2 et des rues adjacentes. Elles devaient être entretenues par les soins du prévôt des marchands, remplacé momentanément par un « garde de la prévôté », à la suite des rigueurs dont Charles VI avait puni la rébellion des Parisiens en suspendant, du 27 janvier 1382 au 20 janvier 1411, l'exercice de leurs libertés et de leur gouvernement municipal.

Un document de l'année 1400, extrait du fameux Livre rouge de l'Hôtel-de-Ville, qui a été perdu ou détruit, mais dont les principales pièces nous ont été conservées et transmises par Sauval, Delamare, Leroy, Félibien et Lobineau, permet de fixer exactement l'étendue de cette croisée de la ville.

Elle commençait au carrefour de la Boucherie de Paris, non loin de l'emplacement où s'élève la tour Saint-Jacques, et s'étendait dans un sens, à l'ouest, par les rues de la Saunerie et SaintGermain-l'Auxerrois et le long de la rue Saint-Honoré, jusqu'au clos des Quinze-Vingts, près de la porte Saint-Honoré, située alors à peu près à l'endroit où commence la rue de Richelieu actuelle; à l'est, par les rues Saint-Jacques-la-Boucherie, des Recommanderesses, de la Vieille-Tixeranderie, de la Vannerie et la porte Baudet, jusqu'au chemin de Vincennes dans le faubourg Saint-Antoine et à l'hôtel de Reuilly, « qui lors estoit le grant « chemin royal de Troyes. »

En sens inverse, la croisée commençait au carrefour de la Saunerie, tournait autour du Châtelet jusqu'au grand pont qu'elle comprenait, passait devant le palais du roi (notre Palais de justice), et descendait par la rue de la Calandre au marché Palu 3.

1. Ordonnances des rois de France, t. VII,

P. 243.

2. A ce sujet, relevons respectueusement l'erreur trop généralement admise qui met l'entretien de la croisée de Paris à la charge directe du trésor royal, tandis qu'elle dépendait au contraire exclusivement de la prévôté des marchands.

3. Vieux marché appelé depuis Marché-Neuf et situé sur le quai de ce nom, entre le pont Saint-Michel et le Petit-Pont d'où il a dernièrement disparu dans la transformation de cette partie de la Cité.

« AnteriorContinuar »