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chrysobulle, qui leur fut remis en 1201, n'était qu'une ébauche des priviléges, que les Génois devaient obtenir par la suite des rois d'Arménie; car dans un autre chrysobulle, accordé par Léon II, on y remarque plusieurs concessions nouvelles, qui servent, pour ainsi dire, de corollaire au premier acte. De même, dans le privilége de Léon III et dans le résumé du diplôme de Héthoum II, nous voyons encore de nouvelles concessions, qui sont encore autant d'articles omis dans les deux premiers actes. Les priviléges accordés par les rois d'Arménie aux Génois sont au nombre de quatre, à savoir, les chrysobulles de 1201, de 1245, octroyés par Léon II, le privilége de 1288, concédé par Léon III, et un autre de 1289, dont le résumé nous a été conservé dans les Annales de Caffaro, et qui fut accordé par Héthoum II. Les clauses, qui sont stipulées dans chacun de ces actes, regardent le commerce, la condition des personnes, les propriétés, la justice, les droits de douane et de péage au passage des défilés et des rivières, à l'entrée et à la sortie des marchandises; enfin les concessions de territoires et de propriétés faites aux Génois.

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Dans les deux chrysobulles de 1201 et de 1215, il est d'abord établi, que les Génois auront le droit de circuler dans le royaume, d'entrer dans les ports et d'en sortir, de vendre et d'acheter sans payer de droits. Mais, comme il n'avait pas été question, dans le premier acte, des défilés, qui se trouvaient dans les domaines des barons feudataires, où les marchands avaient coutume d'acquitter certains droits de passage, il est dit expressément dans le diplôme de 1215, que les Génois ne payeront aucun droit en Arménie, sauf toutefois aux passages situés sur les terres d'Othon de Tibériade, d'Adam de Gastim, de Vahram de Gorigos et de Léon de Gaban, à moins cependant que ces différents fiefs ne fassent un jour retour à la couronne, auquel cas, le roi s'engage à n'exiger aucun droit sur les marchands génois, qui passeront par ces défilés. Les ambassadeurs génois ne demandèrent que beaucoup plus tard, qu'on diminuât l'impôt, qui pesait sur les marchandises, que les sujets de la république transportaient à travers le royaume, dans les états musulmans du voisinage. Dans le premier acte, Léon II accorde aux Génois, dans toute l'étendue de son royaume, une protection spéciale pour eux, leurs biens et leurs marchandises, en même temps que le roi se désiste complétement du droit de bris, qui pesait sur tous les navires génois, qui pouvaient faire naufrage sur les côtes de son royaume. Le même acte stipule également, que les différends, qui surgiraient entre les Génois et des étrangers à leur commune, seraient jugés par la haute-cour du roi. Il est dit encore, dans le même privilége, que si un Génois était dépouillé par un malfaiteur, le roi lui ferait rendre ses biens ou ses marchandises, sans exiger de droits. En accordant aux Génois un tribunal pour vider leurs différends, le roi, dans un second chrysobulle, s'était cependant réservé le droit de juger les cas de vol ou de meurtre, dont il n'avait

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pas revendiqué la compétence dans le premier acte. Les dispositions relatives aux droits de succession n'apparaissent qu'en 1288, dans le privilége de Léon III. Il y est dit, que si un Génois meurt ab intestat, ses biens seront remis aux Génois; et si un Génois, ayant épousé une Arménienne, possède des biens personnels et vient à mourir sans héritiers ou ab intestat, ses biens appartiendront à la république, et les possessions, qui lui viennent du chef de sa femme, feront retour au domaine royal. Quoi qu'il ait été bien établi, que les Génois ne payaient aucun droit à l'entrée et à la sortie des marchandises dans le royaume, et que ce fait soit aussi établi par Pegolotti dans sa Pratica della mercatura', il paraît cependant évident, que ceux-ci étaient astreints à payer certains droits de douane, longuement énumérés dans le privilége de 1288. On ne s'expliquerait pas cette contradiction, qui résulte de la lecture de ce dernier acte comparé aux deux premiers, si l'on n'admettait que les Arméniens exigeaient deux sortes de droits : les droits fixes et les droits proportionnels ou ad valorem. Les droits fixes sont ceux, que devaient acquitter sans exception, les peuples, qui n'avaient pas reçu de la puissance souveraine l'entière franchise des douanes; ils pouvaient s'élever depuis un jusqu'à quatre pour cent, tandis que les droits proportionnels ou ad valorem étaient obligatoires, sans exception, pour tous les peuples et dans la même proportion. Nous reviendrons sur cette question dans le chapitre, que nous avons consacré au

commerce.

