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mots, ce qu'on eut l'impudence de raconter, sous couleur de chronique locale :

Les esprits sont très occupés du passage, dans la commune de Bernin, d'un animal inconnu que les traces qu'il a laissées font présumer être un reptile, plus gros que ceux que l'on connaît en France. M. le Maire de cette commune a envoyé, à Grenoble, un détail de ce qu'il a recueilli à cette occasion, et dont voici les principales circonstances:

Dans la nuit du 14 au 15 juillet, on entendit les chiens aboyer d'une manière extraordinaire. Ce furent ceux du bas de la commune qui commencèrent; successivement, on entendit ceux du haut, à plus de mille mètres de distance. Le lendemain, on observa la trace d'un animal qui devait être monstrueux, mais de l'espèce duquel personne ne pouvait se faire une idée. On jugeait seulement qu'il devait avoir à peu près la forme d'un énorme serpent.....

Cet animal paraît être parti des bords de l'Isère et a pris sa direction vers la montagne, en traversant un espace de plus de trois mille mètres. Dans toute cette étendue, sa trace était parfaitement marquée dans les prés, les blés, les chanvres, les terres labourées et même les chemins qu'il a traversés. Elle était légèrement ondoyante, ayant douze à seize pouces de largeur. Arrivé près du premier village, il a trouvé une haie de bois mort sur son passage; il paraît avoir choisi, dans le milieu de la hauteur, l'endroit le moins fourré; il a écrasé sous lui les épines, comme si on les eût brisées à dessein. A quelque distance de là, il paraît s'être arrêté sous un arbre, où l'on a observé un espace en forme circulaire d'environ deux mètres et demi de diamètre, et où le terrain était battu. On n'a pas pu voir si cet auimal avait pris la position des serpents, lorsqu'ils se roulent en spirale, mais il y a lieu de le présumer.

En repartant, il a changé sa direction, mais en allant toujours vers la hauteur. Arrivé près de la grande route, il lui a fallu traverser une haie vive. On a remarqué dans le passage qu'il s'est ouvert,

trois branches d'aubépine brisées; sa trace sur la grande route avait été parfaitement marquée et paraissait encore sur les bords. Il a poursuivi son chemin jusqu'au haut de la commune, où l'on a perdu sa trace dans un torrent.

« Jusque-là, elle était parfaitement marquée sans discontinuité, tant dans les creux, les élévations, les berges des fossés, que dans les endroits plats et unis. En un mot, elle suivait les inégalités des terrains; dans les blés et les chanvres qu'il a traversés, les tiges étaient régulièrement renversées et écrasées, comme si on y eût traîné une pièce de bois ronde et excessivement lourde, sans qu'il y eût à droite, ni à gauche, aucun dégât qui pût faire penser que c'était l'ouvrage des hommes.

་ En réduisant autant que possible la grosseur que cette trace peut faire présumer à l'animal qui l'a faite, il devait avoir au moins trois décimètres (environ dix pouces) de diamètre, et, par conséquent, près d'un mètre de circonférence.

Il ne par all pas que personne ait vu cet animal, seulement, on a observé de nouveau sa trace sur la commune de Crolles, où il paraît qu'il est redescendu vers la rivière » (').

Telle est l'invention à laquelle on donna cours, au mois d'août 1809, pour amuser l'esprit public et l'empêcher de fixer son attention sur la personne du Pape prisonnier, et sur la conduite du Gouvernement impérial à son égard. Mais tout cela n'était qu'une mystification à l'usage des naïfs. L'histoire n'enregistra jamais l'apparition d'une bête extraordinaire à Bernin, et la presse ne s'en occupa jamais plus à l'avenir.

L'opinion publique elle-même n'y pensa bientôt plus, et revint à sa préoccupation d'alors, demandant au

(') Annales politiques, no 92 de l'année 1809.

Gouvernement de lui expliquer sa politique au sujet des affaires de Rome. Mais l'Empire évita encore de s'expliquer. Un jour, cependant, il essaya de faire croire qu'il allait tout dire, et que la vérité le justifierait. Ce ne fut qu'un stratagème nouveau et qu'un mensonge de plus. Il paya d'effronterie et dissimula, sous des termes trompeurs, les actes de violence dont il s'était rendu coupable envers Pie VII. Car voici l'entrefilet qu'il fit insérer dans le Moniteur de l'époque : « Le Pape avait tout fait pour que sa présence à Rome devînt inutile, et quelques-uns de ses partisans pouvaient, malgré lui, la rendre dangereuse. Il sortit le 6 juillet à l'insu de l'Empereur, et vint à Savone, où Sa Majesté le fit recevoir, traiter et établir avec tous les égards dus au malheur.» Mais l'opinion publique ne s'y trompa nullement. Elle comprit; et rendant à chacun la justice qu'il méritait, au lieu de flatter un pouvoir parce qu'il était le plus fort, elle eut le courage de se prononcer en faveur du faible, victime d'une sacrilège persécution, et de flageller vertement le despotisme, quand même il était couronné.

Ce fut, en effet, le jugement que l'opinion publique porta dans la cause de Pie VII se débattant contre Napoléon, et c'est ainsi que l'histoire a jugé après elle. Napoléon fut regardé comme un odieux persécuteur qui abusa de la force qu'il avait en mains. Pie VII apparut, au contraire, comme un respectable martyr, qui ne voulait rien sacrifier de ses droits et de ses devoirs. Au premier, par conséquent, le blâme et la flétrissure; au second, l'honneur et la gloire.

Ce n'est point assez dire; il faut ajouter encore un dernier trait qui a sa valeur; et, résumant le tableau que nous avons tracé de Napoléon et de Pie VII, aux prises

l'un avec l'autre, il faut remarquer, en finissant, de quel côté se rangea la victoire dans la lutte que nous avons partiellement décrite. Ce fut le persécuteur qui perdit la bataille; ce fut le persécuté qui la gagna. Le persécuteur, pour employer ici une expression de saint Augustin, le persécuteur était pourtant un lion plein de force, tandis que le persécuté n'était qu'un faible agneau. Mais le lion était un oppresseur; mais l'agneau défendait le bon droit et la sainte Eglise de Dieu. Il arriva qu'à la fin, dans cette lutte humainement inégale, ce fut néanmoins le fort qui eut à subir l'humiliation d'être vaincu; et le faible, au contraire, qui eut à recueillir la gloire d'être vainqueur !

A la lecture de réception de M. l'abbé PELLET

PAR M. TROUILLER

Président de l'Académie delphinale

Séance du 19 décembre 1884

Monsieur,

L'Académie Delphinale est heureuse de vous recevoir dans ses rangs; elle ne partage pas la trop modeste appréciation que vous faites de vos titres à votre admission parmi nous. Ces titres se sont affirmés avec éclat dans ces conférences hebdomadaires de Notre-Dame de Grenoble où, depuis plusieurs années, vous faites entendre à un auditoire d'élite une parole abondante et pure, aux accents pleins de foi et d'éloquence. Vous continuez ainsi, avec une haute autorité, l'œuvre excellente créée par l'un de vos vénérables prédécesseurs, devenu l'une des lumières de l'Episcopat. Vous savez, comme lui, charmer

T. XIX.

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