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Entrée plus tard dans la voie, l'Italie nous offre un spectacle du même genre. Le crédit agricole moyen y est exercé par les banques populaires mutuelles du type Luzzatti, qui, mêlant les deux clientèles urbaines et rurales, trouvent dans les effets commerciaux à courte échéance la trésorerie des effets plus longs de l'agriculture. Et aux cultivateurs plus humbles, le crédit agricole primaire, rudimentaire, est facilité par les caisses. rurales du type Wollemborg, comparables avec certaines nuances aux caisses Raiffeisen, et qui vont sans cesse se multipliant. Et là encore, en même temps que les banques populaires ou les caisses rurales ont des annexes récepteurs des dépôts de petite épargne, les caisses d'épargne remplissent aussi un rôle de distribution du crédit agricole.

Aux parlementaires français à qui on propose une alchimie législative sans certitude, nous voudrions montrer sur le vif, par des exemples pris à date récente, toute cette réalité, dont nous ferions bien mieux de suivre les enseignements pratiques. C'est un métier bien chanceux que de s'évertuer à mettre sur pied des combinaisons hybrides. Ne vaut-il pas mille fois mieux reproduire ce qui s'est démontré viable en vivant? Avant d'altérer par une superposition qui en fausse le jeu nos syndicats agricoles, que nos parlementaires regardent au-delà du Rhin ou des Alpes quelques spécimens des institutions distributrices du crédit rural. Ce n'est point ici le lieu d'en décrire l'organisation, les modes de fonctionnement, les résultats; montrer le fait suffit.

Ils trouveront en Allemagne des mutualités du système Schulze, à la portée des cultivateurs, dans les petits centres : en Silésie par exemple, il en existe non seulement dans des villes de 4000, 3000, 2000 habitants, mais jusque dans des localités comme Auras (840 h.), Camenz (628 h.), GrossNeundorf (1522 h.), Grunau (817 h.), Halbau (1203 h.), Hausdorf (1047 h.), Lewin (1579 h.), Markt-Bohrau (798 h.), Mittel-Schreibendorf (244 h.), Neustadt an der Oder (334 h.), Neustdtel (1351 h.), Parchwitz (1393 h.), Primkenau (1728 h.), Reinschdorf (1296 h.), Raudten (1487 h.), Rothenburg

(1311 h.), Schoneberg (1365 h.), Wustegiersdorf (1061 h.). Un grand nombre d'associations Schulze ont même spécialement le crédit agricole pour but. Le Credit Verein von Augsburg compte 11 ou 12000 membres, et a près d'un quart de siècle d'existence il suffit, pour en faire partie, de prendre une part d'affaires » de 100 marks, payable par àcomptes de 2 m. Dans le seul Grand-duché de Bade nous relèverions plus de 60 coopératives de crédit agricole.

Les coopératives du type Raiffeisen pénètrent plus profondément encore, jusque dans de pauvres villages. Elles forment des groupes, celui du Rhin, celui de Westphalie, celui de Wurtemberg, celui de Hesse-Darmstadt, celui du Grand-duché de Bade. Des banques agricoles centrales, à Neuwied et à Munster, les aident pour le placement ou l'emprunt des capitaux. 7 ou 8 millions de marks sont prêtés à l'agriculture grâce aux associations Raiffeisen par un mécanisme de crédit purement personnel, simple, direct, que garantissent la moralité de l'emprunteur et la caution de un ou deux autres sociétaires. L'institution a fait ses preuves de solidité; dans les périodes de crise, quand les autres établissements de crédit souffraient des retraits, les dépôts affluaient aux caisses Raiffeisen.

Ce qu'il y a d'admirable dans ces deux sortes de coopératives de crédit agricole, c'est que le crédit y a toujours pour fondement et pour condition l'épargne. Toutes ces associations ont leurs annexes d'épargne, où les paysans versent leurs économies au lieu de les laisser dormir inertes ou de les livrer à l'État; elles ont même fréquemment des outillages pour l'épargne du sou. En même temps les caisses d'épargne proprement dites font aussi du crédit agricole en Prusse notamment, l'administration de l'agriculture les y encourage. On peut estimer que les trois quarts des capitaux des caisses d'épargne allemandes sont employés aux besoins des crédits locaux le crédit agricole en a sa large part.

Nous voudrions, en Italie, prendre des preuves plus précises encore dans des organismes que nous avons vu marcher, y recueillir des faits et des chiffres d'hier même.

Que MM. Méline et Proust veuillent bien regarder ainsi, en Italie, au coeur d'une région rurale, fonctionner le crédit agricole moyen, tel que le distribue, non point comme ils le rêvent un sindacato, mais une des banques coopératives qu'a semées dans son pays la propagande de M. Luzzatti. A Lonigo par exemple, entre Venise et Vérone, entrons dans la Banca popolare, que nous visitâmes nous-même au mois. d'avril 1890 avec tant d'attrait.

Nous sommes là dans un petit centre d'une dizaine de mille âmes, dont la partie agglomérée ne dépasse pas quatre ou cinq mille. Et pourtant, au 1" décembre 1891, ce n'est pas moins de 3,255 membres que comptait la société, porteurs de 12,380 actions, et non pas sans capital: le fonds social atteint 371,400 1., la réserve 162,853 1., une réserve spéciale 85,585 1., autant de garanties qui remplacent la solidarité des associations allemandes. Le reste des ressources est procuré par 560,417 1. de comptes-courants, 1,538,471 1. de dépôts d'épargne, 887,6541. de ces bons à échéance fixe qu'on a appelés les bons du trésor de l'agriculture parce qu'ils sont un instrument adapté à ses besoins. Sur un mouvement d'effets de 8,398,121 1., nous ne trouvons pas moins de 11,634 opérations représentant du crédit agricole pour 3,298,478 1. avec de petits propriétaires ruraux et de petits cultivateurs, pour 2,247,607 1. avec de plus importants, pour 121,075 l. avec des paysans (contadini) et des ouvriers de la terre. Tout cela est en augmentation sur les chiffres de 1889.

