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précieux de son trésor. Cet usage de faire graver les principaux traits de l'histoire d'une nation, au moyen d'inscriptions murales, était non seulement particulier à l'Arménie dans l'antiquité, mais encore à tous les peuples de l'Orient en général'. Au moyen-âge, il existait aussi, mais il était d'un emploi plus restreint. Sous le gouvernement des Arsacides Arméniens, à l'époque des Bagratides et même sous les Roupéniens, les Arméniens avaient l'habitude de faire graver sur les murailles des édifices religieux les actes de l'autorité souveraine, et les donations, qu'ils faisaient aux saints et aux églises.

Bien que cet usage fût spécial à l'Orient au moyen-âge, on en trouve cependant en Europe quelques exemples, dont les plus remarquables sont : à Mistra dans le Péloponèse, la colonne d'une église sur laquelle on lit, comme dans les chartes, les donations faites au Chapitre, dans le courant du XIII siècle; en France, les chartes lapidaires de Pierrelatte et de Mervillers", qui remontent au XII° siècle; en Italie, plusieurs inscriptions analogues, dont on trouve la mention dans les œuvres de Dom Mabillon, de l'abbé G. Marini3, et des Bénédictins, auteurs du Nouveau traité de Diplomatique".

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Cette coutume de graver le texte des donations faites aux églises, aux monastères et hôpitaux sur les murailles mêmes des édifices, avait non seulement pour but d'assurer l'exécution du contenu des actes, mais encore elle avait l'avantage de perpétuer la mémoire d'une offrande pieuse, qui relatait le nom du fondateur, la date et les clauses de la donation. Par ce moyen, les inscriptions gravées sur les murailles extérieures d'un édifice religieux, pouvaient, à défaut des actes originaux, tenir lieu de Cartulaire, et les titres se trouvaient ainsi à l'abri des nombreuses causes de destruction nées du malheur des temps. Aujourd'hui, que nous ne possédons plus les registres qui étaient gardés dans les archives des églises et des monastères, nous avons,

3 Michel le Syrien, (Chronique Syriaque manuscrite, traduite en arménien), parle des inscriptions, qui existaient en Cilicie, sur les édifices religieux, qu'avait dotés Léon II.

4 Buchon, la Grèce continentale et la Mo

1 Cf. les inscriptions des campagnes des rois de la XVIIIe de la XIXe et de la XXe dynasties égyptiennes dans le grand ouvrage sur l'Egyple, de M. Lepsius; dans l'Histoire de l'Égypte, de H. Brugsch, pg. 104 et 128; enfin le texte de l'inscription de Béhistoun, ou Darius fils d'Hys-rée, Introduct., pg. 28. taspe, énumère ses victoires, dans l'Exploration de la Mésopotamie, par J. Oppert, pg. 198 et suiv., etc.

2 Le P. Chalkhatounoff, (Hist. d'Edchmiadzin, en arménien), le P. S. Djalal (Voy. dans la Gr. Arménie, en armén.), M. Brosset (3. Rapport sur un Voyage en Géorgie, etc. pg. 84 à 429, et Album d'Ani, passim.) ont publié un grand nombre de textes épigraphiques existant aujourd'hui sur les ruines des édifices des anciennes villes de l'Arménie.

5 Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, seconde serie, Tom. III, 1846, pg. 30 et suivantes. Cf. Deloye, Des chartes lapidaires en France.

6 Revue Archéologique, XIe année, pg. 171. Cf. Une donation figurée en bas-relief. 7 Iter Italic., P. I. Pg. 151.

8 I papiri diplom. raccolti ed illustr. dall'abb. G. Marini, no 91.

9 T. 11, pg. 535, note 1..

en partie du moins, quelques uns des actes, qui y étaient conservés, grâce à ces inscriptions murales, qui ont pu traverser les siècles en survivant aux invasions, qui amenèrent la ruine de l'Arménie sous les Bagratides et la destruction du royaume des Roupéniens. On sait au surplus, qu'à l'époque des guerres, qui suivirent la conquête de l'Arménie par les Musulmans, les villes, les églises et les monastères étaient exposés à des pillages et à des incendies fréquents, et on comprit, qu'il était utile de graver sur la pierre les actes les plus importants, notamment ceux, qui avaient rapport à des fondations ou à des donations. Les murailles des édifices religieux devinrent, comme des archives publiques, où chacun pouvait voir ses droits et ses privilèges. Cette exposition publique, cette sorte de promulgation, en solennisant les chartes, avait encore l'avantage d'en assurer l'exécution et d'éloigner les violateurs.

Les inscriptions, à l'aide desquelles on peut reconstituer les cartulaires perdus des églises et des monastères arméniens, au temps des Bagratides, sont peu nombreuses. Le style diffère de celui des chartes par la précision, qui a présidé à la rédaction de ces inscriptions; on voit que l'on s'est appliqué à dire beaucoup de choses en peu de mots. Toutefois, quand il s'agissait d'un acte important, les rédacteurs de l'inscription ont stipulé en termes précis et avec une surabondance de mots tous les points de la donation.

