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dans la Cilicie, pendant toute la durée du XIII siècle; et ce n'est seulement qu'à partir des premières années du XIV siècle, qu'ils paraissent avoir eu un consul à Lajazzo'. Ce fait nous amère naturellement à penser que ce ne fut guère qu'à partir de la fin du XIII' siècle, que le commerce des Pisans en Arménie prit une véritable extension, et qu'ils songèrent dès lors à posséder des établissements fixes dans ce royaume, à l'instar de ceux que les Génois et les Vénitiens, leurs rivaux, avaient fondés dans ce pays depuis un siècle environ.

Quoi qu'il en soit, Tronci, dans son Histoire de Pise, ne dit rien des relations commerciales qui existèrent à n'en pas douter, entre les Pisans et les Arméniens, et le surintendant actuel des archives de Florence, M. Bonaïni, qui publie, en ce moment, une édition des diplômes pisans n'a trouvé dans le dépôt des Réformations, aucun document qui ait trait aux rapports entre ces deux peuples. Cependant, Pegolotti nous apprend que dans la première moitié du XIV' siècle, les Pisans payaient un droit de deux pour cent, sur les marchandises qu'ils importaient en Arménie et sur celles qu'ils exportaient. Ce droit qui fut maintenu, selon toute probabilité, pendant toute la durée de la domination Roupénienne en Cilicie, est pour nous la preuve que les Pisans n'eurent jamais de grands établissements dans le royaume d'Arménie et qu'ils n'y jouissaient pas des immenses avantages que les Génois, les Vénitiens et les Siciliens avaient obtenus, par suite des négociations dont nous avons parlé.

1 Archives de Venise; Comm., f. 115 y... 5 Pratica della mercatura; loc. cit. 2 Annali Pisani.

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CHAPITRE CINQUIÈME

COMMERCE DE L'ARMÉNIE SOUS LES ROIS ROUPÉNIENS.

S. I.

Coup d'œil sur le commerce de l'Orient au moyen-âge.

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Le commerce de l'Arménie, au moyen-âge, est intimement lié à celui que les occidentaux faisaient dans la Méditerranée. A cette époque, la mer intérieure était le seul moyen de communication que les Européens connaissaient, pour se rendre dans le centre de l'Asie et dans les contrées de l'Afrique. L'Océan qui devait plus tard être sillonné par les flottes marchandes de l'Occident, ne servait alors qu'à l'extension du commerce de la Méditerranée, sur les côtes occidentales et dans les pays septentrionaux du monde connu, ou au commerce local de ces pays entre eux.

Pendant les XII et XIII° siècles, le commerce de l'Orient était principalement entre les mains des navigateurs des villes maritimes du midi de l'Europe. Le nord, les îles Britanniques, les côtes occidentales de la France et de l'Espagne n'y participaient que d'une manière médiate et indirecte. Les variations occasionnées par les succès ou les revers des Croisés, influèrent nécessairement sur les opérations commerciales des peuples qui trafiquaient avec l'Orient. Au XIVa siècle, le commerce de la Méditerranée s'était développé d'une manière très-sensible, et l'Arménie bien que désolée par les guerres continuelles qu'elle soutenait contre les Musulmans et les dissensions intestines qui éclataient journellement dans son sein, n'en éprouva pas moins le contrecoup de l'extension donnée au commerce du Levant, par les puissances maritimes de l'Occident. En effet, c'est principalement dans le courant de ce siècle, que l'Arménie devint pour les marchands européens un passage qui, par le port de Lajazzo, les conduisait à Trébizonde et à la route de la mer Caspienne et du Caucase'. L'Arménie-Mineure était en outre traversée par la route méridionale qui, se dirigeant sur la Boukharie, s'embranchait avec celle du golfe Persique. C'est ainsi que le port de Lajazzo devint, pendant le XIV siècle,

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l'entrepôt principal du commerce de l'Orient et de la Cilicie, et la résidence habituelle des marchands étrangers!. Lajazzo perdit de son importance lors de la conquête de la Cilicie par les Musulmans, parce que les marchands occidentaux ne jouissaient plus des mêmes priviléges et de la même sécurité qu'au temps de la domination arménienne. L'importance de Lajazzo était grande au moyen-âge; sa position entre la Syrie et l'Asie-Mineure, dans un pays chrétien où venaient aboutir toutes les routes d'Asie, offrait un avantage énorme et une garantie suffisante aux trafiquants étrangers qui y avaient des établissements; aussi avaient-ils centralisé dans cette ville toutes leurs opérations. C'était l'entrepôt général où venaient s'emmagasiner tous les produits de la Perse et de l'Inde, puisqu'à cette époque on ne connaissait pas encore les moyens d'arriver dans ces deux pays, en doublant le Cap de Bonne-Espérance.

