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SECONDE PARTIE

L'Avouerie ecclésiastique du Xe siècle aux Bourguignons

CHAPITRE PREMIER

Caractères généraux de la période de l'avouerie nouvelle Distinction entre cette avouerie et la précédente

Les vicissitudes de la Lotharingie envahie par les influences allemande et française, incorporée successivement aux grands empires dont elle constituait le trait d'union depuis Verdun jusqu'au jour où elle s'émanciperait de toute tutelle étrangère, se terminent en 925. Cette année marque à l'orée de l'histoire belge la fixation de sa condition politique et géographique : l'Escaut redevient d'une manière générale la délimitation de la France et de l'Allemagne. La Flandre reste attachée à la France tandis que les territoires de la rive droite relèveront de l'Empire.

Les événements politiques et les phénomènes économiques n'aboutiront pas à accentuer cette scission. Bien au contraire. Les deux régions, finiront par se rapprocher au cours des siècles, du

Xe au XIVe siècle (1). La maison de Bourgogne consolidera en un imposant groupement des principautés et des seigneuries dont les affinités sont aisément discernables (2).

Le spectacle de l'histoire des deux zones que sépare l'Escaut est spécialement, jusqu'au XIIe siècle, celui de la lente formation des principautés (3).

Les dynasties locales se modifient sous l'action des accroissements de domaines patrimoniaux et de la multiplication des revenus de la terre à mesure de l'extension des cultures; elles deviennent des principautés territoriales. Les dynastes, princes territoriaux, détenteurs de droits régaliens, bénéficiaires de seigneuries foncières importantes, résultant dans un grand nombre de cas de la concentration entre leurs mains des avoueries des terres d'église, affirment leurs droits politico-seigneuriaux avec d'autant plus de vigueur et d'assurance qu'ils se sentent moins en tutelle. Le pouvoir de ces princes est loin d'être homogène; c'est plutôt un amalgame de droits publics et de droits privés, comme leur domaine réel est un assemblage bigarré d'alleux,

(1) Ct. sur ce point l'article de H. PERGAMENI paru dans la Revue de l'Université de Bruxelles en avril 1896 et intitulé: La Belgique est-elle une nation?

(2) PIRENNE, op. cit., I, écrit excellemment p. 51 : « Les destinées des dynasties féodales de la Flandre et de la Lotharingie ont toujours dépendu des destinées de leurs suzerains, et l'on remarque sans peine qu'à chaque changement de celles-ci correspond une modification de celles-là. L'autonomie quasi souveraine dont les comtes de Flandre jouirent jusqu'au XIIe siècle s'explique par la faiblesse de la royauté française à cette époque, de même que la puissance des empereurs pendant le même laps de temps, rend compte de la lenteur que mirent les princes lotharingiens à arriver à l'indépendance. »

(3) VanderkindeRE. Formation territoriale des principautés belges au M. A.

de terres féodales, de taxes, de prestations et d'avoueries (1). Les principautés ecclésiastiques, le Cambrésis et la principauté de Liège, ne font pas exception à cette règle. Cette dernière a résisté à

(1) VANDERKINDERE. La chronique de Gislebert de Mons. (Commission royale d'histoire), 1904. Nous y trouvons à propos du comté de Hainaut la justification de ce que nous avançons :

<< Satis igitur patet quod Mons, qui et castrilocus dicitur, de jure caput totius Hanonie esse debeat, cum beata Waldetrudis totius Lotharingie ducissa in ipso loco tam vivens quam mortua seculo habitare elegerit, et cum comes Hanoniensis adipsius ecclesie abbatiam (la dignité abbatiale) et advocatiam ab antiquo sublimatus fuerit et cum bonis multis ipse et ejus feodati tam in Hanoia quam in Brabantia ditati sunt; (vient ensuite le récit de l'incident qui amène le comte de Mons Regnier I (?) à obtenir la dignité d'abbé laïque de Ste-Waudru). Le texte continue de la façon suivante, p. 22 : « .... dominus comes Hanoniensis et abbas et advocatus mansit, sicque abbatia in comitum herditatem devenit, qui de bonis que ad partem abbatie pertinebant multa per loca, salva tamen donatione capituli, homines quosdam feodavit. >>

Et encore p. 23 et 24: « Comes Hanoniensis tenet ab ecclesia montensi situm castri sui sub annuo censu quinque solidorum in cena Domini solvendorum, exceptis aliis mansuris quas dominus comes in eadem villa habet, unde ipsi ecclesie censum debet in cena Domini et in natali, Domini. quatuor in Montibus sunt mansure libere, que comiti talliam vel exactionem seu angariam aut exercitum non debent, nec in eis manentes per villicum et scabinos justiciantur, scilicet situs cambe Beate Waldetrudis, et situs cambe Beati Germani, et due mansure advocatorum. » Ce texte est intéressant à plus d'un titre; nous y pouvons voir une délimitation déjà très précise des droits du comte abbé et avoué en chef vis à vis du chapitre de Ste-Waudru.

