Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fonction même, soit admis à prendre rang parmi les assistants lors de la passation de l'acte. Il est même probable que sa présence l'autorisait à donner son avis aux contractants et qu'elle n'était pas purement platonique.

L'avoué détient, à l'époque carolingienne, au sein de l'immunité, toujours à titre de représentant, le droit de juridiction sur les hommes libres; peutêtre le possédait-il aussi dans certains cas sur les non-libres, mais je n'ose l'affirmer comme principe d'ordre général (1).

Au point de vue de l'administration des domaines ecclésiastiques, nous ne pouvons pas qualifier l'avoué du nom de régisseur en chef ou d'intendant suprême; le prepositus et le villicus ne sont nullement ses subordonnés immédiats. Prost, dans l'étude que j'ai déjà eu lieu de citer (2), définissant exactement le villicus (« agent préposé originairement à l'administration de la propriété rurale ») en fait le second de l'advocatus dans le territoire de l'immunité, mais il confond les deux périodes si distinctes de l'histoire de l'avouerie ecclésiastique en une seule; il oublie que le villicus est choisi dans la

(1) Dès le Xe siècle nous constatons que l'avoué-protecteur est généralement privé de la juridiction sur les non-libres, laissée à l'abbé ou l'évêque assisté de ses officiers particuliers. La plupart des grands règlements d'avouerie sur l'analyse desquels nous établirons les linéaments de l'avouerie nouvelle dans la seconde partie de ce mémoire, contiennent des clauses restrictives de cette juridiction déléguée à l'avoué carolingien en ordre principal. Ne nous en étonnons pas puisque l'avoué seigneurial n'est pas d'abord un justicier mais un protecteur armé.

(2) Op. cit., p. 327 et ss. · Contra SENN, op. cit., p. 69.

famille de l'abbaye et n'a d'action qu'au dedans du cercle des exploitations rurales dont il est le régisseur, tandis que l'avoué carolingien est un intermédiaire entre l'immunité et les pouvoirs publics.

Dans les rapports de l'immunité avec le dehors, dans les débats qui l'amènent au tribunal du Comte, l'avoué agira comme demandeur ou y présentera comme défendeur ses arguments ou sa justification. Il est le trait d'union entre les gens de l'immunité et le juge public; c'est lui qui livrera au comte le coupable, homme de l'immunité ou étranger, qui se sera réfugié sur le territoire immunitaire croyant échapper à la répression (1). S'il ne le faisait, le comte entrerait dans l'immunité et y exercerait les poursuites ordinaires pour s'emparer du fugitif i agirait au lieu et place de l'avoué récalcitrant.

Le législateur carolingien fait donc de l'avouerie

(1) Capitulare legibus addendum de 803. p. 113, C. 2 (proclame en outre le principe de la territorialité de juridiction de l'immunité).

Voir aussi l'édit de Pistes de 864, p. 316, C. 15.

La juridiction de l'avoué ne comprend pas, comme le remarquent BRUNNER (op. cit., II, p. 301) et SENN (op. cit., p. 62) les procès relatifs à la liberté qui sont de la compétence exclusive du tribunal comtal; il en est de même pour le cas rapporté dans les Capitula legibus addenda de 818-819, p. 285, C. 18 : « de his qui denarios bonos accipere nolunt. Quicumque liber homo denarium merum et bene pensantem recipere noluerit, bannum nostrum, id est sexaginta solidos, conponat. Si vero servi ecclesiastici aut comitum aut vassallorum nostrorum hoc facere praesumpserint, sexaginta ictibus vapulent, aut si magister eorum vel advocatus qui liber est eos vel comiti vel misso nostro jussus praesentare noluerit, praedictum bannum nostrum sexaginta solidorum conponat. >>

(Reproduit dans Capit. d'Anségise, p. 441, C. 30.)

une institution de droit public et les capitulaires dont les dispositions nombreuses constituent une législation d'avouerie, établissent sur des fondements légaux les relations qui rattachent la puissance publique aux immunités, en créant une «< passerelle >> entre les deux pouvoirs mis en présence. L'avoué carolingien revêt un caractère mixte, privé et public à la fois (1): il est nommé par les évêques et les abbés dans une réunion judiciaire et populaire, de concert avec le comte, délégué du roi ou de l'empereur, les textes soumettant aux seuls ecclésiastiques le soin de se choisir avoué, se rapportant à la période de décadence de l'avouerie franque; c'est donc à l'époque carolingienne que la juridiction des seigneurs immunitaires ou de leurs avoués acquiert un caractère public, puisque les avoués sont en quelque sorte responsables vis-à-vis du prince qui participe à leur désignation par l'entremise du comte, et qui a les moyens de surveiller leur gestion. Les missi pourvoient à cette besogne.

