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moins graves de la maladie, elle le nomme états plus ou moins grands de la grâce ou Communion plus ou moins complète avec Jésus-Christ. Disons de plus que ses écrits, même à travers la traduction, forcent parfois notre admiration par la beauté du style, par la splendeur des images et par la profondeur des concepts. Avec sainte Thérèse nous n'avons plus affaire à une hystérique de bas étage, aux conceptions imaginatives grossières, nous avons affaire à une très grande dame, à éducation soignée, à instruction étendue, sachant exprimer en un style admirable ses impressions maladives.

Née en 1515, à Avila, en Vieille-Castille, de parents de haute noblesse, Thérèse de Cépèda fut élevée dans les principes d'une ardente piété; elle perdit sa mère lorsqu'elle était enfant.

«Ma mère, écrit-elle, était très vertueuse; elle avait une grande modestie, et quoiqu'elle fût très belle, jamais on ne la vit se prévaloir de sa beauté; elle fut longtemps sujette à de grandes infirmités qui la firent beaucoup souffrir; elle mourut à trente-trois ans. >>>

Notons cet état maladif et cette mort prématurée : si Thérèse est faible et si l'hystérie se développe très vite chez elle, c'est que le terrain est préparé d'avance et qu'elle hérite de cette mère une constitution délicate et peu résistante au mal.

SON ENFANCE ROMANESQUE. Dès le plus jeune âge, Thérèse manifesta un esprit romanesque; avec cet ascendant bizarre qu'ont les petites filles nerveuses sur les petits garçons, à l'âge de huit ans, elle décida un de ses compagnons à partir avec elle du côté de l'Andalousie et de l'Afrique pour subir le martyre chez les Maures. Reconduits à la maison par un oncle qui les rencontra en chemin, ils résolurent de se faire ermites, et pour cela construisirent au fond du jardin paternel une grotte en pierres; là ils commencèrent une vie de prières et de privations; il fallut

quelques punitions pour leur enlever ce goût prématuré des macérations et les ramener aux jeux de l'enfance.

SON ENTRÉE AU COUVENT. A l'âge de douze ans, Thérèse n'ayant plus sa mère pour la surveiller, se mit à frẻquenter des jeunes gens; elle se plaisait tellement en leur compagnie que son père, le comte de Cépèda, se vit obligé de la mettre au couvent de l'Incarnation d'Avila; mais dans ce monastère on était très mondain et le parloir était le salon du monde élégant; là, les seigneurs galants et pieux de la ville, ceux de Vieille-Castille et autres provinces d'Espagne, venaient charmer l'esprit et amollir le cœur des religieuses affamées de savoir et de tendresse. Sainte Thérèse y prenait un plaisir extrême; elle éprouvait une jouissance singulière à côtoyer cet abîme où chaque jour elle se voyait prête à tomber; la seule crainte de Dieu, nous dit-elle, la retint et l'empêcha de commettre le péché mortel. Un jour, sous l'influence d'une hallucination, elle rompit brusquement avec ses amitiés mondaines et Dieu seul resta l'objet de son amour. Nous dirons bientôt les ardeurs mystiques, les illusions sacrées, les hallucinations divines qui lui firent tenir Jésus pour son seul amant.

SES DIRECTEurs. De même que nos névrosés modernes changent souvent de médecins, cherchant partout remède à leurs maux imaginaires, ainsi Thérèse changea souvent de directeur spirituel : « Je n'avais pas trouvé encore de confesseur qui me comprît dit-elle, je fus même vingt ans à en chercher un inutilement ».

Comment un confesseur aurait-il pu savoir ce que seul pouvait démêler un médecin; son corps était malade, son âme ne l'était pas. Elle conserva pourtant, non comme confesseur mais comme directeur, François de Salcedo avec qui elle fut toujours liée d'une sainte amitié; le portrait qu'elle en fait dans ses Mémoires montre combien elle avait de goût pour lui. François de Salcedo fut très utile à sœur Thérèse dans ses fondations et l'accompagna dans la plupart.

Elle ne l'appelle que le saint gentilhomme; comme, tout marié qu'il était, il avait suivi pendant vingt ans les écoles de théologie des Dominicains, il était le conseiller intime de sœur Thérèse à qui il faisait des visites régulières. Ordonné prêtre après la mort de sa femme, il entra comme chapelain. au couvent de Saint-Joseph d'Avila dont Thérèse était la supérieure.

Elle eut aussi longtemps comme confesseur et directeur le père Pradanos de la Compagnie de Jésus. En 1557 le célèbre jésuite François de Borgia, à son retour du couvent de Saint-Just dans l'Estramadure, où il avait visité le vieil empereur Charles-Quint, s'arrêta au couvent d'Avila. Si Thérèse n'eut avec lui que deux entretiens sur les grâces ordinaires dont Dieu la favorisait, elle continua de lui écrire de longues et fréquentes lettres, qui, très goutées, furent imprimées plus tard. Mais dans l'état de trouble et d'angoisse morale où la maladie la plongeait, Thèrèse ne trouvait pas toujours le calme et la guérison qu'elle cherchait, malgré les consultations des plus célèbres directeurs de conscience de l'Espagne.