Nous y lisons aussi que l'Eglise de Ste-Waudru a comme propriétaire, un droit de justice exclusif sur ses biens propres, qu'elle exerce par l'entremise de ses villici et de ses échevins : « omnium villarum suarum... tam illarum que fuerunt de proprio allodio beate Waldetrudis, quam aliarum que ex elemosina ad ecclesiam devenerunt, ipsa ecclesia habet villicos et scabinos, et pre comite ipsius abbate et advocato aliisque domini comitis feodatis ecclesia omnem habet dominationem et jura et totam justiciam. Econtra dominus comes habet villicum montensem et scabinos de jure abbatie. . quorumdam autem villicorum dominus comes tamquam abbas habet hominia et quosdam redditus in natali Domini, scilicet de Quarignon et Gamapia et Frameries et Kevi, Comis et Nimi et unius villici de Villa supra Hainam et de Herinis et Castris, Hal et Brania Castello et Brania Wilhotica et dominus comes illos villicos in causam trahere non potest nisi in ecclesia montensi qui quidem ibi per capitulum et per pares suos tractandi sunt. » (p. 26.)

toutes les attaques, même les plus véhémentes grâce à sa configuration propre, à son organisation militaire, aux donations et aux acquisitions dont elle profita, grâce aussi à la politique d'Otbert sous le gouvernement duquel Bouillon, Couvin et Mirwart apparaissent comme de redoutables forteresses.

Le comte du XIe siècle n'est plus le modeste fonctionnaire carolingien.

C'est un prince territorial, un seigneur foncier puissant et riche. Il groupe sous l'appellation de comitatus des survivances de son ancienne mission de mandataire impérial ou royal, exercée jadis en délégation; il y adjoint des droits privés, efflorescences de la seigneurie foncière. Ce qu'il était chargé d'exécuter comme délégué du roi ou de l'empereur, devient pour lui élément patrimonial; il gouverne son patrimoine en bon père de famille, c'est-à-dire, en lui faisant produire son maximum de rendement, il l'exploite, le fait fructifier et une raison d'Etat avant la lettre lui servira dès lors de ligne de conduite politique, raison d'Etat qui n'est que l'utilisation de son patrimoine. Les droits de justice, les titres en faveur de la perception de certaines redevances déterminées se lèguent ou se trafiquent comme portion de l'hérédité (1).

(1) PIRENNE, op cit., I, p. 107 et 108 envisage la puissance des comtes du Xe siècle comme une puissance de fait; le moyen de les revêtir de l'autorité légale leur sera fourni au XIe siècle lorsqu'ils deviendront «<< en Flandre tout d'abord, puis plus tard en Lotharingie, les protecteurs de la paix dans leurs territoires. >>

Le XIIe siècle nous présente une organisation comtale fortement établie le comte peut jouer, d'une manière générale, le rôle de juge suprême dans ses territoires, de tuteur en titre, de policier veillant au maintien de la tranquillité publique, d'avoué des églises de son comté; il a autour de lui toute une administration qui l'aide à remplir efficacement ces diverses attributions. Dès le Xe siècle le comte de Flandre n'est-il pas parvenu à se faire désigner comme avoué des abbayes du comté?

LOTHARINGIENNES.

En Lotharingie, cette politique de concentration des avoueries tutélaires par les princes territoriaux s'effectue plus lentement parce que la désagrégation impériale ne se manifeste que plus tard; au XIe siècle, les dynasties carolingiennes investies de parcelles de l'autorité publique, commencent à comprendre toute l'utilité qu'ils peuvent retirer de la possession d'avoueries, non seulement au point de vue des bénéfices matériels qu'elle leur assure, mais aussi par l'ascendant moral et juridique qu'elle leur réserve.

Par l'accumulation des avoueries ecclésiastiques dans quelques familles princières, entraînant au bout d'un temps plus ou moins long la suppression des sous-avoués despotiques, par la nécessité urgente dans laquelle elles se trouvent bientôt de faire face aux difficultés d'ordre politique qui les assaillent, difficultés suscitées par les obligations d'avouerie et concurremment par la naissance de la vie urbaine, la

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