Nous avons dit que le commerce de l'Orient était principalement entre les mains des marchands de l'Occident, et que l'Asie avait pris une grande extension commerciale au moyen-âge; voyons maintenant quelles furent les causes qui ouvrirent ce nouveau débouché au négoce. Les Croisades, en transportant en Asie des populations nouvelles, ouvrirent par cela même une voie naturelle au commerce de l'Occident, en même temps qu'elles créaient des relations entre les pays situés plus à l'Orient des possessions chrétiennes, comme la Perse, la Tartarie et l'Inde; aussi ne doit-on pas se dissimuler que la principale cause du grand développement qu'acquit, au moyen-âge, le commerce de la Méditerranée est dû, en majeure partie, aux guerres saintes. En effet, dès les premiers siècles de l'ère chrétienne, l'usage s'était introduit parmi les chrétiens de faire des pèlerinages en Terre-Sainte2. Les malheurs accumulés sur l'empire d'Occident, depuis la fin du V° siècle, et qui en changèrent entièrement la face, n'interrompirent pas ces pieuses pratiques. Les conquérants eux-mêmes, devenus chrétiens, les adoptèrent; leur caractère entreprenant et aventureux y trouvait une nouvelle occasion d'activité. Bientôt la dévotion ne fut plus le but unique de ces pérégrinations lointaines ; et comme la Syrie était le lieu où se rendaient de préférence les pèlerins navigateurs, les sentiments religieux s'unirent vite à l'intérêt commercial. Les pèlerins portaient en Syrie quelques-uns des produits de l'Europe, et ils en rapportaient les marchandises de l'Orient. Peu après, les commerçants des villes maritimes de l'Occident établirent des comptoirs dans les ports de la Syrie et des établissements dans quelques-unes des villes de la Terre-Sainte.

Lorsque les Croisés arrivèrent en Syrie, les marchands navigateurs qui

1 Pegolotti, Pratica della mercatura.

2 Bibl. de l'École des Chartes; 2° série,

T. II, pg. 7.- Lalanne, Pèlerinages en Terre-
Sainte avant les Croisades.

n'avaient point pris une part directe aux expéditions de la Terre-Sainte, tenaient cependant leurs navires à la portée des côtes, que suivaient les différents corps de l'armée chrétienne. À la nouvelle des premiers succès, ils s'empressèrent de fournir les vivres et les munitions dont avaient besoin les Franks dans un pays où les récoltes avaient été ravagées à la fois par les vainqueurs et par les vaincus; ils rapportèrent en échange de riches cargaisons de marchandises asiatiques, entassées dans les villes de la Syrie 1.

Les relations les plus actives ne tardèrent pas à s'établir entre les commerçants européens et le nouveau royaume de Jérusalem. Les navigateurs qui voyaient l'importance que devait acquérir le commerce, firent construire de nombreux vaissaux, avec lesquels ils effectuaient les transports d'hommes, de chevaux et de munitions, destinés à de nouvelles croisades. Après avoir accompli ce premier objet, qui était pour eux une source de profits considérables, les marchands navigateurs ramenaient leurs vaisseaux chargés des produits de l'Asie. Les rapports commerciaux, une fois établis sur une grande échelle, les marchands de l'Occident songèrent à obtenir des princes croisés des priviléges étendus, en vertu desquels le commerce du midi de l'Europe finit par acquérir des proportions extraordinaires. On sait que, dans l'antiquité, c'étaient les navigateurs de l'Orient qui venaient en Occident pour échanger les produits de leur industrie contre des denrées ou des matières que leur travail mettait en œuvre, et pour y fonder des comptoirs et des colonies. À l'époque dont nous nous occupons, c'est le contraire qui a lieu l'Occident envoie ses vaisseaux sur tous les points du littoral de la Méditerranée, pour en tirer les immenses richesses que le commerce devait ensuite répandre en Europe.-

