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CHAPITRE PREMIER

HISTORIQUE DE LA QUESTION DE LA POLICE DES MŒURS

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Institution de la police des mœurs au lendemain de Brumaire. — Le congrès médical de Paris en 1867 réclame, sans une connaissance suffisante de la question au point de vue hygiénique, statistique et juridique, un redoublement de sévérités adminis. tratives. En 1870, la Préfecture de police, par les livres de M. Lecour, chef de la police des mœurs, réclame de son côté une extension de pouvoirs. La Préfecture de police au lendemain de la guerre et de la Commune. Son personnel bonapartiste, ses préfets royalistes: MM. Léon Renault et Félix Voisin. Innombrables illégalités. - Arbitraire odieux de la police des mœurs à Paris et dans les grandes villes. -Yves Guyot au Conseil municipal de Paris en 1874; le passé d'un publiciste. L'affaire Rouvier. Les razzias; la chasse à la femme. Les crimes de la police des mœurs à Lyon. L'arrestation de Mlle Rousseil. - Un article des Droits de l'homme. Le 4 novembre 1876, Yves Guyot soulève la question devant le Conseil. - Nomination de la commission de la police des mœurs. -Yves Guyot poursuivi en police correctionnelle.

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Je ne sache pas qu'avant les articles d'Yves Guyot, parus en novembre 1876, il ait été, en France, publiquement question de la police des mœurs autrement que pour y voir - en style usité chez ceux qui ont officiellement écrit sur la matière - un des piliers de l'ordre social.

La police des moeurs était une institution de l'ancien régime, et comme telle elle était restaurée presque au lendemain de Brumaire (1802-1805). Depuis le commencement du siècle, elle avait fonc

tionné sans interruption, se renforçant, s'organisant, devenant bientôt un des services les plus omnipotents de la Préfecture.

Le livre de Parent-Duchâtelet, publié pour la première fois en 1836, était le bréviaire et l'évangile de tous les desservants.

Tous ceux qui avaient traité après lui de la police des mœurs, médecins, publicistes ou agents de police, n'avaient que des paroles et des chapitres d'admiration à l'endroit du système sur lequel reposait toute l'organisation prétendue protectrice de la santé et de la morale publique.

Leur seule préoccupation était de s'engager plus avant dans la même voie et de rendre tous les articles de la réglementation plus inquisitoriaux, plus draconiens.

Ce souci éclata publiquement en 1867, au moment de l'Exposition universelle, lors de la réunion, à Paris, du Congrès médical international.

Le Congrès proclama et conclut que « la surveillance de la prostitution était insuffisante au point de vue de la santé publique, et que les renseignements recueillis pourraient être le point de départ de mesures administratives nouvelles ».

On voit la pente.

Ç'avait été en effet un vrai steeple-chase de propositions aggravantes :

L'un demandait la visite préalable des hommes par la maîtresse de la maison de tolérance; l'autre, un Anglais, demandait que cette visite locale fût

faite par voie administrative, c'est-à-dire par un médecin de police qui donnerait l'ineat, la libre la libre pratique.

L'autre, un Belge, considérant la galanterie clandestine comme un attentat aux mœurs, la plaçait sous l'application de l'article 334 de notre Code pénal, en ajoutant cette disposition: « Quiconque, femme ou fille, aura, sans autorisation de l'autorité locale, attenté aux mœurs en se livrant habituellement à la débauche, sera punie d'un emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de cinquante à cinq cents francs. »

Un futur professeur de la Faculté de médecine de Paris exprimait l'avis « qu'il fallait multiplier le nombre des maisons de tolérance, seul garant de la santé publique ».

Un médecin bordelais attribuait «< un pouvoir discrétionnaire » (textuel) au chef de la police sur tous les individus qui, au témoignagne de deux agents, s'adonnent à la débauche.

Cet autre voulait étendre aux ouvriers au service de l'État la visite locale imposée aux soldats.

Enfin, pour couronner la réforme, deux des plus fougueux, emportés par un accès d'indignation lyrique qui se traduisait par des mesures plus sévères encore, pénétraient dans les théâtres, dans les loges d'actrices, dans les clubs où l'on avait vu des femmes jeter à l'encan la clé de leur alcôve, et là, mettant en propres termes la main à la gorge « des modernes hétaïres, des Laïs, des Phrynés de notre âge », les

traînaient à la table d'examen et à la prison de SaintLazare.

C'était là, pour le Congrès, le dernier mot de la sociologie et de la science de l'hygiène.

On sent quels auxiliaires souhaités la Préfecture de police trouvait dans ces manifestants; elle voyait son importance, son ingérence décuplées.

M. Lecour, chef de la première division à la Préfecture de police, dont les attributions visaient directement la police des mœurs, répression, visite, prison, etc., fit immédiatement un livre pour exalter les mesures dont la prostitution était l'objet. En 1870, quelques mois avant la chute de l'empire, il revenait à la charge, en insistant avec un volume plus gros, sinon rempli d'arguments meilleurs.

Il est inutile de rappeler longuement combien les premières années qui suivirent l'établissement nominal de la République furent favorables à tous les abus que comportait une institution de caractère essentiellement monarchique comme la Préfecture de police. Rien n'y était changé, ni l'agencement, ni les doctrines, ni les hommes : elle était tout acquise aux mesures de réaction et aux complots contre le nouvel ordre de choses.

Avec le premier préfet qu'elle eut à sa tête après la disparition du gouvernement de Septembre, un préfet militaire, le général Valentin, ex-colonel de la garde de Paris sous l'empire, grand prévôt de l'armée versaillaise, elle prêta un vigoureux concours aux préparatifs provocateurs du 18 mars et aux

massacres de la semaine de mai, excitant, fusillant, mêlée aux incendies: elle fournit là tout ce que les partis hostiles demandaient d'instruments bons à tout faire.

Elle mit la main au 24 mai avec le même Valentin (15 mars 1871-18 novembre 1873).

M. Léon Renault fut un préfet de caractère politique plus nettement déterminé. Les bonapartistes disposaient vraiment trop en maîtres des bureaux, du personnel. M. Léon Renault, du 19 novembre 1873 au 9 février 1876, fut chargé de leur rappeler que le 24 mai était le premier pas vers la solution orléaniste. Avec l'honorable Savary, il rédigea ce fameux rapport qui dénonçait comme un double et égal péril et les bonapartistes et les républicains avancés. Depuis, MM. Renault et Savary se sont tous deux faits hommes d'affaires, quand il leur a paru que la politique devenait pour eux une moins bonne affaire. M. Léon Renault a brillé notamment dans les tripotages financiers tunisiens et particulièrement dans l'organisation de ce Crédit foncier agricole dont l'objet était de mettre la nouvelle conquête tout entière aux mains des financiers parisiens. M. Savary a été moins heureux: l'épopée de cet ancien sous-secrétaire d'État de Dufaure, une des jeunes gloires de l'Assemblée nationale, s'est dénouée par une condamnation pour escroquerie, et le scandale d'amours doublement adultères avec une mère de famille attablée dans une brasserie de la rue des Martyrs.

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