Les chartes lapidaires sont toujours conçues dans l'idiôme arménien et en caractères majuscules et enchevêtrés; après avoir invoqué la divinité, le rédacteur inscrit le nom du donateur, avec sa parenté et ses alliances; il indique en suite l'objet de la donation, les noms de l'église et du saint, auxquels elle est faite, les conditions imposées, qui sont toujours un service de prière, stipulé pour les parents du donateur, soit défunts, soit éxistants, soit pour lui-même après sa mort; enfin, il termine par des imprécations contre ceux qui mettraient obstacle à l'éxécution de la volonté du donateur, et par des bénédictions en faveur de ceux, qui en feront respecter les clauses. On voit que ces inscriptions sont conçues dans un style, qui se rapproche beaucoup des formules usitées dans les chartes, et qu'au besoin, elles devaient en tenir lieu.

On ne connait, qu'un seul cartulaire de couvent arménien, et encore, doit-on donner ce nom au manuscrit, dont M. Brosset a donné une description dans son troisième rapport', d'après ce qu'en avait dit le père Chahkhatounoff? L'ouvrage dont il s'agit, et auquel le savant académicien russe donne le nom de 44 ou bullaire, est un recueil de toutes les traditions relatives à l'origine du monastère de Hohannavank (couvent de S.' Jean), de toutes les inscriptions constatant les restaurations des églises et des divers édifices de ce

A Voyage en Géorgie, etc., 3. Rapport, 2 Histoire d'Edchmiadzin, T. II, pg. 95.

Pg. 71.

couvent, des épitaphes des abbés et autres personnages célèbres, qui y furent enterrés; enfin des indications historiques relatives aux maîtres et seigneurs de la contrée, et à l'auteur du livre le diacre Zakharia de Kanakère '.

S. II.

Les Cartulaires de l'Arménie sous les Roupéniens.

Les Cartulaires de l'Arménie, sous les Roupéniens, n'existent plus. Il ne reste rien non plus des archives royales, qui ont été brulées et dispersées lors des dévastations, auxquelles les Égyptiens livrèrent la Cilicie. Des documents épars, des copies de chartes et de diplômes, ont cependant été conservés dans les dépôts d'archives des États de l'Europe, et sont aujourd'hui les seuls vestiges, qui nous soient parvenus des archives civiles de l'Arménie, sous les princes de la maison de Roupên.

Sous les rois de cette dynastie, il y avait en effet des registres spéciaux, où étaient inscrits les actes de la puissance souveraine, les traités, les donations, etc. Ces différents registres, qui formaient autant de cartulaires, que l'on conservait avec soin dans les archives de la chancellerie royale d'Arménie, sont mentionnés dans deux chartes, dont l'une, datée de 1201 de notre ère, est un chrysobulle, par lequel Léon II accorde des privilèges aux Génois; et l'autre, portant le millésime de 1307, est un diplôme, en vertu duquel, Léon IV octroie aux Vénitiens des privilèges commerciaux. A la fin du premier de ces actes, on lit la formule suivante: « Ad majoris quoque securi» tatis causam, et ut presens privilegium firmum, stabile et inconvulsum » permaneat, sigillo meo auri, ipsum muniri et corroborari feci et litteris ar» menicis et latinis in eodem volumine scribi jussi2 ». La seconde pièce porte ce qui suit: « Encement, si.... vodra homo riens prunter o recommander à » Veneciens, les Chevitaines le devent mander devant le Chevitaine et devant » le baill, et que ceaus deivent regarder leur fait, ce il sera par imprunt, que » il soit escrit au Carturaire, et prendre chartre dou baill3».

Il est aussi question dans d'autres actes, des registres, « quaterniones », de la capitainerie de Lajazzo; ces registres sont mentionnés dans une lettre adressée, en 1340, par le roi Léon V à Barthélemy Gradénigo, doge de Ve

1 Dans l'ouvrage du P. Sarkis Djalal (Voyage dans la Grande Arménie), dont il a déjà été question, on trouve plusieurs chartes, que ce savant arménien a découvertes, et dont il a donné le texte. Ces pièces, qui sont écrites en arménien, sont de l'époque, qui précéda l'émigration et l'installation des descendants d'Haïg

dans le Taurus et la Cilicie.

2 Liber Jurium, T. I pg. 468, dans les Historiæ patriæ monumenta, publiées par ordre du gouvernement piémontais.

3 Archives de Venise; Liber Pactorum, Reg. III, fo. 48.

nise'. Il semble résulter du contenu de cette lettre, que ces registres étaient destinés à conserver authentiquement l'état des sommes dûes par des marchands à des fournisseurs étrangers; il paraît que l'on y inscrivait même les dettes contractées par des marchands vénitiens envers des musulmans, non sujets du roi d'Arménie.

