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Un tableau complet de l'état de la prostitution en France doit finir par quelques indications sur la prostitution dans les campagnes.

Le sujet est à la vérité assez peu connu. Nous avons recueilli quelques notes sur la prostitution dans les départements limitrophes de Paris. Les chemins de fer donnent, à la vérité, de grandes facilités aux habitants de la campagne, chez qui le calme de la vie agricole n'a pas éteint le goût des plaisirs sexuels extraconjugaux, et la prostitution rurale perd ainsi souvent sa physionomie propre.

Dans certains départements rapprochés, notamment dans le département de Seine-et-Oise qui est comme la ceinture provinciale de Paris, il existe cependant une prostitution indigène, pratiquée sur place qui ne doit pas être omise. Malgré les commodités que les jeunes gens et autres trouvent dans le voisinage de la grande ville, il existe dans les villages des femmes que la police des mœurs n'hésiterait pas à classer dans son personnel surveillé.

Ce sont des veuves, des femmes de peine à la journée, des femmes mariées dont le mari travaille à quelque distance, dans une usine ou une carrière, qui jouent le rôle plus ou moins complet de femmes publiques. Souvent elles tiennent un petit débit de vins dans une ruelle, ou bien sur la grand'route, à l'entrée du village. Elles sont bien connues parmi les habitants et cependant ne s'affichent pas ces passades plus ou moins fréquentes n'arrivent que comme un appoint, car ces femmes travaillent fort

souvent à des ouvrages pénibles et élèvent même nous parlons de ce que nous avons observé, assez convenablement leurs enfants. La gendarmerie ne les inquiète en aucune façon, et nous devons même ajouter que nous avons vu plus d'une fois Pandore...

Dans d'autres départements au contraire, ce genre de prostitution n'existe pas, ou, si on le rencontre, ce n'est qu'à titre absolument transitoire. Tel est l'avis de M. le docteur Lardier, chirurgien de l'hôpital de Rambervillers (Vosges), qui a écrit, sur la prostitution à la campagne, un très spirituel et intéressant mémoire (1). Ajoutons que ces départements appartiennent évidemment à des régions où les moyens de locomotion sont moins faciles, où le mouvement commercial est rudimentaire, enfin où la population est adonnée à des travaux agricoles plus pénibles qu'ailleurs.

Dans ce cas, il semble que les militaires en congé ou libérés jouent un rôle actif dans cette excitation momentanée. M. Lardier compte, d'une plume trempée dans l'encrier de Ricord, l'histoire d'un militaire revenant du service qui, en dépit d'une indisposition locale, était en quelques semaines devenu le Lovelace du village : quelques vieilles filles, trouvant l'occasion peu commune, s'étaient montrées friandes de ses faveurs au point de tomber dans la nymphomanie. Un exercice trop violent, succédant à l'apathie sexuelle dans laquelle elles sommeillaient, avait

(1) Les Vénériens des champs et la prostitution à la campagne. Paris, Doin, 1882, in-18 de 36 pages.

provoqué en elles une fureur de possédées: elles entraînaient chez elles, par des propos lubriques et des exhibitions tentatrices, faites sur le seuil de leur porte, tous les hommes du village : gars, hommes mariés, garçonnets même, tout le monde défilait.

Quoi qu'il en soit, conclut cependant M. Lardier, on ne trouve pas de filles réellement prostituées à la campagne, et cela se conçoit. Celles qui le sont déjà ou qui sont destinées à le devenir, émigrent sans tarder vers la ville où la clientèle est beaucoup plus rémunératrice.

La fille des champs, habituée aux durs travaux, a l'appétit charnel peu développé. Bien des servantes, cependant, en contact journalier avec le domestique de la ferme, finissent par se livrer. Cela est fatal; cela n'est plus de la prostitution..... > Il est encore une autre raison qui explique pourquoi, au village, la prostitution n'est guère possible. Le paysan, qui fera, à l'occasion, sous l'empire de l'excitation du moment, quelque sacrifice à la prostitution de la ville, ne comprendrait pas qu'une fille de village puisse exiger de son pair < une rémunération pécuniaire; la chose lui paraît impossible. Et comme d'autre part la fille, à laquelle manque l'appétit sexuel, répugne à s'offrir gratuitement, »— - il s'ensuit que les mœurs restent fatalement chastes.

Si la prostitution n'existe, à vrai dire, pas d'ordinaire au village, Lardier la signale comme très florissante au chef-lieu de canton. Aux jours de foires

et de marchés, le paysan se rend à la petite ville, sa voiture pleine de denrées, de céréales, et, les marchés terminés, se trouve à la fin de la journée la bourse bien garnie. Dès le matin, il n'a cessé de boire, courant de café en brasserie, et sous l'influence de l'excitation alcoolique, des propos salés, cet homme à qui les travaux fatigants des champs, l'absence de stimulants matériels et moraux ont fait un tempérament frigide, sent surgir violemment en lui l'appétit sexuel. Le domicile de la femme est depuis longtemps connu. C'est dans les causeries de voisin à voisin, le dimanche soir, dans l'atmosphère enfumée de l'auberge du village, que se sont faites les confidences. « Le jeune homme, prenant de l'importance parce qu'il est ivre, donne à l'homme déjà vieux, au veuf depuis peu consolé et qui déjà se gaudit d'aise, l'adresse de l'impure. L'indication est précise, la mémoire est excellente, et à la foire suivante, malgré la titubation, le vieux néophyte frappera, sûrement et sans peur d'errer, à la porte de celle qui, dorénavant, pourra être considérée comme fournissant le village. »

En d'autres circonstances, le D' Lardier a encore observé ces explosions amoureuses chez le campagnard, le jour d'une noce au village: on connaît les repas gargantuesques et les libations pantagruéliques inséparables de tout mariage à la campagne, dit-il, les repas et les beuveries de 36 et 48 heures. Au milieu, à la fin de ces longues agapes, il a vu des hommes à cheveux blancs,

ayant dépassé la soixantaine, ne craignant pas, en plein hiver, de faire à pied quatre et cinq lieues pour satisfaire le besoin du moment ».

Si l'expédition n'a pas été heureuse, si le paysan a été contaminé plus ou moins gravement, il suit minutieusement le traitement prescrit par le médecin de la ville voisine, et ce, jusqu'à la guérison définitive. En général, il ne fait pas comme le soldat de la ville de garnison, de qui émanent toutes les dénonciations dont se sert le police des mœurs pour procéder à ses captures; il n'incrimine pas la femme de qui lui vient son mal; il se dit même philosophiquement que la faute doit en revenir à lui seul, à son état d'ivresse ce qui ne l'empêchera pas (détail bien caractéristique), perfidement adroit et dissimulateur à l'occasion, de pousser son voisin à faire la même visite citadine. Ce lui semble une bonne plaisanterie de voir cet ami courir le même risque et recevoir la même éclaboussure.

Cependant, si c'est un jeune garçon qui est atteint, après mainte escapade dans les bois environnants ou les cabarets écartés, il n'est pas rare de voir le père partir pour la ville, après avoir obtenu de son fils le nom et l'adresse de la femme, et là, faire grand tapage chez le commissaire de police.

Aussitôt, comme on pense bien, la police part à la chasse de l'inculpée, « la fait enlever par un agent, dans un bal ou chez elle, requiert un mé

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