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Le bayle goûta leurs motifs: il répondit qu'il en instruirait le sénéchal, et qu'il se tenait prêt à obéir aux ordres ultérieurs 1.

Le sénéchal en référa au roi de France, qui, à son tour, apprécia l'argumentation. Les menaces qu'elle renfermait reçurent, du reste, aussitôt un commencement d'exécution: quand Philippe de Valois, quelques jours après, ayant besoin d'argent pour combattre l'Angleterre, en demanda au commerce de Montpellier, on lui répliqua nettement que le commerce de Montpellier n'existait plus. Il avait cessé, spécifiait-on, frappé à la fois par le préjudice des fréquentes mutations survenues dans les monnaies, et par l'impossibilité de se soumettre au monopole des deux capitaines Génois. Une ville dont la prospérité avait pour base le commerce, le commerce maritime surtout, subissait, atteinte par ces deux causes de ruine, avec les misères de la pauvreté, une totale impuissance à contribuer aux charges du royaume 2.

1 Arch. mun. de Montp., Arm. H, Cass. V, No 45, et Arm. Dorée, Liasse 8, No 3. Cf. Arch. départ. de l'Hérault, Collection de D. Pacotte, Tom. Ier. P. J., CXVI.

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2 « In singulis mutationibus monetarum prefati homines Montispessulani quamplurima perdiderunt, plus quam alii homines senescallie Bellicadri, cum omnes, vel quasi, mercatores existant..... Dixerunt se non posse facere predicta, quia, cum tota villa Montispessulani regatur et disponatur in mercaturis, presertim in illis que ultra et citra mare transferuntur, dictus dominus noster rex noviter ordinavit et precepit quod predicti mercatores Montispes

Il n'y avait guère d'objections capables de triompher d'une telle excuse; et il eût été imprudent à Philippe de Valois de n'en pas tenir compte, à la veille d'accomplir la réunion qu'il convoitait de la seigneurie de Montpellier à la couronne de France. Les rois de Sicile, d'Aragon et de Majorque récriminaient, de leur côté, contre l'exorbitant privilége accordé à Charles Grimaldi et à Antoine Doria, et la république de Gènes ellemême s'y montrait hostile. Le fin monarque envoya, pour sauvegarder sa dignité, des commissaires dans le pays', avec mission d'informer et de statuer sur la mesure en litige; puis, comme on devait s'y attendre,

sulani non possint navigare, seu mercaturas suas per mare portare, nisi in navigiis Anthonii Doria et domini Karoli Grimaudi Januensium, qui multa dampna et depredationes dictis mercatoribus intulerunt, propter quod dicti mercatores a mercando per mare penitus destiterunt. Et ideo, cum ipsi perdiderint majorem partem eorum que habebant, propter dictarum monetarum mutationes, et de eo modico quod eis remansit non possint libere nec comode mercari, dixerunt se non posse facere petita per dictum dominum senescallum, cum notabilis paupertas eos opprimens occasione premissorum prestet excusationem in premissis, dato, sed non concesso, quod alias tenerentur...... » Signification des consuls de Montpellier au sénéchal de Beaucaire Philippe de Prie du 9 mars 1339 (1340), Arch. mun. de Montp., Arm. G, Cass. I, No 7.

1 Raymond de Salges et Thomas de Garibaldi. Leurs lettres de commission subsistent dans nos Archives municipales, Arm. H, Cass. V, No 17, et sont à la date du 4 avril 1339 (1340). — P. J.,

CXVIII.

il révoqua ses lettres universellement impopulaires de monopole 1.

Cet épisode met en relief, avec l'importance des marchands de Montpellier, celle de la marine de Gènes. Car, s'il montre nos consuls et nos bourgeois pesant d'un poids considérable dans les décisions royales, il représente en même temps les Génois comme les dominateurs et les arbitres de la Méditerranée. La florissante république tenait réellement le sceptre de la mer, et semblait vouloir y faire la part, au gré de ses intérêts ou de son ambition.