Dans l'intervalle de temps qui sépare la première de la seconde Croisade, c'est-à-dire pendant un demi-siècle environ, le commerce de l'Occident était tellement affermi en Orient, que les princes croisés, maîtres de la Syrie, s'étaient vus dans l'obligation d'accorder de nombreux priviléges aux Génois, aux Vénitiens, aux Pisans, aux Marseillais, etc. . C'était une immense révolution dans le commerce des villes maritimes de l'Occident, une source de richesses inappréciables, pour les états chrétiens d'Orient, et qui devait bientôt s'étendre à la Cilicie. Jusqu'aux Croisades, quelques navigateurs admis par tolérance dans les ports de la Syrie, ne se livraient qu'en tremblant à des spéculations que le caprice d'un sultan, d'un émir ou d'un simple gouverneur, pou

4 Guillaume de Tvr, VII, 24; XIII, 5.
2 Gauthier Vinisauf, dans les Script. eccl.

Angl. T. II, pg. 273.

3 Muratori, Ant. ital., T. II, col. 905.

1, pg. 142 et suiv. Marin, Storia del commerc. Venez., T. III, pg. 32, 48, 146. - Muratori, Ant. ital., T. II, col. 918. — Ruffi, Hist. de Marseille, pg. 318, 332, 355. Papon,

4 Fanucci, Storia dei tre popoli marittimi, T. Hist. de Provence, T. II, pr. n.o 14·

vait anéantir sans ressource; mais bientôt les Croisades leur donnèrent les moyens de s'établir en maîtres dans les conquêtes des guerriers européens 1:

§. II.

Du commerce de la Cilicie au moyen-âge.

Le royaume chrétien d'Arménie, intimement lié à la politique générale de la confédération des États franks de la Syrie, devait aussi subir l'influence des navigateurs de l'Occident. Toutefois, ce ne fut que plus tard, et grâce aux précédents dont les princes de Jérusalem, de Tripoli, d'Antioche et de Chypre avaient donné l'exemple, que le roi Léon II et ses successeurs accordèrent, à ces mêmes marchands de l'Europe méridionale, des priviléges étendus. Les documents nous apprennent en effet, que dès les premières années du XIII® siècle, les Génois et les Vénitiens obtinrent leurs premiers priviléges commerciaux. Mais ce fut surtout au XIV siècle, alors que le commerce avait pris une extension considérable en Arménie, que nous voyons tous les peuples navigateurs solliciter et obtenir des concessions plus ou moins avantageuses. Il suffit de citer les noms des Pisans, des banquiers florentins, des Siciliens, des Catalans, des Provençaux, des Flamands de Bruges, des Candiotes, des Chypriotes et même des Égyptiens et des Turks3, pour se faire une idée exacte du progrès que le commerce avait fait dans le siècle même qui vit tomber, sous les coups des Musulmans, le royaume que les Arméniens avaient fondé trois cents ans auparavant dans la Cilicie.

Outre les peuples privilégiés que je viens de rappeler, il y avait encore d'autres villes de l'Occident qui commerçaient avec la Cilicie; mais comme elles étaient de moindre importance et qu'elles n'avaient point obtenu de priviléges, mais seulement des permis de séjour avec faculté de commercer, les marchands de ces villes se plaçaient sous la protection des baïles ou consuls des puissances les plus favorisées1.

Par l'effet des priviléges qu'ils avaient obtenus, les commerçants des villes maritimes de l'Europe jouissaient de diminutions considérables sur les tarifs des douanes arméniennes; quelquefois même d'un affranchissement absolu des droits d'entrée et de sortie sur les marchandises. Non justiciables de la juridiction locale pour les cas ordinaires et soumis presqu'exclusive

1 Pardessus, Lois maritimes, T. II, introd.,

Pg. 3.

2 Archives de Turin; Liber Jurium. - Archives de Venise, Patti et Commemoriali.

3 Pegolotti, Pratica della mercatura, chap. intitulé: Ermenia..

4 Dom Vaissette, Hist. du Languedoc, T. IV, pg. 531.

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