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vite d'une situation si pénible, soit par un traité, soit, s'il le fallait, par une guerre décisive.

Les ambassadeurs furent écoutés avec bienveillance; le roi parut prendre intérêt à leurs plaintes; il les invita à les mettre par écrit, afin que chaque article pût être examiné avec l'attention qu'il méritait, et recevoir une réponse positive. Dans la supplique qu'ils rédigèrent alors, les députés normands commencèrent par remercier Henri VI et les seigneurs de son Conseil des tentatives qu'ils avaient faites pour arriver à la conclusion de la paix aux conférences de Rouen, d'Auxerre, de Corbeil et d'Arras (100). « Les sujets du roi, disaient-ils, avoient « éprouvé une grande joie en apprenant qu'aux « dernières conférences Charles VII avoit offert de << renoncer à ses prétentions sur la Normandie. Ils << en avoient esté et en estoient encore tant resjouis « que de quelconque autre chose mondaine plus ne << sauroient estre, parce que c'estoit les conserver dans << leur estat primitif, ce à quoi toutes choses tendent «< naturellement à revenir, et qu'entre l'Angleterre << et la Normandie, il n'y avoit pas seulement alliance, «< mais unité de sang, communauté d'origine. » C'était assez faire entendre, bien que d'une manière indirecte, qu'à leur avis les propositions de Charles VII à Arras étaient assez belles pour être acceptées avec empressement. Les députés se gardèrent d'insister sur ce point; ils se bornèrent à exposer combien une paix prompte et définitive était indis

(100) Traité de paix proposé et offert à Arras, en 1435, par le roi de France aux Anglais. (D. Martène, Thesaurus Novus, t. I, c. 1787.)

pensable au duché. Il ne fallait, pour s'en convaincre, que se rappeler la dure et terrible guerre que les Normands souffraient depuis vingt ans, guerre qui pour eux était toujours allée de mal en pis; les énormes subsides quelle avait nécessités, les injustices, les violences, les dévastations, la. tyrannie que le pauvre peuple avait eues à supporter ainsi qu'un « serf en servage, » et auxquelles il eût certainement succombé, si on n'eût fait luire à ses yeux l'espoir de parvenir enfin à la paix; mais maintenant ce but si longtemps poursuivi échappait à ses regards, et de tous côtés, par mer et par terre, la Normandie se voyait environnée d'ennemis des bandes françaises y avaient même pénétré et ravageaient impunément les campagnes.

Que si, contre le vœu unanime des Normands, on devait pour quelque temps encore renoncer à la paix, du moins fallait-il pousser la guerre avec vigueur, réunir des forces imposantes, en confier la conduite à un prince de la famille royale, un grand nom étant le seul moyen de maintenir dans l'armée le principe de la discipline, de jour en jour plus affaibli. On était forcé de l'avouer : le mal dont la Normandie se mourait ne venait pas seulement du fait des ennemis, mais de l'arbitraire des gens de guerre, de l'impuissance de la justice depuis longtemps énervée ou pervertie, et sans laquelle pourtant nulle seigneurie, pour grande qu'elle soit, ne saurait avoir une longue durée. Cette guerre intéressait trop l'Angleterre pour qu'à son tour elle n'en supportât pas les frais? Les Normands n'en avaient-ils pas assez fait? A quels sacrifices ne s'étaient-ils pas condamnés « en espé«rance de parvenir à paix qui leur estoit souvent

<< promise, laquelle pourtant ne leur estoit pas si < prouchaine comme ilz espéroient et que besoin « seroit. » Aussi les députés nè dissimulaient pas que le pays, à leur avis, se trouvait en plus bas état et en plus grand danger que jamais. Ils émettaient le vœu, en finissant, que Henri VI fit démolir un certain nombre de forteresses, ruineuses pour le peuple à cause des frais d'entretien qu'elles exigeaient, et plus dangereuses qu'utiles pour sa sécurité, parce que les ennemis s'en emparaient aisément et ne pouvaient en être délogés qu'avec peine. Ils demandaient aussi qu'une même personne ne fût pas chargée de plusieurs capitaineries à la fois, et que les capitaines fussent astreints à résider dans la place dont la défense leur était confiée (101).

