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recevrait lui-même. Othon agrée cette proposition, par le conseil des évêques et des seigneurs qui composaient alors sa cour. Il accepte la terre de Lure et la donne à Baltram. Le titre de cette donation nous apprend que Lure doit demeurer sous la garde des empereurs, qu'elle sera exempte de toute juridiction épiscopale, que ses religieux auront le libre pouvoir de choisir leur abbé, qu'ils professeront la règle de saint Benoît, enfin qu'ils dépendront immédiatement du pape à qui ils paieront annuellement un cens de cent sicles d'argent. Othon ajouta à ce magnifique présent le don d'un de ses propres domaines (1), et Baltram, muni de la charte où les volontés impériales étaient exprimées, entra dans sa nouvelle abbaye la veille de la fête de saint Simon et de saint Jude, au mois d'avril 959. Cet homme de Dieu releva le cloître, agrandit l'église abbatiale qui était dédiée à la Vierge, mourut, dans la même année, la veille de l'Assomption, comme une révélation le lui avait appris longtemps auparavant. Il fut enseveli à droite du maître-autel, et son tombeau devint célèbre par des miracles (2). D. Mabillon le compte parmi les saints de l'ordre de saint Benoît; d'autres auteurs lui donnent seulement le titre de bienheureux (3).

et

Selon Vibert qui a écrit l'histoire de Léon IX, Ies fils de Hugues n'embrassèrent la vie monastique que dans leur vieillesse (4). Tous trois sont renommés par les maisons

(1) Concedit eidem prædium in loco qui dicitur Wolvesheim (Wolfisheim) et Rotesheim (Rosheim). Charte de 959.

(2) Vita S. Deicol. 18 januar., cap. x, N. 41 et seq.

(3) Acta sanct. ord. S. Bened., VII, p. 277-278.

(4) Circå senium, abjectâ omni superbiâ generis et luxu mundi, induerunt humilitatem vitæ (Cap. I.).

illustres auxquelles ils ont donné naissance. Eberhard, l'aîné, est la tige de la maison de Lorraine. De Hugues sortit celle des comtes d'Eguisheim et de Dasbourg dans laquelle naquit le pape Léon IX. Gontram fut le père de Landold, premier auteur de la maison d'Autriche (1).

Werdolphe, neveu de Baltram, gouverna Lure après lui. Il se distingua par son amour pour la chasteté, et le légendaire le compare à une lampe, symbole de la pureté et de la science. C'est à Werdolphe que la vie de saint Delle est dédiée. Elle fut composée après la mort d'Othon-le-Grand, qui arriva en 974; car l'auteur y parle de ce prince comme n'étant plus au monde. Quant à l'historien de Lure, c'était certainement un religieux, puisqu'il entreprit sa chronique par les ordres de l'abbé, et qu'il appelle saint Benoît son bienheureux père. Bollandus en avait néanmoins douté, parce que, dit-il, le légendaire n'a point exprimé sa qualité dans la préface. Il est vrai qu'on ne peut rien tirer de ce morceau, tant il est obscur. Mais cette circonstance est suffisam-ment indiquée ailleurs. Nous avons apprécié la valeur historique de la légende. Elle n'est pas sans intérêt, considérée seulement sous le rapport littéraire.

Le dixième siècle dans lequel on compte six famines, treize pestes et des guerres presque continuelles, n'était pas favorable à la culture de l'esprit. Cependant les monastères de la Bourgogne offrent encore quelques noms illustres dans les annales des belles-lettres. A Luxeuil, Adson et Constance soutiennent la gloire de cette école

(1) Le Père Laguille, histoire d'Alsace, LXIII, p. 152 et suiv. — Id. D. Calmet. hist. de Lorraine, ch. LXIX, p. 164.- Id. M. Ed. Clerc, t. I, p. 227.

fameuse qui, depuis saint Colomban, n'avait pas cessé. d'être fréquentée par une brillante et studieuse jeunesse. Nourris au milieu des souvenirs les plus glorieux, animés par les exemples de leurs devanciers, ils avaient à leur disposition une bibliothèque nombreuse. S'ils sont supérieurs à l'anonyme de Lure, il faut tenir compte de certaines différences. Cette abbaye, si longtemps humiliée, n'offrait pas les mêmes ressources. Elle sortait à peine de ses ruines. Ainsi quel que soit le mérite des écrivains qu'elle produit, c'est un noble et touchant spectacle de voir ces nouveaux religieux partageant leurs veilles entre la prière, l'étude et le travail manuel, relever d'une main les murs du monastère et de l'autre recueillir et préparer les matériaux de son histoire.

