de vie du plus grand nombre d'un type, d'un standard, qui ira s'élevant sans cesse avec le développement de la civilisation générale. 5. Les agents de l'impulsion en avant sont: a) avant tout, l'effort libre de l'initiative privée, car variant selon les circonstances et les lieux, il coïncidera avec l'état des mœurs, et les fera avancer sans les violenter; b) les interventions de l'État ou du législateur, fréquemment utiles, parfois nécessaires, mais qui doivent seulement susciter l'action individuelle où elle fait défaut, la soutenir où elle est débile, en élargir les modes, en sanctionner les succès. 6. Quand une société est atteinte en son fond moral, en son âme (et nous sommes convaincu que tel est le cas pour notre démocratie), on fait œuvre insuffisante et de surface si aux efforts pour améliorer sa condition matérielle on n'en joint pas d'autres qui visent les profondeurs de la conscience. Telle est la suite d'idées qui apparaît à l'auteur de ce livre la plus rapprochée de la vérité spéculative et la plus conforme aux enseignements de l'expérience, au milieu du tourbillon de conceptions sociologiques dans lequel s'agite et s'ahurit notre temps. Elle nous sépare nettement et des socialistes de toute école, et des partisans excessifs de la seule initiative privée, et des impassibles de l'économique pure, et des amis d'une morbide philanthropie, et des avocats satisfaits ou résignés du statu quo social. Contre les uns et les autres nous nous prononcerions pour la recherche passionnée et continue d'arrangements sociaux rendus meilleurs par l'action individuelle et l'aide de la loi. Peut-être la profession de foi ne manque-t-elle pas d'oppor tunité et d'intérêt actuel au moment où la lutte devient de plus en plus aiguë et serrée entre les Étatistes fanatiques et les non-interventionnistes, quand les socialismes variés le prennent de si haut et se prétendent à la veille de reconstruire le monde en bloc par la contrainte légale ou révolutionnaire. ne Que la science ait réfuté, un à un, tous les sophismes, grossiers ou subtils, des divers socialismes, cela nous semble plus guère discutable que pour ceux qui ignorent ou qui ferment les yeux. Ce qui demeure utile, et toujours plus utile, à prouver, c'est de quelle manière l'action libre, surtout avec le législateur et l'État pour auxiliaires, peut réaliser du progrès pratique. Imaginez qu'une semblable démonstration fût engagée dans un pays sur une surface de plus en plus étendue par un nombre croissant d'individualités énergiques (et du mouvement des esprits en cette fin de siècle, il peut naître une marche vers ce but), il apparaîtrait de plus en plus que toutes les difficultés sociales ne dépendant pas de causes physiques invincibles peuvent être aplanies ou atténuées, non certes par la violence qui produit au contraire un rejet dans les ténèbres, mais au moyen de libres combinaisons provoquées par la collaboration de l'individu et de la collectivité. Il y a bien des manières d'apporter sa contribution à la défense du bon sens et de la liberté humaine contre les démences des systèmes socialistes, que mieux vaudrait appeler d'un nom commun anti-sociaux. La nôtre, infiniment modeste, est d'établir par des faits groupés que l'effort privé peut quelque chose pour des rectifications ou des améliorations graduelles. Si cela est vrai même en cette nation, au cœur de laquelle un centralisme insensé a tué l'initiative, combien ne sera-ce pas plus par la confiance ambiante, où elle pourvoit de tous côtés aux besoins locaux sans notre éternelle invocation à l'État, où elle est comprise, imitée, suivie sur quelque point du territoire qu'elle surgisse et crée ! Qu'en ces milieux et ces conditions, appuyée d'ailleurs par la loi, elle ne soit nullement impuissante comme voudraient le faire croire les socialismes, mille exemples le confirmeraient. Pour citer un fait d'hier, le dernier rapport de la direction générale des établissements pénitentiaires en Angleterre vient de montrer la criminalité s'abaissant depuis quinze années malgré l'accroissement de la population (1), et l'on est d'accord pour attribuer ce résultat à la persévérante influence des associations de patronage, de tempérance, d'évangélisation, comme aux lois votées en 1866 et 1870. La floraison inouïe des 8.488 coopératives allemandes (2), l'admirable refoulement de l'alcoolisme en Norvège (3) seraient d'autres leçons de choses aussi décisives. Non, l'effort pacifique et indépendant fondé sur