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LES ANNÉES DE MALADIE. Pendant vingt-cinq années, sœur Thérèse fut en proie au démon de l'hystérie: pour raconter les événements de cette période, il faut décrire les symptômes de son mal; ce sont les paroles mystiques entendues, ce sont les spectacles extraordinaires vus, ce sont les sensations amoureuses éprouvées, qui forment la trame de cette existence tout à la fois religieuse et maladive; elle nous en fera le récit plus tard, lorsque, la période active de l'affection ayant disparu, laissera l'esprit en repos et permettra d'autres préoccupations que celles de son mal.

Quelquefois Thérèse comprendra le non réel de ses visions et de ses voix; parfois elle les attribuera au malin esprit; quelquefois elle se demandera si sa raison n'est pas égarée. « Prenez pour vous seul les choses où vous verrez que je sors des limites de la raison », dit-elle à son confesARCHIVES, 2 série, t. XIV.

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seur, «< car je ne crois pas que ce soit moi qui parle depuis

ce matin »>.

Cela dura jusqu'au retour d'âge, époque où le calme renaît peu à peu, calme relatif, si l'on veut, car de sourdes hallucinations et quelques symptômes nerveux persistent encore; mais enfin c'est le repos; elle y arrive comme dans un oasis, bien qu'elle entende encore au loin les grands vents du désert siffler à travers les dunes désolées, bien qu'elle sente parfois les tourbillons de sable, que le simoun apporte jusque dans sa retraite. Alors seulement elle commence son œuvre, c'est-à-dire la rénovation de l'ordre des carmélites hommes et femmes, dont elle passe pour la fondatrice; alors seulement elle écrit ses ouvrages de sainteté qui lui ont mérité le surnom de Docteur en théologie; alors seulement elle commence de mémoire, sur la demande de ses directeurs, son autobiographie qui nous la peint si bien et qui montre avec tant de précision pour les chrétiens tous les degrés de sa sainteté et pour les médecins toutes les étapes de sa maladie.

SES ŒUVRES LITTÉRAIRES. Les ouvrages de sainte Thérèse sont au nombre de cinq:

1° Une relation de sa vie où nous avons puisé pour la confection de ce travail; 1562 (Relacion de su vida);

2o le chemin de la Perfection (el Camino de la Perfectione) livre de morale chrétienne écrit pour l'enseignement de ses religieuses;

3o Le livre des fondations, qui est l'histoire des monastères fondés ou réformés par elle (El Libro de los fundaciones y los moradas);

4° Le château intérieur (El Castillo intérior), ouvrage mystique où la sainte amenant une âme aux portes d'un château fort, la conduit d'enceintes en enceintes jusqu'au septième séjour, palais de Jésus-Christ;

5° Enfin les Pensées d'amour de Dieu (los Conceptos de Amor de Dios), espèce de glose sur le livre des cantiques de Salomon.

A ces écrits dont les quatre premiers parurent de son vivant, il faut ajouter ses lettres (Las Cartas) qui furent recueillies après sa mort; la plupart contiennent des leçons évangéliques ou des discussions doctrinales formant ainsi autant de petits traités de théologie. Thérèse fit aussi quelques poésies; son sonnet' au Christ crucifié est resté célèbre en Espagne; mal traduit en vers français par SainteBeuve, Firmin-Didot et d'autres poètes, il ne peut être bien goûté que dans le texte espagnol.

Elle y exprime admirablement son immense ardeur pour Dieu, son amour plus fort que le ciel et l'enfer, amour qui la laisse indifférente à toutes choses, amour sans lequel elle ne peut vivre.

Ce qui gâte pour nous ses écrits, c'est qu'ils sont trop remplis par des opinions théologiques et par des considérations dogmatiques qui en rendent parfois la lecture pénible; c'est alors trop le docteur en théologie et pas assez la femme de lettres qui tient la plume.

Au xvIe siècle déjà, il y avait une foule d'impitoyables ergoteurs qui faisaient asseoir le syllogisme dans les chaires des écoles et, quoique femme et nonne, Thérèse fut de son

1 Voici ce sonnet:

No me mueve, mi Dios, para quererte

El cielo que me tienes prometido

Ni me mueve el infierno tan temido

Para dejar par eso de ofenderte

Tu me mueves, mi Dios, mueveme el verte

Clavado en esa crux y escarnecido

Mueve verte cuerpo tam herido

Mueve las angustias de tu muerte!

Mueve en fin de tel manera

Que aunque no hubiera cielo, yo te amara
Y aunque no hubiera infierno, te tenieria

No me tienes que dar, por que te quiera
Porque, si cuanto espero, no esperara
Lo mismo que te quiero, te quisiera

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