Le style du légendaire est chargé d'expressions emphatiques, et il affecte quelquefois les tournures de la poésie. Ce défant de naturel rend l'ouvrage fort difficile à lire. Sous le rapport de l'érudition, il me semble plus remarquable. L'Écriture sainte était familière à l'auteur qui en tire des comparaisons fréquentes. Il possédait assez bien l'histoire des Gaules, puisqu'il consacre un chapitre tout entier à énumérer les titres de nos principales églises. D'autres passages révèlent en lui quelque connaissance de l'antiquité. Parlant du manteau de saint Delle, il nous apprend par quel mot les Grecs désignaient ce vêtement (1), et plus loin il fait allusion à l'opinion des philosophes anciens sur l'émission des rayons solaires (2).

(1) Birrum, quod Græci amphiballum vocant. (Amphi ballôn. ) (2) Radium solis quod nihil aliud est, juxtà definitionem philosophorum, nisi crassitudo aeris et illustratio solis ( Vit. S. Deicol. N. 20.).

CHAPITRE II.

Origine des droits régaliens.-Opinion de D. Berthod.-Lure, fief de l'empire.-Réfutation du système de Dunod.-Diplôme de Henri II. Léon IX protège les possessions de l'abbaye.-Condition des habitants pendant les siècles de la féodalité.-Rapports de Lure avec le diocèse de Besançon.-De quelques seigneurs, voisins de l'abbaye.Frédéric II la prend sous sa protection.—Bulle d'Alexandre III, en faveur de cette maison.-Thiébaud, abbé de Lure, porte le titre de prince de l'Empire.

Dans l'époque que nous venons de parcourir, plusieurs faits ont excité au plus haut degré l'attention des savants. Il importe de les discuter et d'en apprécier la portée. D. Berthod voulant déterminer le temps où l'abbaye de Lure commença à jouir des droits régaliens, croit découvrir l'origine de cette puissance dans la donation de Clotaire II (V. p. 9). Il en cite, il en pèse les expressions, les compare avec celles qui caractérisent les autres donations de la même époque, et après avoir établi certaines différences, il conclut que la concession de Clotaire II s'étend jusqu'aux attributs de la souveraineté (1). Un historien

(1) « De peur d'affaiblir la force de cette donation, dit le savant Béné– » dictin, il faut en citer les termes tels que nous les a conservés l'auteur des » actes de, saint Delle: Omnia quæ apud sanctum Antonium juris mei >> dicuntur, liberâ traditione tibi trado. Ces mots renferment une do» nation singulière et peu usitée. Marculphe ne nous en a point laissé de » pareilles dans ses formules. Voici pour l'ordinaire les termes dans les

récent a fait sentir combien D. Berthod s'était exagéré l'importance de ce titre. L'abbaye de Lure s'élevait à peine, elle était pauvre et obscure. Comment aurait-elle eu les attributs de la souveraineté, tandis que Luxeuil et Condat ne les possédaient point encore, malgré la réputation dont ils jouissaient? Pour établir un fait aussi grave, il faut, ce semble, une autorité plus forte que celle du légendaire de saint Delle, moine inconnu, qui écrit quatre siècles après l'évènement, et à qui on ne doit accorder qu'une médiocre confiance. Peut-on, avec D. Berthod, peser mot-à-mot le texte de cette légende, comme celui d'une charte incontestée; et, à le prendre même à la lettre, ce n'est autre chose qu'une cession de propriété • faite par le prince, sur certaines terres, avec un droit utile dans les pêches royales (1). Quant à la cession du droit de souveraineté, M. Ed. Clerc ajoute, avec beaucoup de

» quels elles sont conçues : Do, concedo villas cum omnibus appenditiis >> et jnribus. La concession de Clotaire dit tout cela, elle dit plus encore: >> non seulement ce prince donne toutes les appartenances et les droits at» tachés à la chapelle de saint Antoine, mais il cède de plus les siens, » ceux qu'il possédait à cause de sa couronne. Il donne tout: omnia quæ juris mei dicuntur tibi liberaliter trado. »....

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D. Berthod continue: « Plus on réfléchit sur la donation de Clotaire, >> plus on a lieu de se convaincre qu'il détacha de sa couronne un grand >> nombre de régales pour enrichir le monastère de Lure...... Parmi les » biens qu'il lui assigna, il en est un auquel on ne peut refuser la qualité » de droit régalien, c'est la pêche : In piscationibus regalibus. Cette épithète regalibus signifie sans doute quelque prééminence. Pourquoi >> l'auteur des actes l'aurait-il insérée dans la donation de Clotaire, si elle » n'eût rien annoncé de particulier ? et que pourrait-elle dire, sinon » quelque inspection, quelque autorité dont le prince voulait accompa» gner son bienfait? » (Mém. de l'académie de Besançon, concours de 1762, dissertat. de D. Berthod.)

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(1) Essai sur l'histoire de la Franche-Comté, t. I, p. 148.

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