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CHAPITRE V

Nouvelle communauté d'Hautecombe.

jusqu'en 1855.

Ses tiraillements

Il nous reste à dire quelques mots des cisterciens de la Consolata, appelés à Hautecombe pour y faire revivre les traditions des religieux auxquels Amédée III avait concédé la première charte de fondation de cette abbaye.

Cette communauté était entièrement composée de sujets italiens. Elle eut pour premier abbé Placide DesmaretzTingault, né à Pignerol, le 7 octobre 1762. Le chapitre général de l'ordre de Citeaux lui avait conféré le titre d'abbé, pour le mettre à la tête du nouveau monastère, où il ne resta qu'un an. Il mourut le 30 août 1827, à Vico, en Piémont.

Dans le courant du même mois, les supérieurs généraux de l'Ordre avaient fait la première visite régulière de l'abbaye. Ils recurent alors la démission de l'abbé Desmaretz et installèrent à sa place dom Arcasio1. Après avoir gouverné la communauté pendant deux ans et dix mois, il fut appelé à Rome en qualité de visiteur de l'Ordre et alla mourir à Montcrivel, dans le diocèse de Verceil, le 15 juillet 1834. Dom Émile Comino, né à Cherasco, le 11 novembre 1762,

1 Né à Turin le 4 novembre 1763.

père capucin avant la Révolution, très versé dans les sciences théologiques, prédicateur de mérite et religieux édifiant, succéda à dom Arcasio, en avril 1830. Ce fut sous sa prélature que prit naissance la délégation apostolique de l'archevêque de Chambéry.

La nouvelle communauté, toute italienne, se considérait comme en exil sur la terre de Savoie. Ses plaintes arrivérent jusqu'au roi qui en informa le Saint-Siége. Grégoire XVI ordonna à Monseigneur Martinet de faire une visite à Hautecombe, et, ensuite du rapport qu'il en reçut, il le nomma, par bref du 49 juin 1832, supérieur de cette maison, avec le titre de délégué apostolique. De cette époque date, pour l'abbaye, une période de transformations qui, malheureusement, ne purent jamais aboutir à un changement complet avant l'arrivée des moines de Sénanque. Le délégué apostolique y introduisit l'année suivante des novices de langue française, modifia le règlement intérieur, donna des lettres d'obédience à l'abbé Comino, qui passa le Mont-Cenis en octobre 1834, et nomma pour supérieur dom Marquet, avec le titre de prieur.

La communauté fut dès lors composée de Savoisiens et d'Italiens; les uns partisans du régime préconisé par le délégué apostolique, les autres attachés aux anciennes règles apportées de la Consolata.

Après dom Marquet, qui ne fit que passer, les fonctions de prieur furent remplies par Ilarion Ronco (1834-1840), Jean de La Croix (1840-1842), puis, par Claude Curtet.

En 1844, sur le conseil du delégué apostolique, très désintéressé de ses prérogatives sur l'abbaye d'Hautecombe, le prieur dom Claude et un autre religieux se -rendirent à Rome pour essayer de mettre fin aux divisions qui neutralisaient les forces vives de cette communauté.

A la suite de nombreuses démarches auprès du président général des cisterciens, le Père Tassini, et du cardinal Ostini, préfet de la congrégation des réguliers, les deux voyageurs vinrent rendre compte à Monseigneur Billiet, archevêque de Chambéry et délégué apostolique depuis 4840, de leurs observations sur le découragement de leurs frères d'Italie et sur les luttes qu'ils avaient eu à soutenir pour faire agréer leurs projets de réformation.

Quelques mois après (17 mars 1845), la cour de Rome déclarait terminée la délégation apostolique, réunissait de nouveau le monastère d'Hautecombe à ceux d'Italie, et le président des cisterciens invitait la communauté à choisir un de ses membres pour assister au chapitre général qui devait avoir lieu à Rome le 43 avril suivant.

Le prieur, dom Claude Curtet, fut député à cette assemblée et en revint avec le titre d'abbé et de prieur.

Mais l'abbaye d'Hautecombe était de patronage royal, et son deuxième fondateur s'était expressément réservé le droit d'en nommer et présenter le titulaire. Aussi, lorsque, en novembre 1847, pendant une visite régulière qu'il fit à Hautecombe, le vicaire général de l'ordre cistercien, l'abbé Marchini, bénit le nouvel abbé, il lui conféra le titre d'abbé in partibus de Luccedio, siége d'une ancienne abbaye du Piémont.

On touchait à une époque mémorable à bien des titres dans les annales savoisiennes. Les premiers mois de 1848 furent pour notre province une succession d'émotions les plus vives. La chute de Louis-Philippe, la promulgation du statut fondamental de la monarchie sarde, la première guerre de l'indépendance italienne, l'arrivée d'une bande d'individus partis de Lyon pour imposer la république à la Savoie, provoquèrent des perturbations telles, qu'elles fran

chirent les murs du monastère. Les religieux coururent un danger sérieux. Voisins de la frontière française, et plus voisins encore d'une population dont les sympathies étaient aussi suspectes que du temps d'Amédée d'Hauterive, ils crurent à une invasion de leur demeure dans la nuit du 3 au 4 avril. Une vingtaine d'habitants de la commune de Saint-Pierre de Curtille, passèrent la nuit tout armés sous les marronniers de la fontaine intermittente et ne se dispersèrent qu'à l'apparition de la dernière brigade de gendarmerie restant de ce côté-ci des Alpes, qui avait couché à Hautecombe, en allant rejoindre l'armée dans les plaines de la Lombardie.

Le Père abbé, dont les facultés mentales ne pouvaient résister à ces émotions, dut quitter l'abbaye, et mourut dans sa famille, à Saint-Pierre d'Albigny, vers la fin d'août 1853.

Un religieux qui portait dans le monde le nom de Justin Gotteland, né à Saint-Baldoph, vers la fin du siècle dernier, d'abord militaire sous le premier empire, puis capucin au couvent de la Roche, entré au noviciat d'Hautecombe le 31 mars 1834, et qui prit en religion le nom de dom Charles, fut appelé à diriger le monastère, d'abord en qualité de prieur claustral, puis en vertu de pouvoirs spéciaux qui lui furent conférés par le Père Bottino, abbé de Mondovi1, communauté à laquelle était rattachée celle d'Hautecombe. Dom Charles conserva ces prérogatives jusqu'en 1851. A cette époque, le nouveau président général de l'Ordre, le Père Morsi, successeur de Marchini, fit une visite à Hautecombe et nomma aux fonctions de

1 Cet abbé, après avoir été procureur général de l'Ordre, à Rome, devint, à la suite du chapitre général de 1843, vice-président général pour les monastères du Piémont et procureur apud regem.

prieur dom Camille Bouvier, qui n'en resta investi que quelques mois.

Enfin, le 18 novembre de la même année (1851), dom Félix Prassone, prieur claustral de Mondovi, nommé abbé d'Hautecombe douze jours auparavant, prit possession de l'abbaye.

Il en fut le dernier abbé régulier. L'influence italienne allait renaître avec lui; de nouvelles réformes étaient projetées, lorsque l'orage qui grondait au-delà des Alpes paralysa tout mouvement; l'abbaye attendit dans le calme, précurseur de la tempête, le coup de foudre qui devait la faire périr, mais qui la rendit seulement agonisante pendant plusieurs années.

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