Dès l'année 1201, les Vénitiens obtinrent des rois d'Arménie des priviléges fort étendus, et ils les firent renouveler à l'avénement de chaque nouveau souverain. Les chrysobulles, qui contiennent l'énumération des concessions accordées par le pouvoir souverain aux Vénitiens, sont au nombre de six: le privilége de 1201, octroyé par Léon II; celui de 1245, donné par Héthoum et Isabelle; celui de 1271, concédé par Léon III; celui de 1307, octroyé par Léon IV; celui de 1321, que les baïles ou régents du royaume pour Léon V, délivrèrent au nom de ce prince, et enfin celui de 1333, que le même souverain fut forcé d'accorder aux Vénitiens, sur les pressantes instances de leur doge. Tous ces chrysobulles sont rédigés à peu près dans le même sens, et semblent être une répétition les uns des autres. Pour se mettre complétement au niveau de la manière de gouverner et d'administrer des princes franks de Syrie, Léon II permit aux Vénitiens, comme il l'avait fait précédemment pour les Génois, de venir se fixer dans son royaume, et de s'y livrer au commerce. Dans tous les chrysobulles, on lit une clause, qui autorise les Vénitiens à circuler dans tout le royaume, avec ou sans marchandises, à faire le commerce d'importation et d'exportation, à vendre et à acheter sans payer

1 Ermenia, §. 3.

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de droits, sauf toutefois s'ils passaient par la Portella, où ils devaient acquitter le péage du défilé. Une autre réserve est faite pour le cas, où les Vénitiens apporteraient de l'or et de l'argent pour frapper monnaie, ils devaient alors payer le même droit qu'à Acre; mais si les métaux précieux, qu'ils introduisaient dans le pays, ne devaient pas être convertis en numéraire, les Vénitiens n'avaient à acquitter aucun droit. Pegolotti, dans sa Pratica, corrobore par son témoignage cette clause de l'acte, en disant toutefois que les Vénitiens sont tenus de payer un pour cent de pesage, pour les métaux précieux, qu'ils apportent en Arménie. Les Vénitiens pouvaient encore traverser le royaume, pour se rendre dans les pays musulmans du voisinage avec leurs marchandises, et y rentrer ensuite, sans être assujettis à aucune taxe. Le roi s'engageait à leur accorder aide et protection, dans le cas, où ils seraient attaqués ou dépouillés pendant leurs voyages, à punir les coupables et à faire restituer les objets volés. A partir du règne de Léon IV, qui renouvela les priviléges des Vénitiens, on vit de nouvelles concessions apparaître dans les chrysobulles; ainsi les marchands de Venise eurent le droit de demeurer tant qu'ils voudraient dans le royaume, et ne furent plus exposés à être violemment expulsés de leurs demeures par les officiers du roi, sous les prétextes les plus futiles. Cependant, les Arméniens cherchaient à entraver par tous les moyens possibles l'immense développement, que le commerce de Venise prenait chaque jour en Cilicie, et les vexations devinrent tellement intolérables, sous le règne

de Léon V, que le gouvernement de la République dut prendre des mesures

pour faire cesser les exactions des officiers du roi et rendre aux Vénitiens la liberté commerciale, dont ils jouissaient antérieurement. Le doge adressa des représentations à la cour de Sis, et elles eurent pour résultat d'obtenir un chrysobulle, qui rendait toutes les facilités au commerce des sujets de Venise, et abolissait les droits sur les métiers à tisser les étoffes, les tavernes, les cuirs, fourrures et pelleteries, les draps, les laines, etc. Ces mesures ne profitèrent pas beaucoup dans la suite aux Vénitiens, car l'Arménie, déjà en décadence, devait succomber bientôt sous les efforts des Musulmans conjurés contre elle. Le droit de bris, aboli en 1201, en faveur des Vénitiens, était un bienfait partiel pour les navigateurs de l'Occident, car les autres nations y étaient encore soumises, ainsi qu'au droit d'aubaine, dont le roi Léon II se désista aussi la même année. En Arménie, comme dans les États de la Syrie chrétienne, la justice était un privilége exclusif de la couronne, mais le prince pouvait déléguer ses pouvoirs à des tribunaux et à des juges spéciaux, selon la gravité des crimes ou des délits. La justice du roi s'étendait donc aussi bien sur ses sujets, que sur les étrangers; cependant les chrysobulles accordés aux Vénitiens modifièrent cette législation. Sous le règne de Léon II, lorsqu'un différend quelconque surgissait entre des Vénitiens, l'affaire était .

jugée par des arbitres choisis parmi les gens de cette nation, et à leur défaut par l'archevêque de Sis. Sous le règne de Héthoum I", une modification fut introduite: quand il ne se trouvait pas en Cilicie d'arbitres vénitiens, le roi nommait un arbitre à son choix, qui décidait de l'affaire. À partir du règne de Léon III, époque à laquelle la République envoya des baïles en Arménie, les différends, qui surgissaient entre des Vénitiens, étaient jugés par le consul et ses prud'hommes. Quand il y avait meurtre d'un étranger par un Vénitien, la haute-cour du roi était seule compétente pour juger le criminel. Le code de Mékhitar Koche dit en effet que les cas de meurtre, et en un mot la législation du sang, appartiennent de droit à la justice royale.

