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doute toute justice émane du Souverain, selon l'antique formule, mais en ce sens seulement qu'il nomme les magistrats qui la rendent en son nom. Mais ces magistrats, une fois nommés, sont revêtus d'un pouvoir propre et indépendant, sinon la notion même de la justice s'évanouit.

Servan attaque d'abord, à propos du jugement, le système des preuves légales; ce système déraisonnable qui traçait au juge la manière dont il devait former sa conviction; qui l'obligeait, quelle que fût sa conviction intime, à condamner si l'accusation avait fourni telles preuves déterminées à l'avance, et à acquitter dans le cas contraire.

La maxime la plus connue de ce système était celle-ci : Deux témoins commandent la condamnation, un seul la rend impossible. « Testis unus, testis nullus. »

Servan, devançant l'oeuvre du législateur moderne, propose de substituer au système des preuves légales celui des preuves morales, c'est-à-dire tirées de la conscience et de la raison du juge.

La torture avait été l'odieux complément du système des preuves légales. Si, dans une affaire capitale, les preuves légales manquaient, on essayait d'arracher un aveu à l'accusé par la question dite préparatoire. Qui ne se souvient ici du vers fameux de Raynouard, dans sa tragédie des Templiers:

« La torture interroge, et la douleur répond. >>

Servan flétrit cette barbarie d'un autre âge, et sa voix est bientôt entendue. Louis XVI, par un édit du 24 août 1780, abolit la torture. Servan remercie publiquement le

Souverain de cet acte d'humanité. Un autre édit du 8 mai 1788 fait également disparaître la question, dite préalable, qu'on appliquait aux condamnés pour les forcer à révéler leurs complices, et que Servan avait aussi combattue.

Nos lois modernes, interprètes du droit naturel, ont voulu qu'en matière criminelle l'accusé eût toujours un défenseur. Les lois anciennes le lui refusaient. Ici encore Servan fit entendre sa voix généreuse. Qui le croirait? il rencontra un contradicteur dans l'avocat général Séguier, du Parlement de Paris; mais un des premiers actes de l'Assemblée constituante fut d'effacer cette tache de nos lois.

L'accusation et la défense entendues, il semble que le juge n'ait d'autre alternative que de condamner ou d'absoudre. Les Parlements s'étaient attribué le droit de prendre un troisième parti: de rendre ce qu'ils appelaient une sentence de plus amplement informé. En attendant, l'accusé restait sous les verroux, quelquefois toute sa vie; il était ainsi frappé d'une peine au moment même où on reconnaissait l'impossibilité de le condamner.

Servan signale cette contradiction avec une grande énergie; les cahiers des Etats généraux la dénoncent après lui, et la jurisprudence du plus ample informé disparait avec les Parlements.

Servan rencontrait, à l'occasion du jugement de l'accusé, la question du jury que Montesquieu venait de soulever en étudiant la Constitution anglaise dans son Esprit des lois. Servan ne l'aborda pas dans son discours de 1766, dans la crainte sans doute de heurter publiquement l'opinion du Parlement, adversaire naturel d'une institution qui entamait sa juridiction. Mais, plus tard, après sa démission, il se déclara partisan du jury; il com

prit qu'il était impossible de conserver à quelques hommes un droit perpétuel de vie et de mort sur leurs semblables; qu'un droit si redoutable ne pouvait appartenir qu'à une collection de citoyens sans cesse renouvelés, image de la Société elle-même, apportant dans l'exercice de leurs fonctions d'un jour une fraîcheur d'attention et des dispositions d'humanité qu'on peut moins facilement espérer de juges permanents. Mais ici, Servan dépassa la mesure; il exagéra le droit de récusation au profit de l'accusé, et, à l'exemple de la loi anglaise, demanda un verdict unanime. Il répudia plus tard cette dernière exigence qui n'est ni rationnelle ni pratique.

Telle a été l'œuvre de Servan. On peut dire avec vérité, et M. Desjardins le reconnaît, qu'il a été l'un des inspirateurs de notre procédure criminelle moderne. Son nom en est inséparable. Il a bien mérité de sa province, de la France, de l'humanité.

Il me reste à mentionner les vides qui se sont produits cette année dans nos rangs. L'un d'eux a été particulièrement douloureux. La mort a des ironies cruelles; elle se plaît à déjouer les projets humains, même les plus modestes. Elle a frappé M. de Marc au moment même où il allait occuper le siège qu'il avait vivement désiré; le jour qui devait être celui de sa réception a été celui de ses funérailles. L'Académie conservera le souvenir de l'homme érudit et laborieux qui nous eût apporté un actif

concours.

M. Paul Stapfer, qui nous appartenait depuis 1876, a été appelé à la Faculté des lettres de Bordeaux. Vous avez pu apprécier, par son discours de réception et par d'autres œuvres qu'il vous a présentées, la finesse de son

esprit, les grâces de son style, l'originalité de ses aperçus. Ces rares qualités distinguaient aussi son enseignement si brillant et si goûté. La plus haute des autorités littéraires, l'Académie Française, les a proclamées en couronnant un ouvrage sur Shakespeare et l'Antiquité, traduit et admiré en Angleterre. Un tel succès en présage d'autres que nous souhaitons de grand cœur à notre collègue.

M. Rey, qui était professeur d'histoire au lycée de Grenoble, et qui a été nommé inspecteur d'Académie à Gap, n'a fait que passer parmi nous, mais il a eu le temps de se signaler par une érudition variée et étendue dont sa notice sur le cardinal Le Camus, évêque de Grenoble, a été un excellent modèle.

La Société des Hautes Etudes de Gap a gagné ce que nous avons perdu, comme le prouve son dernier Bulletin.

Messieurs, les Académies de province ont à compter non seulement avec les deuils, mais aussi avec les départs auxquels plusieurs d'entre nous sont exposés par les vicissitudes de leur carrière. Ce qui reste, ce qui assure à notre Société, non pas l'immortalité, réservée, on le sait, à une autre Académie, mais un long avenir, c'est l'union et la cordialité qui règnent entre ses membres, c'est leur amour commun du beau, du bien et du juste, de tout ce qui agrandit l'esprit, élève l'âme et la console, en l'emportant dans les régions de l'idéal, des tristesses inévitables de la vie.

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PIE VII A TRAVERS LE DAUPHINÉ

En 1804 et 1809

DISCOURS DE RÉCEPTION A L'ACADÉMIE DELPHINALE

De M. l'abbé PELLET

Curé de la Cathédrale de Grenoble

Séance du 19 décembre 1884

Messieurs

Des mois se sont écoulés déjà depuis que votre bienveillance m'a ouvert les portes de l'Académie Delphinale. C'est le 13 février 1884 que vos suffrages se portèrent sur moi qui n'en étais pas digne, et m'appelèrent à l'honneur de siéger au milieu de vous. Depuis lors, vous avez pu croire que mon silence avait le caractère d'un manque d'égards, et qu'après tout je ne mettais pas un empressement assez vif à prendre parmi vous la place honorable

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