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le sous-ministre ayant appris qu'une lettre décélant ses menées était parvenue à un journaliste, de ceux qui osent révéler une turpitude, même effectuée en haut lieu, mit à temps fin à son imprudente tentative d'intimidation.

Les inspecteurs sont même employés à surveiller des femmes non prostituées. Une dame, une actrice en renom, est-elle en commerce de galanterie avec un homme politique? On la fait filer.

Il y a quelques années, le brigadier Landouze, les inspecteurs Kroger et Loisel, le chef de la sousbrigade des pédérastes, Rabasse, se livraient à des recherches sur les antécédents des actrices de Paris, confectionnaient un album des photographies de celles que leurs succès de rampe ou de galanteries avaient mises le plus en vogue, en y joignant des biographies intimes, puis faisaient hommage de ce chapitre de Mémoires secrets au chef de la police municipale, M. Ansart celui-ci, touché de cette gracieuseté, allouait à ces divers agents une forte gratification.

En 1877, d'après une déposition devant la Commission municipale, déposition qui n'a pas été démentie, l'inspecteur Boudot était chargé de surveiller une actrice attachée à une scène de boulevard, pour le compte personnel du chef de la Ire division, M. Lecour lui-même (1).

Pour en finir avec les maisons de passe et les

(1) Déposition de M. Lassez, déjà citée (5o séance, p. 50 et 57).

graves inconvénients qui résultent de la complicité de la police, ajoutons encore qu'il existe de ces maisons qui sont de simples repaires de sodomie et même de tribadisme; que certaines sont connues pour donner des séances de poses lubriques devant une petite galerie d'amateurs (on devine quel personnel masculin peut consentir à être acteur dans ce genre de pièces!); que d'autres enfin sont également connues pour offrir comme divertissement ou comme stimulant à une petite compagnie de raffinés, soigneusement dissimulés, le tableau des plaisirs d'autrui et cela à l'insu même des personnes que l'on donne en spectacle (1).

Le lecteur apprécie suffisamment à quel point l'arbitraire règne dans cette partie de la réglementation.

Depuis le dernier inspecteur jusqu'aux agents les plus en vue, jusqu'au préfet lui-même, tout ce monde de fonctionnaires se trouve entraîné, par l'engrenage même du système, à se livrer fatalement à des abus de tout genre. Comment en serait-il autrement là où il n'y a ni contrôle ni responsabilité?

Il n'y a rien, d'ailleurs, de plus caractéristique à

(1) Procès-verbaux de la commission. Macé, op. cit., p. 167. Le fait est déjà signalé par Trébuchet et Boirat-Duval. V. t. Jer de Parent-Duchâtelet, p. 265 (édition 1857). V. aussi Carlier, p. 155-181.

Signalons également les établissements de bains, dits bains complets, plus rares à Paris qu'à Vienne, à Pesth, en Roumanie, etc.

nos yeux, pour marquer la tyrannie haïssable d'un tel personnel, que la facilité avec laquelle on a vu les premiers polissons venus se donner pour des inspecteurs authentiques, arrêter d'honnêtes femmes, des couples de jeunes gens en promenade dans les jardins publics, abuser des filles, rançonner ou assommer les garçons, et, ce faisant, demeurer inconnus des années.

Quand Guyot et les quelques publicistes qui écrivirent après lui sur la question parlèrent de faux agents des mœurs, l'administration traita ces allégations de conte bleu; il a cependant fallu en arriver à l'heure des aveux. « Beaucoup d'individus étrangers à la Préfecture, a écrit M. Macé, prennent la qualité d'inspecteurs des mœurs pour rançonner les filles et obtenir gratuitement leurs faveurs ; »

et ailleurs « Des farceurs n'hésitent pas à se dire attachés à la brigade, soit pour mystifier les filles et leur faire peur, soit pour coucher avec elles et les rançonner au nom de l'administration (1).

D

On avait vu, en effet, la bande du Bois de Boulogne de Lille travailler ainsi tranquillement pendant trois ans il y avait particulièrement un drôle, ancien maître de gymnastique, qui se vantait, d'un ton de sultan, d'avoir mis à mal plus de 500 femmes. Telle était la crainte de la police, crainte exploitée par les faux agents, que rien n'était

(1) Op. cit., p. 247, 199.

divulgué pas une victime n'osait se plaindre, non plus la femme violée que l'amoureux roué de coups. Les exercices de ces misérables ne prirent fin qu'après le meurtre d'un malheureux ouvrier qui avait voulu trop résister. Le procès se termina par sept condamnations aux travaux forcés : le héros de la bande obtint vingt années de bagne (Gazette des Tribunaux, 17-18 février 1873). En novembre 1880, la cour d'assises de la Seine jugeait une bande qui appliquait à peu près les mêmes procédés avec le même succès dans le bois de Boulogne de Paris: le chef de ces faux agents - des pédérastes, ceux-là- opérait avec ses acolytes dans les taillis et fourrés. Houillon avait même l'audace de suivre ses victimes jusqu'à leur domicile et d'y pénétrer avec elles, en se donnant comme agent des mœurs ou en prenant la qualité de commissaire de police là il se faisait remettre le prix de sa prétendue absolution. Houillon avait ainsi travaillé de longs mois sans être n'avait été capturé qu'en août 1879

dérangé ; il

il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. M. Macé a écrit aussi qu'un certain nombre de souteneurs se disaient agents de police pour pouvoir mieux dominer leurs victimes (1) ». L'aventure de Me Rousseil, l'éminente comédienne, dont le récit con

(1) Op. cit., p. 168 et 173. — V. aussi Guyot, la Prostitution, p. 112-113. Le 22 avril 1887, un employé de commerce qui se donnait pour agent des mœurs était assommé et volé, boulevard Rochechouart, par une fille et ses souteneurs (Justice du 24 avril 1887).

tribua à valoir six mois de prison et 3,000 francs d'amende à Yves Guyot, est typique dans l'espèce. Le 28 octobre 1876, Me Rousseil arrive devant le troisième Théâtre-Français, un peu avant l'ouverture comme il y avait foule devant les bureaux, elle se retire un peu et se promène. Elle avait à peine fait quelques pas, qu'elle est abordée par un individu qui essaye de lier conversa

tion :

« Vous vous promenez, la belle? Passez votre chemin, répond Me Rousseil. - Mon chemin? tu vas voir... Montre-moi ta carte!» Le sale drôle la prend par le bras, lui tord les chairs; Me Rousseil se défend, lui brise son éventail et sa lorgnette sur la face. Des passants interviennent, arrachent l'individu tout écumant de rage. En face, de l'autre côté du boulevard, trois gardiens de la paix regardaient cette scène sans bouger. Trois mois après, ce quidam était capturé et condamné devant les tribunaux. Était-ce un faux agent que l'on condamnait légitimement, ou un agent authentique, mais maladroit, qui était puni de son erreur et du bruit de l'affaire? Le jugement du tribunal porte que c'était un faux agent. L'aventure de Me Bernage n'est pas sans analogie avec la précédente.

Les drôles nombreux et dangereux qui abondent dans les villes se répètent que la fonction d'inspecteur a du bon, puisqu'on peut, en l'usurpant, satisfaire sans bourse délier et sans encombre ses caprices les plus variés.

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