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On verra plus loin que, dans le milieu du siècle suivant, cette église fut augmentée par Thomas, abbé des Châtelliers. L'auteur des Observations sur la fondation de l'abbaye des Châtelliers suppose que cette église est la même que celle «< qui subsiste encore aujourd'hui », dit-il; c'est-à-dire que l'église dont let portail et les murs en ruines se voient à gauche de l'ancien logis abbatial et des lieux réguliers. Nous avons peine à admettre cette opinion qui cadre mal avec les caractères de l'architecture de cet édifice, aujourd'hui presqu'entièrement démoli, qui ne semble pas remonter plus haut que la fin du moyen âge. Nous savons, en effet, que lors de la guerre de cent ans (1) et plus tard dans les guerres de religion, l'abbaye eut à subir le pillage et l'incendie. On est en droit d'en conclure que l'église dut vraisemblablement être rebâtie vers cette époque. Quant à l'église élevée au XII® siècle par le premier abbé des Châtelliers, et embellie dans le siècle suivant par Thomas, son successeur, nous pensons que ce sont les restes de cet antique édifice qui servent aujourd'hui de bâtiments d'exploitation au fermier du domaine des Châtelliers. De distance en distance, les murs de ces bâtiments présentent, en effet, des pierres sculptées en forme de chapiteau, dans le style du XIIe siècle, et des naissances de voûtes dont deux sont en plein cintre et deux autres en arc brisé. A l'époque où cet édifice perdit sa destination primitive, l'intervalle des pilliers jusqu'à la hauteur des voûtes, fut masqué par de la maçonnerie et des petites portes en ogive y furent ménagées. Le bâtiment ainsi transformé que l'on remarque à gauche, à l'entrée de la ferme, nous paraît représenter un des bas-côtés de l'église : le reste a été démoli et l'on distingue seulement au milieu de la charrière qui passe devant ces bâtiments quelques vestiges des piliers de l'autre côté de la nef.

A peu de distance de là, sur la droite, on remarque la porte de l'ancien pont-levis, car l'abbaye était autrefois protégée par une enceinte de fossés. Au dessus de ce porche, voûté en ogive surbaissée et soutenu par quatre piliers massifs en granit, se trouve

(1) V. Cartulaire des Châtelliers, page 169, an. 1430.

une petite chambre désignée sous le nom de chambre de saint Bernard. Ce porche, il est vrai, ne semble pas remonter au-delà du XVe siècle et ne saurait, par conséquent, être regardé comme contemporain de saint Bernard. Toutefois, quoique matériellement inexacte, cette tradition n'en atteste pas moins le souvenir d'un événement historique dont l'abbaye des Châtelliers fut le théâtre en 1131.

L'élection simultanée d'Anaclet et d'Innocent II au trône pontifical, en 1430, avait jeté le plus grand trouble dans toute l'étendue de la chrétienté. Tandis que le premier était acclamé par presque toute l'Italie, le second, obligé de s'enfuir de Rome, se voyait réduit à implorer la protection du roi de France. Louis VI et son ministre Suger se montraient indécis; un grand nombre d'évêques anglais étaient hostiles; un moine, dont le nom remplit l'histoire de la moitié du XIIe siècle, saint Bernard, fit pencher la balance en faveur d'Innocent qui, grâce au prestige irrésistible de l'éloquence et de la vertu de l'abbé de Clairvaux, se vit reconnu seul légitime pape par la majorité des prélats français dans l'assemblée d'Etampes.

Cependant l'Aquitaine et la province ecclésiastique de Tours, bien plus, toute la région d'au delà de la Loire, moins par conviction peut-être que pour faire acte d'opposition à l'influence française et à l'autorité royale, qui chaque jour gagnait du terrain, s'obstinaient à ne pas reconnaître Innocent II. A la tête de ce parti étaient l'ambitieux Gérard, évêque d'Angoulême, légat du saint-siége sous le pape précédent, et Guillaume X, duc d'Aquitaine. On sait quel était ce prince, le plus puissant feudataire de la France, qui par ses vices, par son courage, par sa cruauté, par sa taille de géant, nous apparaît au milieu du moyen-âge comme le type de la force brutale et de la barbarie triomphante. Aussi l'imagination populaire, dans les drames bretons, s'est-elle emparée de ce nom pour personnifier le génie du mal.