l'amour n'est pas vain, ni la législation que le même idéal inspire: ce qui est stérile, ou plutôt funeste, c'est l'utopie fille et nourricière de la haine. Les Anti-sociaux, ceux qui rêvent l'anéantissement de la liberté et de l'initiative privée, voilà les enrayeurs du progrès. Nous ne nous occupons point ici de les combattre sur le terrain des théories, d'abord parce que cela nous sem (1) En 1877, les prisons anglaises renfermaient 20.400 détenus; ce nombre est descendu à 12,700. Le bagne de Chatham va être fermé faute de pensionnaires; il en sera de même de la maison de Millbank, sur l'emplacement de laquelle on doit bâtir un musée. (2) Au 31 mai 1892 (rapport de M. F. Schenck). (3) Voir plus loin, p. 680. ble superflu après tant de travaux péremptoires (1), puis et surtout parce que ce livre n'est point un ouvrage de controverse, mais d'affirmation par l'action. Si les hommes qui prennent part sous nos yeux, à chaque instant, à ces congrès furieux dont le public semble saturé se considèrent comme des propulseurs un peu brutaux peutêtre, mais actifs du progrès social, ils se font une singulière illusion. En dehors des rares vœux qu'ils empruntent aux économistes, et qu'ils affaiblissent ou gâtent, rien de ce qu'ils se promettent ou annoncent ne prendra corps; par contre leur œuvre a d'immanquables fruits, et ceux-là sont des signes non point de marche plus rapide, plus facile, mais de retard, de recul. Combien d'ouvriers courageux et droits l'écho de tant de vieux sophismes apparaissant à des esprits simples comme du neuf dégoûte du labeur qui les eût fait monter et de l'épargne qui leur eût apporté peu à peu l'indépendance! Combien de modestes et heureuses familles désorientées dans leur notion de l'existence et du devoir! Combien de chefs d'industries dissuadés d'efforts entamés ou projetés pour dénouer pratiquement les difficultés des rapports entre le travail et le capital! Combien d'étrangers qu'avait gagnés notre vigueur extérieure, et qui regardent plus au fond de notre état interne avec une sorte de compassion attristée! Combien de penseurs poussés au doute sur l'avenir d'une démocratie que rongerait l'antagonisme! (1) Pour ne rappeler que les plus actuels et dans notre science française, ceux notamment de MM. L. Say, Jules Simon, F. Passy, champions jamais lassés de la liberté et de la responsabilité, défenseurs éloquents et profonds des lois qu'imposent à toute société les nécessités de la nature de l'homme et de la nature extérieure; les beaux ouvrages do M. P.Leroy Beaulieu, qui a traqué l'erreur socialiste sous toutes ses formes, jusque dans les transactions périlleuses. Peut-il en être autrement? De ces réunions soi-disant d'études et de recherches, en réalité de fantasmagorie et de propagande destructives, il ne sort guère que des rêves imprécis, d'autant plus troublants pour la demi-ignorance, et des menaces. C'est toujours à une force tyrannique qu'il est fait appel. C'est toujours sur les ruines de quelque chose qu'on jure de s'installer. Pauvre liberté du travail, que devient-elle dans ces appels à l'épouvante ? Pauvre concorde, où se réfugie-t-elle dans ces excitations enragées à la haine? Quand on lit les comptes-rendus d'assemblées de ce genre, on éprouve toujours, avec un serrement de cœur, cette impression que rapporteurs et auditeurs ont parlé et écouté sous l'empire d'une espèce d'hallucination, hypnotisés par la fixité de regards attachés sur un point unique de l'univers. Ils ne voient qu'eux dans le si complexe spectacle de l'immense Vie. On dirait que les questions dont ils s'occupent sont le tout de l'humanité, ou même de la nature, que dans une nation de 36 millions d'âmes les ouvriers du travail manuel urbain sont seuls, et que si tout ne se plie pas aux conceptions de quelques-uns d'entr'eux, tout sera bouleversé de fond en comble... Il y a bien d'autres forces en mouvement que le travail manuel dans une civilisation comme la nôtre, à commencer par la science! Il faut sortir de ces microcosmes, mettre les cerveaux fumeux au grand air. Dans la cité déjà, combien étaient là, des milliers et des milliers d'habitants? Allez plus loin, voyagez, parcourez les campagnes sans fin où l'ouvrier des champs ne comprendra rien au programme d'une journée obligatoire et officielle de huit heures. Visitez les petites villes calmes, les centres industriels où règnent l'harmonie, la permanence des engagements, l'attachement mutuel fait de dévouement d'un côté, de confiance de l'au |