Parmi les nations les moins favorisées, c'est à dire celles qui, en Arménie, ne jouissaient pas des immenses avantages accordés par le pouvoir royal aux Génois et aux Vénitiens, il faut citer en première ligne les Pisans. Ces navigateurs paraissent avoir peu fréquenté les domaines des rois de Sis, et n'avoir entretenu avec les Arméniens que des rapports momentanés. Ils avaient cependant des représentants dans la Cilicie, et même un consul; mais leur commerce semble avoir été principalement florissant en Syrie. Cependant Pegolotti nous apprend, que les Pisans avaient obtenus des facilités pour leurs nationaux, qui payaient, il est vrai, un droit de deux pour cent sur la valeur de leurs marchandises, à l'entrée et à la sortie du royaume. Aucune pièce relative aux négociations de l'Arménie avec Pise ne nous est parvenue, mais on peut conjecturer, qu'il existe dans quelque dossier inexploré des archives de Florence ou de Pise, des actes relatifs aux concessions, que Pegolotti nous dit avoir été faites par les rois de Sis à la République pisane.

Les Siciliens n'eurent jamais d'établissements fixes en Cilicie, et ce ne fut guère qu'à partir du règne de Léon V, et par suite du mariage, que ce prince contracta avec la fille du roi Frédéric I", que les marchands de la Sicile dirigèrent leurs opérations du côté de l'Arménie. Soumis à des droits assez onéreux, les Siciliens n'obtinrent qu'en 1330 une modification des tarifs auxquels ils étaient primitivement assujettis. Ainsi, on sait par Pegolotti, que les peuples qui n'avaient pas obtenus de priviléges acquittaient un droit de quatre pour cent à l'entrée et à la sortie de leurs marchandises. Par son chrysobulle, Léon V fixa pour les Siciliens le droit à deux pour cent, augmenté d'un pour cent de courtage; de plus, il leur donna sa protection comme aux peuples étrangers les plus favorisés. Cependant, il décida que les délits commis par eux seraient jugés par sa haute-cour, et qu'il en serait de même pour les différends, qui s'élèveraient entre les sujets siciliens, établis en Arménie. Cette clause indique que les Siciliens n'avaient pas d'établissements fixes en Cilicie, et que leur gouvernement n'entretenait pas de consuls dans ce pays. Il était encore stipulé dans les chrysobulles, que les dommages causés par un

Sicilien à la couronne ou à des Arméniens, seraient constatés par la hautecour du roi, et que si l'auteur du délit était insolvable ou absent, les Siciliens présents dans le pays seraient responsables de la contrevaleur envers les plaignants. Quelques années après avoir obtenu ce privilége, il paraît que les Siciliens obtinrent une diminution sur les droits, qu'ils étaient obligés de payer à la douane royale, et qu'ils ne durent plus, au dire de Pegolotti, acquitter qu'un pour cent sur la valeur de leurs marchandises. De cette manière, ils étaient traités à peu près sur le même pied, que les nations les plus favorisées.

La Compagnie commerciale des Bardi de Florence, qui avait des comptoirs dans les principaux centres marchands de la Méditerranée, obtint en 1335, de Léon V, par l'intermédiaire et à la sollicitation du facteur de la société en Chypre, Balducci Pegolotti, auteur de la Pratica della Mercatura, un chrysobulle, qui exemptait de tous droits, les marchandises importées ou exporteés par ses navires en Cilicie. Cette faveur insigne tenait, sans aucun doute, à un prêt en nature, que la Compagnie avait fait à Léon V, à un moment, où le trésor royal avait été épuisé par suite des guerres avec les Musulmans et des tributs que ce prince avait dû acquitter. Le monarque arménien, pour satisfaire aux exigences de la situation avait très-vraisemblablement accordé aux Bardi une faveur hors ligne, qu'en toute autre circonstance il aurait certainement refusée aux Génois et aux Vénitiens.

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Les relations commerciales des Provençaux avec l'Arménie sont attestées par beaucoup de monuments historiques. Pegolotti mentionne, dans sa Pratica, les gens de Nîmes et de Montpellier, comme faisant un commerce assez actif avec l'Arménie, et Sanuto donne le nom d'un port de la Karamanie, qui était fréquenté par les navigateurs de la Provence et qui s'appelait le Port provencal & portus provensalium». Ce fut seulement sous le règne d'Ochin, en 1314, que les marchands de Montpellier obtinrent un privilége, qui réduisait pour eux, de quatre à deux pour cent, les droits qu'ils devaient acquitter à la douane de Lajazzo. Ce privilége fut renouvelé par les régents du royaume pour Léon V, qui octroyèrent la même faveur à ces marchands du midi de la France. Les Peruzzi de Florence, les Catalans, obtinrent aussi une semblable diminution vers le même temps; mais les actes en vertu desquels cet avantage fut stipulé, ne nous sont point parvenus.

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