Ces indications sont plus que suffisantes, pour établir l'existence en Arménie, du livre de souche ou Cartulaire; et quant bien même les notions précédentes ne se trouveraient pas dans les chartes, qui nous sont parvenues, nous n'en aurions pas moins la preuve, que le registre des diplômes, chartes et privilèges, émanés de l'autorité souveraine, existait autrefois dans les Archives de la chancellerie d'Arménie. En effet plusieurs dépôts d'archives de l'Italie contiennent des ampliations et des copies de ces documents, qui sont, pour la plupart, des privilèges ou des donations accordées aux ordres religieux et militaires, établis en Syrie pendant les croisades et aux républiques maritimes de l'Italie. C'est à l'aide de ces documents épars et disséminés dans différents dépôts, que nous avons reconstitué en partie du moins le Cartulaire de l'Arménie, dont l'original a depuis longtemps disparu dans le grand naufrage, qui a englouti, avec la royauté arménienne, tant de richesses littéraires et tant de trésors historiques, dont la perte est irréparable.

Le cartulaire original du royaume d'Arménie, qui, sans aucun doute, comprenait plusieurs registres, était conservé à Sis, dans les archives du palais. Pour le reconstruire, nous avons dû recueillir dans les dépôts d'archives de l'Europe, et notamment dans ceux de Venise, de Turin, de Gênes, toutes les pièces, qui y sont conservées, et qui ont trait aux relations, qui existaient, pendant le moyen-âge, entre les habitants de la Cilicie et les marchands de Gênes et de Venise. Nous avons dû faire faire aussi des recherches, à Naples, à Malte, à Florence, à Pise, à Berlin et dans d'autres villes, et obtenir les copies authentiques des documents, qui rentraient dans notre étude. Ces recherches faites sur une grande échelle, nous ont procuré bon nombre de documents inédits, et nous ont permis de donner des textes aussi parfaits que possible. Cependant plusieurs compilateurs avaient déjà rassemblé quelques rares documents, dans les grandes collections historiques; et parmi les plus importants de ces recueils, il faut citer le « Codice diplomatico dell'Ordine di San Joanni Gerosolimitano » du Père Seb. Paoli, les « Fontes Rerum Austriacarum2 » publiées sous les auspices du gouvernement autrichien, et les « Historiæ patriæ monumenta », vaste ensemble de matériaux, ayant rapport à l'histoire

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1 Archives de Venise; Liber Commemorialium, Reg. III, fo. 193.

2 OEsterreichishe Geschichts Quellen, Diplomata et acta, T. XII et suiv., passim. 3 Liber Jurium, T. I et II, passim.

du Piémont, et qui fut entrepris par une commission académique, sur l'ordre du feu roi Charles-Albert. On trouve aussi le texte de plusieurs chartes isolées dans différents ouvrages, et notamment, dans la collection des Notices et Extraits des Manuscrits', l'Histoire des Lusignans de Chypre de M. de Mas-Latrie, l'Archivio storico italiano publié à Florence3, le fuq ou Polyhistor, journal des Mékhitaristes de S.' Lazare de Venise, etc. Enfin il existe dans d'autres ouvrages, des actes politiques, des lettres et des documents relatifs à l'Arménie, à ses rapports avec le Saint-Siège, les États d'Orient et d'Occident, et dont la réunion forme un ensemble considérable de matériaux, qui, un jour ou l'autre, prendront place dans un ouvrage à part, à côté et comme complément des sources de l'histoire de l'Arménie au moyen-âge.

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§. III.

Renseignements sur les dépôts d'archives, qui contiennent des documents relatifs à l'Arménie.

Nous avons

A. - Archives du monastère patriarcal de Sis, en Cilicie. dit, que les archives de la chancellerie royale d'Arménie, qui étaient conservées à Sis, n'avaient pas laissé de traces. Lors de notre voyage d'exploration dans la Cilicie, nous avons consacré plusieurs jours à visiter les archives et les manuscrits conservés dans le couvent, qui sert de résidence au patriarche arménien de Sis, afin de nous assurer, s'il n'existait pas des registres, provenant de l'ancien dépôt d'archives de la couronne et des ordres religieux. Toutes nos recherches ont été infructueuses, et nous avons acquis l'intime conviction, que les anciennes archives avaient disparu, puisque les documents, qu'on conserve dans le monastère, ne remontent pas au delà de l'année 1780. B.Archives de Constantinople et du Mont-Athos. - Les rapports suivis, que les Arméniens entretinrent si longtemps avec l'Empire grec de Byzance, donnent à penser, qu'il devait exister avant l'année 1453, et peut-être à une époque postérieure, des documents provenant de la chancellerie de Sis, car nous savons par le témoignage de plusieurs historiens arméniens et byzantins, qui écrivirent dans le courant du XIII et du XIV siècles, qu'une

1 T. XI,. articles de MM. Silvestre de Sacy et St. Martin, sur les documents extraits des

archives de Gênes.

2 Documents, T. II et III; passim.
3 Dispensa XLIV., appendice n. 29. ̧
4 Année 1847, pg. 92 et suiv.

5 Annales Eccles. du Card. Baronius, conti

nuées par Rainaldi; T. I à VII; Conventiones, fœdera, etc. de Rymer, T. I, à VII; Champollion-Figeac, Mélanges Historiques, etc., dans la Coll. des Doc. inédits de l'histoire de France; Reinaud, Histor. arabes des Croisades; Quatremère, Histoire des Mamelouks de Makrisy, etc. etc. etc.

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