Et son ambition apparaissait immense. C'était le temps où Gènes, à la suite d'une révolution bien connue, venait d'abolir l'ancien gouvernement des capitaines du peuple, pour lui substituer le gouvernement ducal. Dans l'entraînement fébrile de ce nouvel état de choses, elle ne raisonnait plus ses hautaines prétentions: elle voulait à toute force dicter la loi à quiconque courait comme elle la carrière du commerce. Son premier doge, Simon Boccanegra n'eut il pas l'insigne audace d'écrire, le 3 juin 1340, au sénéchal de Baucaire et aux consuls de Nimes que, « désirant vivre amiablement

1 Biblioth. impér. de Paris, Fonds de Languedoc, Tom. LXXXIV, fol. 169. Cf. Hist. gén. de Lang., IV, 547, où la révocation porte par erreur la date du 4 avril 1339. Elle appartient à l'année suivante, comme le prouve l'indication du 14 juin 1340 expressément contenue dans la sentence prononcée par les commissaires royaux, et annexée à l'acte de nos Archives municipales déjà cité, de l'Arm. H, Cass. V du Grand Chartrier. – P. J., exvar.

et en paix avec eux, mais ayant appris que plusieurs marchands de la sénéchaussée se livraient au négoce maritime, contrairement aux traités, en dehors de la permission des consuls et de la commune de Gènes, il les priait de se conformer sur ce point aux précédentes stipulations, sans quoi il ne leur répondait pas des éventualités »? - Et, à l'appui de, cette impérieuse requête, le fier doge adressa au sénéchal et aux consuls un extrait de l'accord, dont on se rappelle les inexécutables articles, conclu en août 1174, entre le comte de Toulouse Raymond V et les Génois 1.

Il fallait plus que de la hardiesse pour invoquer l'autorité d'un acte de circonstance comme celui-là. Mais qu'importait à l'irascible doge le caractère éminemment transitoire d'un pareil protocole? Le prince auquel obéissait alors la France méridionale ne s'y était-il pas engagé, en son nom propre et au nom de ses héritiers, à interdire aux marchands de ses domaines de négocier par mer sans l'agrément des consuls de Gènes, sous peine de saisie du tiers du capital2 et

1 Biblioth. impér, de Paris, Fonds de Languedoc, Tom. LXXXIV, fol. 168. Cf. Hist. gén. de Lang., IV, 517-548, et Ménard, Hist, de Nismes, II, 99.

2 Et non pas « sous peine de mort », comme l'écrivent les Bénédictins dans leur Histoire générale de Languedoc, IV, 518, et d'après eux Ménard dans son Histoire de Nismes, II, 99. Ils n'avaient sans doute pas vu le texte même invoqué par le doge : « Interdicam negociatoribus totius terre mee ire vel mittere, negociandi causa, per pelagus, sine licencia consulum comunis Janue

de confiscation de tout le gain réalisé? L'engagement existait; le parchemin s'en conservait dans les archives. Simon Boccanegra, tout plein de l'orgueil de ses nouvelles fonctions, et sacrifiant à l'idole de la faveur populaire, jusqu'à se couvrir de ridicule, l'avait déterré au milieu de la poussière des registres vermoulus. Bon gré mal gré, il s'opiniâtrait à raviver une lettre morte, sans se rendre raison du plus ou moins de possibilité de la faire revivre, sans savoir même si elle avait jamais véritablement vécu.

Non content d'adresser l'inqualifiable sommation au sénéchal de Beaucaire et aux consuls de Nimes, le présomptueux doge, afin que personne n'en ignorât, la notifia aussi au lieutenant du roi de Majorque à Montpellier, avec prière de contraindre, à leur tour, nos marchands à s'y soumettre. C'était bien mal choisir son monde. Les bourgeois de Montpellier, familiarisés par une longue habitude, et grâce à leur position exceptionnelle, avec une extrême liberté de parler et d'agir, repoussèrent vigoureusement ce nouveau joug. Élevant le ton de leur réplique à la hauteur de celui de la menace, ils répondirent que le comte Raymond V avait pu autrefois prendre l'engagement qu'on leur signalait, mais qu'ils n'avaient, quant à eux, été à aucune époque les sujets du comte de Toulouse, et que, d'ailleurs,

et majoris partis consiliatorum ipsorum. Eum autem qui contra fecerit, in tercia capitalis et toto proficuo puniam; vel, si ad manus Januensium pervenerit, licenter ab eis pena simili puniatur.»

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