La Banque consent en outre des avances sur dépôts de grains, pour les deux tiers de la valeur estimée, à échéance de trois mois au plus, à 6 /. l'an. Il nous souvient justement que chez nous, ces jours derniers, quelques députés ont présenté une proposition tendant à créer des docks-greniers, pour recevoir les dépôts de grains sur l'initiative des sociétés agricoles, et permettre de réaliser au lendemain de la récolte le prix du travail par des certificats négociables. Sans tant d'appareil, voilà des opérations pratiquées par la Banque populaire de Lonigo. D'autres, plus larges, sont ce qu'elle

nomme les prêts agraires de faveur. Il en a été fait pour 4,680 1. au cours du dernier exercice. Ils s'effectuent sans aucun gage matériel, sans autre garantie que l'honnêteté de l'emprunteur et une déclaration du Comice Agricole relativement à l'emploi.

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Ce rôle du Comice Agricole, tout à fait distinct, on le voit, du rôle de la coopérative de crédit, et que pourraient exactement, celui-là, jouer nos syndicats agricoles au lieu de dévier en pseudo-banques, nos lecteurs auront intérêt, croyons-nous, å le considérer de plus près dans le texte même de la convention conclue le 10 juin 1884 entre la Banque Populaire de Lonigo et le Comice:

Art. 1. La Banque Populaire affecte un fonds de... pour des prêts agricoles de faveur aux agriculteurs qui en seront dignes, soit pour achat de machines, semences, engrais naturels ou chimiques, soit pour achat de bestiaux, soit pour travaux d'amélioration de la terre, et ce, avec le concours du Comice Agraire.

Ne pourront obtenir des avances pour achat de bestiaux que les agriculteurs cultivant au moins 2 hect. de terre soit comme propriétaires, soit comme locataires.

Art. 2.

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Au fonds des prêts seront ajoutées toutes subventions qui seraient accordées dans le même but par l'État, des corps moraux des particuliers.

Art. 3. Les prêts ne seront accordés qu'aux cultivateurs dont le besoin sera constaté, ainsi que la solvabilité et la ponctualité, le tout attesté par le Comice, qui aura pris les renseignements nécessaires et sur le montant du prêt sollicité, et sur les conditions de la terre à laquelle le prêt doit servir.

Art. 4. Il sera fourni la preuve que les outils, les instruments aratoires, les bestiaux ont été assurés contre l'incendie, ainsi que l'immeuble si l'agriculteur est propriétaire. Il est en outre tenu d'assurer la récolte du blé contre la grêle. Le locataire devra exhiber la quittance de son bailleur constatant qu'il est à jour pour le paiement du loyer.

Art. 5.

-

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Le maximum du crédit pour chaque postulant est de 500 1. En aucun cas l'échéance n'excédera une année.

Art. 6. Le taux d'intérêt sera de... payé à la fin de l'opération. L'emprunteur peut se libérer par à-comptes, de 10 1. au moins, pour lesquels il lui sera calculé comme remboursement l'intérêt à partir du jour qui suit le versement."

Art. 7. Si le paiement n'est pas opéré complètement et exactement, qu si quelque autre obligation a été enfreinte, ou si une partie ou totalité de la somme avancée a été employée à d'autres objets qu'il n'avait été déclaré, l'emprunteur sera soumis :

a) à la perte de l'intérêt de faveur, qui sera converti en 7%;

b) à l'exclusion de tous autres prêts de faveur.

Art. 8. Les demandes sont présentées au Comice, sur un modèle contenant promesse de se conformer aux règles du présent accord, parmi lesquelles la principale est celle que les marchandises et animaux à acheter par le postulant serviront au bénéfice ou à la culture de la terre, ainsi que les travaux à exécuter.

Art. 9. Le Comice ne présentera à la Banque que des demandes dignes d'être prises en considération; il y joindra ses appréciations. Préférence sera donnée à celles qu'appuyeraient deux sociétaires du Comice, et la Banque délibèrera sur l'admission partielle ou totale de la demande par son comité d'escompte, donnant toujours préférence aux demandes des plus petites sommes et à celles qui révéleraient les besoins les plus pressants.

Art. 10. La demande agréée, le postulant signe un effet pour le capital et les intérêts de faveur; il reçoit en échange un bon de caisse à vue, au nom du Comice, pour le capital. Il laisse à la Banque un second effet pour la différence entre l'intérêt de faveur et le 7%. ; ce billet aurait effet comme toute valeur, sans exception, sur la simple déclaration du Comice que le capital prêté n'a pas été employé à l'objet en vue duquel il a été avancé.

Art. 11.- La Banque avise de l'opération le Comice, qui se charge des paiements au moyen de chèques sur la Banque, payables aux vendeurs des marchandises, et s'il s'agit de travaux, même directement à l'empruntur. Art. 12. Si le postulant n'est pas sociétaire de la Banque, les effets doivent être avalisés par un actionnaire qu'aura agréé le comité, d'escompte.

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Art. 13. Le Comice pourra s'enquérir à la Banque des motifs de refus d'une demande présentée par lui.

Art. 14.

Le présent contrat aura la durée d'une année, sauf modifications éventuelles admises mutuellement; il pourra être renouvelé pour les années suivantes.

Il l'a été, et l'application en est fort appréciée. Pour parer aux pertes éventuelles de ces opérations comme à la différence entre l'intérêt normal et l'intérêt de faveur, la Banque s'est

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