Le mouvement immunitaire a agi profondément sur la transformation de l'avouerie ecclésiastique. Si le comte ne commande plus directement les gens de l'immunité, s'il ne prélève plus directement les amendes, s'il n'est plus l'unique détenteur du pouvoir juridictionnel, c'est que l'immuniste forme une instance intermédiaire (2); sa juridiction résulte

(1) SENN, op. cit. (p. 30).

(2) SEELIGER. Die soziale und politische Bedeutung der Grundherrschaft im früheren Mittelalter. Leipzig, 1903. L'auteur reprend dans cette savante

de la prohibition faite aux fonctionnaires publics de s'introduire librement sur le sol de l'immunité; l'immuniste se voit donc appelé à contribuer à l'exercice des fonctions publiques (1).

La juridiction de l'immunité ne fut pas créée par l'abandon royal des revenus fiscaux qui provenaient des droits de justice, mais bien par la défense de l'introitus judicum. L'immunité n'avait cependant pas réclamé l'exclusion de la juridiction publique, mais seulement une intervention du seigneur dans l'exercice des fonctions publiques; cette intervention provoqua une certaine juridiction seigneuriale sur les affaires nées tout d'abord dans l'immunité et

ensuite sur celles résultant du contfact

avec le

étude la plupart des questions relatives à l'immunité; son œuvre présente beaucoup d'aperçus nouveaux. [Cf. Compte-rendu dans Schmoller's Jahrbuch für Gesetzgebung Verwaltung und Volkswissenschaft, Leipzig, XXVIII, p. 279280.]

(1) Siegfried Rietschel, dans un article des Mitteilungen des Instituts für osterreich. Geschichtsforsch. (1906, XXVII, 3 Heft) et intitulé Landleihen, Hofrecht und Immunität, critique le travail de Seeliger et la terminologie dont nous nous servons pour désigner des situations juridiques médiévales très différentes de celles qui dérivent de la conception de l'Etat moderne pour lequel elle est faite. Il écrit notamment « Unsere Begriffe öffentliches und privates Recht haben zur Voraussetzung die Idee des Staates als eines mit juristischer Persönlichkeit ausgestattenen organisierten gemeinwesens, in dem auch der Herrscher Organ des ganzen ist. Die Vorstellung fehlt dem mittelalter das allein den einzelnen oder mehrere einzelne als Rechtsträger kennt. » Ces réflexions sont évidemment judicieuses mais nous y répondrons en disant que bien peu de termes de notre langue juridique actuelle conviennent à exprimer des faits de droit du passé et cependant nous les employons faute de mieux; c'est à dessein par conséquent que nous nous servons des termes droit public, droit privé, tout en sachant très bien qu'ils ne représentent pas au moyen-âge ce que leur acception moderne nous exprime. Les périphrases qui nous viendraient en aide pour la fixation des deux domaines juridiques ndiqués ne seraient pas plus précises ni plus explicites.

dehors. Cette juridiction-ci semble bien s'être développée sans autorisation originaire du prince et uniquement sur le fondement de la prérogative préindiquée: interdiction d'accès au territoire visant les fonctionnaires publics. Le pouvoir central reconnut plus tard cette extension de fait et la considéra comme une émanation des privilèges accordés jadis par lui.

Seeliger soutient, en ce qui concerne la question de la plénitude de juridiction dans le chef de l'immuniste, que la thèse présentée souvent de l'attribution de la haute justice criminelle à l'immunité du Xe siècle, n'est pas fondée; en réalité, d'après lui, les immunistes auraient toujours été en possession de la haute justice sur les non-libres tandis que jamais ils ne l'auraient exercée sur les sujets libres comme effet de l'immunité. En d'autres termes, il admet qu'il y ait différenciation entre la qualité de juge des libres et de juge des non-libres, lorsqu'il s'agit de procès entre membres de l'immunité la compétence du tribunal d'immunité serait illimitée vis-à-vis des seconds, limitée quant aux premiers aux cas les moins importants (1).

Cette conception de la juridiction immunitaire franque nous paraît erronée aucun texte ne la restreint aux petites affaires auxquelles sont inté

(1) Seeliger, op. cit., p. 92 : « Die Kompetenz des Immunitätsgerichts hat während des fränkischen Zeitalters nicht darin eine Ausdehnung erfahren, dass zur niederen die höhere Justizübung hinzugetreten ist, sondern lediglich darin, dass auch Klagen auswärtiger an die herrschaftliche Instanz gewiesen war. >>

« AnteriorContinuar »