Tel était l'adversaire contre lequel osa se mesurer seul à seul le pieux abbé de Clairvaux. Chargé avec Josselin, évêque de Soissons, par les pères du concile de Reims, d'amener la soumission de l'Aquitaine, Bernard avait accepté sans hésiter cette mission.

périlleuse. « Vers le milieu de l'année 1131, dit un écrivain de nos jours, auteur d'une histoire étendue de saint Bernard et de son temps (1), il arriva sur les terres du duc d'Aquitaine, et descendit, avec l'évêque de Soissons, dans un monastère de son ordre, aux Châtelliers, près de Poitiers (2). Là, sans perdre un moment, il avise au moyen d'obtenir une entrevue avec le souverain. Il dédaigne les voies obliques, et, se confiant en là toutepuissance de la grâce, il va droit au but, et fait prier le prince de se rendre aux Châtelliers. Cette démarche hardie étonna même les religieux. Mais Guillaume n'a pas plutôt lu la lettre d'invitation, qu'à la surprise de tout le monde, il se dirige seul vers le monastère, et demeure sept journées entières auprès de l'homme de Dieu. Chose admirable! le cœur de ce prince, comme le métal exposé aux rayons du soleil, devint brûlant et sembla se fondre sous l'action vivifiante de la parole apostolique. Il ne quitta le saint qu'après lui avoir promis par serment de réparer ses désordres et de faire pénitence. Ce n'était pourtant pas encore le triomphe de la grâce. — Guillaume, à peine rentré dans son palais, se refroidit, manqua de courage, et prêta l'oreille aux perfides conseils de l'évêque d'Angoulême, etc. »

Ce passage, qui n'est que la traduction légèrement amplifiée du

(1) Ratisbonne, Histoire de saint Bernard et de son siècle. (T. I. p. 318, 319.) Paris. Poussielgue Rusand, 1864, 2 vol. in-12.

(2) Par suite d'une distraction facilement excusable, le texte de M. Ratisbonne porte « à Châtelliers, près de Poitiers. >> M. l'abbé Auber, dans sa dissertation intitulée Saint Bernard et Parthenayle Vieux, publiée dans les Bulletins de la Société des Antiquaires de l'Ouest (4o trimestre 1861), n'a pas manqué de relever une erreur plus grave commise, au sujet de cette abbaye, par les divers commentateurs de la vie de saint Guillaume, par Théobald. « Théobald, le biographe de saint Bernard (1), dit M. l'abbé Auber, omet de nommer le monastère où il raconte que le saint fit venir le comte de Poitiers. Ses annotateurs y suppléent; mais, beaucoup mieux informés, ils indiquent la véritable distance qui sépare de Poitiers l'abbaye des Châtelliers, en la plaçant à 30 mille pas ou 7 kilomètres et demi de cette ville. (V. Bollandi Acta SS. T. V. p. 454. E. F.) »

(1). C'est le biographe de saint Guillaume, ermite » (lequel n'est autre que Guillaume X, duc d'Aquitaine), qu'a voulu dire M. l'abbé Auber, qui cite à la fin de cette note un fragment de cette Vie de saint Guillaume par Théobald..

récit de l'hagiographe Théobald (1), peut donner lieu à quelques remarques en ce qui concerne notre sujet. Notons d'abord que le texte de Théobald porte simplement que cette entrevue célèbre du duc Guillaume avec saint Bernard eut lieu dans un monastère de son ordre, nouvellement établi en Poitou. » Le P. Ange Manrique, dans ses Annales cistercienses, a été le premier à appliquer cette désignation vague à l'abbaye des Châtelliers. Cette assertion du père Manrique, fondée vraisemblablement sur quelque tradition positive conservée parmi les Cisterciens et parmi les religieux des Châtelliers, nous paraît digne de confiance, mais elle n'en soulève pas moins une difficulté assez sérieuse. D. Estiennot et les savants auteurs du Gallia christiana vetus et du Gallia christiana nova, affirment en effet que l'abbaye des Châtelliers ne fut affiliée à l'ordre de Cîteaux que le XIII des calendes de février 1162 (v. s.). Il en résulterait que le récit de l'historien Théobald est erroné, puisque, d'après lui, l'abbaye où descendit saint Bernard appartenait à son ordre dès l'année 1134. Quoiqu'il eût le texte de Théobald sous les yeux, M. l'abbé Auber admet sans hésiter l'opinion des Bénédictins. L'argumentation ingénieuse à laquelle se livre à cette occasion M. l'abbé Auber semblait néanmoins devoir le conduire à une conclusion différente. Voulant

