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effet le caractère distinctif de Commines. Sérieux, réfléchi, profondément versé dans la connaissance des hommes et des cours, il pardonnait à la puissance, même quand il s'agissait de lui-même 1 ; les haines, les fureurs, les vengeances, pourvu qu'elles ne la précipitassent dans aucun danger. La sagesse était le premier mérite à ses yeux : ainsi appelaitil cette prudence, toujours maîtresse de soi,"qui tend au but avec patience, et ne dédaigne pas la ruse et l'intrigue. Moins attaché à la droiture par amour de la vertu, que parce que la justesse de son jugement lui montrait en elle les plus sûrs moyens de stabilité et de succès, il ne semble pas avoir eu assez d'éloignement pour cette politique dont l'Italie se glorifiait alors, que le duc de Milan croyait enseigner à Louis XI, et qui a de nos jours établi cette maxime, à l'occasion d'un épouvantable forfait : c'est pis qu'un crime, c'est une faute; manière d'envisager les événements qui se décèle

2. Avec quelle simplicité il parle du traitement que Charles VIII lui fit essuyer! «Je crois, dit-il, que j'ai été l'homme du monde à qui il a fait le plus de rudesse; mais cognoissant que c'estoit en sa jeunesse, et qu'il ne venoit pas de lui, ne lui en sceus jamais mauvais gré. » Il passa huit mois au château de Loches, enfermé dans une de ces cages de fer qu'avait imaginées La Balue. «< Plusieurs les ont maudites, dit-il, et moi aussi qui en ai tâté sous le roi d'à-présent. »>

dans le passage curieux où Comines récapitule les sujets de joie qu'eut Louis XI, après la mort de Charles-le-Téméraire : « La joie fut très grande >> au roy de se voir au-dessus de tous ceux qu'il haïssoit, et qui estoient ses principaux ennemis. >> Des uns s'estoit vengé comme du connestable de » France, du duc de Nemours et de plusieurs au>> tres. Le duc de Guyenne, son frère, estoit mort, >> dont il avoit la succession. Toute la maison d'Anjou estoit morte, comme le roy René de Si>> cile, les ducs Jean et Nicolas de Calabre, et puis » leur cousin, le comte du Maine, depuis comte » de Provence. Le comte d'Armagnac avoit esté >> à l'Estore; et de tous ceux-ci avoit ledit sei» gneur recueilli les successions et les meubles. >> On voit, observe à ce sujet M. J. de Chenier, que Louis XI n'oubliait pas ses intérêts, et qu'il fallait beaucoup de malheureux pour faire son bonheur 1.

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Ce connétable, dont Louis se vengea avec tant de satisfaction, n'est pas le seul des ennemis du maître que Commines ose louer; mais l'éloge qu'il lui donne vient encore appuyer ce que nous avons dit plus haut. Louis de Luxembourg estoit sage et vaillant chevalier, et qui avoit vu beaucoup; et sans

1. Fragmens du cours de Littérature fait à l'Athénce de Paris en 1806 et 1807. Paris, 1818, in 8o, page 159.

doute s'il le blâmait, c'était moins d'avoir encouru une condamnation capitale pour crime de lèse-majesté, que de n'avoir pas eu l'habileté des'y soustraire.

Le bon sens de Commines est admirable dans les digressions. Mais quoique son style ait pour destination principale d'enfermer une pensée juste dans un tour énergique, il lui échappe, au milieu de ses narrations, des traits d'imagination qui contrastent avec sa froideur accoutumée. Veut-il peindre des guerriers qui cachaient leur fuite dans les ténèbres? il se sert de cette phrase pittoresque : « La » nuit n'a point de honte. » S'agit-il de montrer Louis XI sur le champ de bataille? il s'exprime ainsi : <«< Tous ceux du roy se retirèrent sur le bord » d'un fossé où ils avoient esté le matin, car ils >> avoient crainte d'aucuns qu'ils voyoient marcher, qui s'approchoient; et lui fort sanglant, » se retira à eux comme au milieu du champ. » etc. Enfin, n'est-ce pas à Commines que Walter Scott doit les traits les plus vifs du tableau des emportements de Charles-le-Téméraire, des horreurs et des menées de Louis XI à Péronne?

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Jacques Du Clerq confirme les faits rapportés par les historiens que nous venons de citer, ou conserve des particularités qu'ils ont omises; telles sont celles relatives aux persécutions qu'éprouvèrent les prétendus Vaudois, où le comte d'Etampes

joua un rôle si odieux; et qui retombèrent principalement sur les membres du corps municipal, dont l'indépendance et l'attachement pour leurs priviléges étaient les véritables crimes, et sur des citoyens opulents dont on convoitait la dépouille. Les personnages qu'il met en scène ont le caractère qu'on leur connaît; quelquefois il les place dans un nouveau jour.

Il existe entre Louis XI et Tibère plus d'un rapport. Tous deux eurent une jeunesse dissolue ; l'un fit à Genappe ce que l'autre avait fait à Rhodes. Amis du pouvoir réel, et affectants d'en mépriser les dehors, cruels, actifs, railleurs, superstitieux, ils donnèrent à leur mort le même spectacle. Caprée était une retraite semblable à celle du Plessis-lezTours. La Balue tomba comme Séjan; le duc de Guyenne périt comme Germanicus. Mais Louis avait des desseins plus vastes, et qu'il poursuivait avec plus d'habileté. Grand besogneur en négociations et en rompements de foi, après avoir négocié pour s'agrandir, dit un homme d'esprit, il trompa parce qu'il avait négocié; il tua, parce qu'il avait trompé, et le plus familier de tous les rois en devint le plus sombre.

Sa popularité était moins l'amour des petits que la haine des grands : les idées chevaleresques qui dominaient encore ceux-ci lui coùtaient trop à

combattre; il ne fallait point tant de façons avec des gens qu'il tirait des dernières classes de la société. Mais s'il était le roi bourgeois, le duc de Bourgogne représentait le souverain féodal. Qui l'eût cru pourtant? Le prince qui accueillait le mieux les nobles, fut aussi celui qui porta à la noblesse le coup le plus funeste, en la conférant pour de l'argent; exemple qu'avait déjà donné en France Philippe-le-Bel ; c'est ainsi que l'inconséquence a quelquefois l'air d'une politique profonde, et en recueille le fruit.

Du Clercq n'apprend pas seulement à connaître les personnes, mais les coutumes, les mœurs et quelquefois les institutions; pour en convaincre le lecteur, nous avons réuni les détails de cette nature qu'on trouve épars dans ses Mémoires; et nous avons tâché de donner ainsi une idée de l'état de l'église, de l'armée, de la cour et des lettres, aux Pays-Bas, durant les vingt années dans lesquelles il s'enferme. Nous commencerons par le clergé, qui s'arrogeait le premier rang.

Les mœurs de ce clergé étaient scandaleuses. On lit souvent, dans les anciennes poésies, des

1. Flandriæ Generosa suppl., page 119, et plus bas, où nous avons cité tout le chapitre consacré à Philippe.

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