Cette supplique fut présentée au roi le 3 décembre 1435. La réponse ne se fit point attendre: Henri VI, dont la sympathie pour la France paraît avoir été sincère, exposa son chagrin de voir la Normandie réduite à un pareil degré de misère.

Il remercia les députés d'avoir reconnu l'ancienne et naturelle union des Normands et des Anglais. Cette union, disait-il, devait « valoir amitié et confédé«ration perpétuelle. » Aussi déclarait-il que sa ferme intention était de ne point.souffrir, pour quelque motif que ce fût, que ses vrais et loyaux sujets normands fussent arrachés à son obéissance, et s'engageait-il à les relever par le plesir de Dieu des oppressions dont ils gémissaient, à les gouverner par justice, à les maintenir en paix et en tranquilité. Il protestait du désir

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(101) Bréquigny, no 1384. Lettres de rois, reines, etc., publiées par M. Champollion-Figeac, dans la Collection des documents inédits, t. II, 423.

qu'il avait de conclure la paix; il donnait les conférences qui avaient eu lieu dernièrement comme autant de preuves de la sincérité de ses intentions à cet égard, et rejetait sur la conduite de la France la responsabilité de la continuation des hostilités. Il convenait que, puisque la paix ne pouvait être conclue pour le moment, il était nécessaire de mettre fin à la guerre le plus promptement possible, au moyen d'un armement formidable. On y avait songé, et sur ce point les vœux des Normands avait été prévenus. Il avait été décidé par le parlement qu'on lèverait une puissante armée, la plus grosse qui, de mémoire d'homme, eût passé la mer, une armée de 2,100 lances et de 9,000 archers pour le moins; elle demeurerait longtemps sur le continent et agirait avec tant de diligence, qu'en peu de mois les Français seraient contraints de suspendre les hostilités. Une compagnie devait partir dès avant le 1er janvier; une autre vers la fin du même mois; et bientôt après, on verrait arriver la grosse armée conduite par le duc d'York en personne, assisté des comtes de Salisbury, de Suffolk et de Mortain. Il ajoutait que, malgré tous les succès qu'on pouvait légitimement espérer de forces aussi imposantes, il serait toujours prêt pour la « révérence de Notre Sei« gneur et le repos de son peuple à entendre à toute « bonne et raisonnable paix dans l'intérêt de ses bons, « vrais et loyaux sujets, qu'il aimoit tendrement pour « la bonne amour vraye, et la grant loyauté et obėis« sance, patience, fermeté et constance qu'il avoit tou« jours trouvé en iceulx. »

Quant aux points relatifs aux finances, le roi n'était plus aussi explicite; il était loin de nier l'im

portance des sacrifices que les Normands s'étaient imposés; au contraire, « il en avoit, assurait-il, telle • compassion que plus grande ne pouvoit avoir; »> mais il déclarait en même temps qu'il avait encore confiance dans leur dévouement. Pour les toucher, il évoquait le souvenir de sa première enfance, protégée par leur fidélité non moins que par les soins de son oncle Bedford; il les priait de considérer que le roi son père qui « tant ama la chose publique, l'avoit « laissé en l'âge de 1x mois, et que maintenant luy avoit « Nostre Seigneur donné grâce de venir jusqu'à XIV ans « accomplis. » C'était un encouragement pour eux à prendre en gré la volonté de Dieu et à espérer que la Providence qui toujours l'avoit conduit, lui prêteroit aide et renfort dans les affaires difficiles où il se trouvoit actuellement engagé. Cette espérance, à l'en croire, semblait d'autant plus fondée, que, pour lever cette grosse armée, les états d'Angleterre lui avaient accordé des sommes considérables, témoignant par là qu'ils ne voulaient pour rien abandonner les Normands, et se croyaient obligés de les défendre au même titre que des compatriotes.

Quant aux abus qui s'étaient glissés dans les capitaineries et aux dangers que présentait la conservation de forteresses mal défendues, il annonçait que le lieutenant général, le duc d'York, était chargé de donner sur ce point satisfaction aux réclamations des Normands (102).

Le roi ne se contenta pas de répondre aux députés : il écrivit aux bourgeois de Paris, à ceux de Rouen et de plusieurs autres villes de Normandie, pour justifier

(102) Bréquigny, no 1386.

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