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Il y a là plusieurs inexactitudes. Bien qu'elles ne soient pas importantes au point de vue de leurs conséquences, néanmoins nous croyons devoir les relever.

Nous avons vu comment on peut concilier l'assertion de l'ancienne chronique avec le récit de Manrique et faire concourir les dates de 1125 et 1435 dans l'exposé de la transformation de ce monastère et de son entrée dans l'Ordre qu'illustrait saint Bernard. Mais, quant à la charte de fondation concédée par Amédée III, elle est évidemment postérieure à ces deux dates.

En effet, Vivian, l'ami de saint Bernard et le coopérateur de ses desseins, fut abbé d'Hautecombe jusqu'en 4439. Alors seulement Amédée d'Hauterive lui succéda; il ne put donc recevoir l'acte de fondation avant cette date.

Un auteur de la fin du siècle dernier 1, suivi dans quelques notices plus récentes 2, put éviter ces contradictions, en avançant que Vivian était le successeur et non le prédécesseur d'Amédée d'Hauterive.' Les partisans de cette opinion se basent, d'une part, sur la prétendue date de 1425, qui serait apposée à la fin de la charte de donation de la terre de Charaïa, faite par Amédée III, comte de Savoie, à saint Amédée, abbé d'Hautecombe; et d'autre part, sur la lettre de saint Bernard, relative à Vivian, dont nous avons parlé plus haut3.

Toute cette divergence d'opinions a été causée par Guichenon. Dans le volume des preuves de l'Histoire de la Maison de Savoie, il a publié l'acte de fondation de

'BESSON, Mémoires ecclésiastiques.

2 VIBERT, Notice sur la royale abbaye d'Hautecombe, 1826. — JACQUEMOUD, Description historique de l'abbaye royale d'Haucombe, 1843; et plusieurs auteurs d'itinéraires.

'Lettre 54.

l'abbaye d'Hautecombe, et il a cru devoir y ajouter de sa propre autorité la date de 1125, bien qu'elle n'existât nullement dans l'original. Il l'avoue lui-même dans son récit du règne d'Amédée III'. Mais, dit-il, par les circonstances que cet acte contient, par la confirmation qu'en fit Arducius, évêque de Genève, et par les autres titres du monastère d'Hautecombe, on apprend qu'il eut lieu l'an 1125.

Or, il y a là une erreur évidente.

Arducius fut évêque de Genève de 1135 à 1483 2. Par conséquent, cette confirmation, qui, du reste, ne porte pas de date, ne peut prouver que la donation remonte à l'an 4125. Elle indiquerait, au contraire, qu'elle eut lieu sous son épiscopat et par conséquent au plus tôt en 4135 ; l'absence de confirmation de cette donation de la part du prédécesseur d'Arducius conduit à la même conclusion.

Les historiens sont unanimes à reconnaître qu'Amédée était abbé d'Hautecombe en 1144, quand il fut appelé au siége épiscopal de Lausanne. Or, par la lettre 54o de saint Bernard, il est constaté que Vivian était abbé en 1436. Il a donc précédé saint Amédée.

De plus, nous verrons que saint Amédée ne commença son noviciat à Clairvaux qu'en 1125. Il ne pouvait donc pas ètre abbé d'Hautecombe cette même année.

Enfin cette même lettre de 1136, qu'invoquent les partisans de l'opinion contraire, nous sert de preuve contre

eux.

Par cette lettre, saint Bernard recommande Vivian, abbé

1 Page 224.

Régeste genevois, publié par la Société d'histoire et d'archéologie de Genève, 1866, p. 82 et suivantes. Lettres 27 et 28 de saint Bernard au même Arducius.

d'Hautecombe, à Haimeric, chancelier de l'Église romaine à cette époque. Or, Haimeric paraît pour la dernière fois comme chancelier le 20 mai 1444. Par conséquent, la cessation des fonctions d'Haimeric prouve aussi que Vivian n'a point été abbé après 1444, et qu'il précéda Amédée, encore abbé d'Hautecombe au commencement de 1144 1.

Retenant donc que Vivian était abbé d'Hautecombe en 1435, et peut-être dès 1425, nous devons suivre l'opinion la plus probable et admettre avec Manrique qu'il conserva cette dignité jusqu'en 1139. Cette même année, saint Amédée lui succéda et reçut, pendant sa prélature, l'acte de fondation de la nouvelle abbaye, ou plutôt la confirmation de cette fondation, faite en 4435, probablement sans acte solennel. Ce qui le prouve encore, c'est que le titre de fondation parle d'une « terre appelée autrefois Charaïa et maintenant Hautecombe. » Ainsi, au moment où il fut passé (entre 1139 et 1444), le nom de Charaïa ou Charaya avait déjà été changé, et il l'avait été lors de l'arrivée des moines, qui précéda de plusieurs années la rédaction de ce titre.

D'après une chronique de l'abbaye de Fosseneuve, au diocèse de Terracine, ce dernier monastère aurait été fondé cette même année (1435), par une colonie venue. d'Hautecombe. Ce fait paraîtra peu vraisemblable quand on se rappellera que les statuts de l'ordre de Citeaux défendaient à tout abbé de recevoir une terre pour fonder un nouveau monastère, à moins que son abbaye ne possédat soixante religieux profès, et, d'autre part, que l'abbaye d'Hautecombe, à peine établie, était loin d'être prospère.

V. GRÉMAUD. Homélies de saint Amédée, précédées d'une notice historique; Romont, 1866. JAFFE, Regesta pontificorum romanorum, p. 560.

Il faut donc admettre que cette abbaye de Fosseneuve existait déjà avant cette époque et qu'elle ne fit alors que s'affilier à Hautecombe en embrassant la règle de Citeaux.

Son fondateur fut un des ancêtres de saint Thomas d'Aquin. Ce grand docteur de l'Église y mourut pendant l'année 1274, en se rendant de Naples au concile de Lyon. Cet événement, joint aux miracles opérés à son sépulcre et au souvenir du moine Gérard, sorti de Fosseneuve pour aller à Clairvaux et subir ensuite le martyre, a rendu ce monastère célèbre 1.

Du reste, il devint le centre de plusieurs abbayes. En 4162, celle de Curatium, au diocèse de Martorans, en Calabre, lui fut affiliée; en 1167, ce fut celle de Marmasol, au diocèse de Terracine; et, en 1179, celle de Ferraria, au diocèse de Tiano, qui vinrent augmenter son importance 2.

Si l'on en croit le P. Le Nain, Hautecombe aurait encore eu pour abbaye filiale, dès 1199, celle de Saint-Ange, en Grèce, dans le diocèse de Constantinople.

1 MANRIQUE, Annales cisterc., I, 302.

LE NAIN, Histoire de Citeaux.

HISTOIRE

DE

L'ABBAYE D'HAUTECOMBE

II PARTIE

Hautecombe sous les Abbés réguliers.

Connais-tu la chapelle où la foi de nos pères
A sculpté dans le marbre un peuple de héros,
Où les rois, humblement à genoux sur les pierres,
Interrogeaient la mort, au murmure des flots?

(VEYRAT, Station poétique à Hautecombe.)

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