(1) Nous croyons utile de reproduire en note le texte de ce passage: << Missi sunt a latere Innocentii papæ, tunc agentis in Gallias, B. Bernardus, atque venerabilis Joslinus Sueessionensis episcopus, ut tam ipsum (Gerardum santonensem episcopum), quam principem Wilhelmum super his constanter convenirent. Qui Pictaviam usque pervenientes, prædicto invasori salutaribus monitis suaserunt, sed non persuaserunt. Interea dum haec agerentur, abbas sanctus in quodam monasterio ordinis sui, constructo de novo in Pictaviâ, morabatur. Qui de Domini misericordia confisus, nuncium ad comitem direxerat intrepidus, supplicans ut ad se necessariæ collocutionis gratia, dignaretur properare. Quem mox comes ut audivit, deposita quodammodo ferocitate leonina, et assumptâ mansuetudine columbina vel ovina... Inclusumque septem diebus continuis in quodam (1) loco secretiori comitem, de morte, vitâ, de pœnis malorum et præmiis bonorum, suo illo modo ignito ardenter tepidum instruebat. (Vita S. Guilielmi eremite, X Februari, auctore Theobaldo, apud Bollandi Acta sanctorum Tom. V, p. 454, E. F.)

(1) Castellare id vocat Manrique an. 1128 extructum ad Clani fluvii fontes, 30 millibus passuum ab urbe Pictavorum versus occidentem. (G. Henschenii Commentarius prævius.)

prouver que, lors de sa seconde entrevue avec Guillaume X, en 1436, saint Bernard choisit de préférence le prieuré de Parthenayle-Vieux, au lieu de Notre-Dame-de-la-Coudre, comme le veut la tradition parthenaise, l'auteur emploie le raisonnement suivant, qui explique d'une façon fort plausible pourquoi le pieux abbé de Clairvaux s'arrêta aux Châtelliers plutôt qu'à Saint-Maixent, par exemple, ou à Poitiers.

« C'est, dit M. l'abbé Auber, un de ces mille arguments qui ne peuvent guère venir à qui n'a pas étudié la théologie et l'histoire de l'église, et en maintes autres circonstances nous aurions lieu de faire la même remarque. Sachons donc que toutes les règles des ordres religieux calquées, depuis la fin du VII° siècle, sur celle de saint Benoît, que suivait saint Bernard, ordonnent aux frères de ne chercher l'hospitalité pendant leurs voyages que dans les couvents de la même famille, s'ils le peuvent, et s'ils n'en trouvent pas, au moins dans quelque monastère qui veuille bien la leur accorder... Toute la vie, tous les écrits de saint Bernard disent qu'il dut se conformer à cette loi, que maintes fois il recommande aux autres, comme on peut le voir dans plusieurs de ses traités doctrinaux. Cet amour de la discipline allait en lui jusqu'à le diriger vers tout monastère qui se rencontrât sur sa route, à défaut de ceux de son ordre, beaucoup moins nombreux de son temps qu'ils ne le furent bientôt après sa mort : si bien qu'en 1434, lorsqu'il vint en Poitou, pour s'y entretenir avec Guillaume X, des progrès du schisme, ce fut à l'abbaye des Châtelliers, laquelle * n'était pas encore incorporée à son ordre, qu'il voulut descendre de préférence. L'humilité du saint eût-elle redouté l'accueil somptueux du comte de Poitiers, ou craignait-il de n'avoir pas chez un tel hôte toute l'indépendance que sa conscience voulait garder? Ces deux motifs pouvaient lui être d'un poids égal, mais le respect de la règle en fut un autre non moins grave à ses yeux; et il fallut bien qu'il en fût ainsi, pour qu'il se décidât à prier le prince de se rendre près de sa personne aux Châtelliers même, c'est-àdire à sept lieues et plus de la grande cité. >>

Les réflexions judicieuses de M. l'abbé Auber, qui viennent si à propos confirmer le témoignage de Théobald et du P. Manrique,

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