Imágenes de páginas
PDF
EPUB

de Dieu (1). Ne nous étonnons point que, malgré la protection des empereurs, Lure confie aux seigneurs du voisinage la garde de ses droits. Depuis le XIe siècle, les moines mêmes les plus puissants étaient continuellement troublés dans leurs cloîtres par les incursions des nobles ou par les guerres que ceux-ci se livraient entre eux. Ils recherchèrent donc l'alliance de ces dangereux voisins. Ils la payaient par une somme d'argent ou par des redevances annuelles en cire et en grain, mais le plus souvent en partageant les revenus de leur maison avec leurs protecteurs. On appelait pariage une telle association.

Les sires de Faucogney dont cent-vingt villages et hameaux composaient la baronnie, eurent avec Lure des rapports fréquents qui remontent vers 1147. Henri, l'un d'eux, donna le droit de pâturage dans toutes ses terres à la maison de La Font qui appartenait à notre abbaye (2). Les comtes de Montbéliard, beaucoup plus redoutables par la puissance de leurs armes, entretenaient aussi des relations amicales avec les religieux. Amédée se trouvait à Lure vers 1167. Ily reçut de Gaucher d'Oricourt un acte de renonciation à tous les droits que celui-ci revendiquai t sur certains domaines de l'abbaye de Bellevaux. Le comte se

(1) Pièces justificatives, N. 1.

(2) Cette maison tirait son nom d'un gouffre très-poisonneux qui sépare la ville de l'abbaye. Il a environ 400 mètres de circonférence, sa figure approche de l'ovale; il s'enfonce obliquement dans le sol et on ne saurait en mesurer la profondeur. Le trop plein s'en écoule par un canal qui, après avoir alimenté un lavoir et l'abattoir public de Lure, reçoit ses eaux de plusieurs sources forme un ruisseau connu sous le nom de la Reigne, et va se réunir à la fontaine Saint-Delle plus haut que le village du Magny-Vernois.

[ocr errors]

fit lui-même la caution de cet engagement (1). Environ quinze années auparavant, Lure avait été, comme le pays de Montbéliard, le témoin et peut-être la victime des ravages du duc Berthold IV de Zahringen. On sait que ce prince se jeta dans la haute Bourgogne, et que de sanglants combats la dépeuplèrent en partie. C'était FrédéricBarberousse qui, par un traité conclu avec Berthold, avait suscité ce farouche ennemi à la province dont il méditait lui-même la conquête. Une alliance plus douce lui assura l'objet de son ambition. Il épousa, en 1156, Béatrix, héritière de nos comtes, et devint par ce mariage souverain immédiat de tout le pays. Les historiens de la Comté ont fait voir combien il fut favorable aux évêques et aux monastères, et avec quelle générosité il leur dispensa ses faveurs. Ulric, abbé de Lure, se plaignit à lui des vexations auxquelles il était en butte. Frédéric l'accueillit favorablement et le prit sous sa protection spéciale, espérant, disait-il, que les religieux reconnaissants prieraient pour lui, pour l'impératrice et pour la stabilité de l'empire. Tous les droits du monastère furent rappelés et garantis par la charte de Frédéric-Barberousse. Elle fut donnée à Montbarrey, au mois de novembre 1157, et signée au milieu d'une cour nombreuse, par les plus hauts personnages, l'archevêque de Besançon, les ducs de Lorraine et de Bohême, Ulric, comte de Lentzbourg, Hugues, comte de Dagsbourg, et autres, tous, comme l'abbé de Lure, membres et princes de l'empire (2).

(1) Collection diplom. de M. Duvernoy.

(2) Collection diplomatique de M. l'abbé Brocard. L'abbaye de Lure est qualifiée royale dans le diplôme de 1157. Si l'abbé ne porte pas encore le titre de prince, il a déjà, ce semble, tous les honneurs qui y sont attachés.

Guy, successeur d'Ulric, obtint du pape Adrien IV des priviléges qui furent rappelés, quelques années après, par Alexandre III, dans une nouvelle bulle adressée au même abbé. Ce dernier acte renferme l'énumération des églises et des autres possessions du monastère : ce sont Lure, Vouhenans, Pont, Bouhans, Genevreuille, Vyt, Plancher, Frahier, Chalonvillars, Tavel, Dambenoît, Lioffans, Frotey et trois autres villages dont on ne connaît point exactement le nom moderne (1). Ces différents lieux sont situés dans le diocèse de Besançon. Le pape nomme en outre six églises de la Haute-Alsace, et rappelle la donation faite par Henri de Faucogney à la maison de Lafont, l'une des dépendances de l'abbaye. Il prononce des peines canoniques contre ceux qui oseraient porter la main sur ses biens et les dévoué à toutes les rigueurs de la vengeance divine: on lit encore dans la bulle, qu'un tribut annuel de dix sols bâlois sera payé par les religieux à la chambre apostolique (1178). Guy se démit de l'abbaye de Lure. Il vivait encore en 1189, époque où il figure sous le titre d'ancien abbé, parmi les témoins d'un acte fait par Thierry archevêque de Besançon, au profit des religieux de Bithaine (2).

A la mort de Frédéric, Henri VI, son fils aîné, monta sur le trône de l'empire. On a une charte, datée de 1196, qu'il signa entre Lure et Luxeuil, en se rendant à Besançon avec le comte Othon, son frère. Celui-ci donnait en fief, par cet acte, à Frédéric de Breuche la moitié du château et la fontaine salée de Rosières, en Lorraine. Ce fut

(1) Ballete (Baulay?) Bracteos (Breuche ou Brotte?) et Gur (Gruey). Colleci. diplom. de M. l'abbé Brocard.

(2) Manuscrit du père Dunand sur les abbayes de Franche-Comté.

sans doute alors qu'Henri VI renouvela les priviléges de Lure, par un titre dont son fils Frédéric II fait mention dans un diplôme de 1218 (1).

Au commencement du siècle suivant, Thiébaud de Faucogney occupait le siége abbatial. Il tint pendant quelque temps le prieuré de Chaux, en vertu d'une concession de l'abbé de Cluny. Le premier acte qui nous le fait connaître est un échange conclu au mois de mai 1215 avec le doyen de Saint-Paul. Celui-ci cède au prieuré ses droits sur les églises de Branne et de Roche, et il reçoit en retour tout ce qui dépendait de ce bénéfice à Chazelot et à Mailley, en hommes, terres, prés et autres biens (2).

Sous le gouvernement de Thiébaud, plusieurs seigneurs firent à l'abbaye de Lure des dons abondants. Deux frères, Guy et Henri de Montjustin se montrèrent surtout fort libéraux envers elle. Ils lui cédèrent six parts sur dix dans tout ce qui leur appartenait à Froideterre (2 mai 1220) (3). Othon, chevalier et avocat de Montbéliard, lui assigna à son tour un cens sur les rentes qu'il possédait à But et à

(1) M. Ed. Clerc t. I, p. 385.—Inventaire des titres de l'abbaye. Dissert. de M. Droz, concours de 1762.

(2) Collect. diplom. de M. Duvernoy.

(3) Note de M. Duvernoy,-L'inventaire de l'abbaye de saint Vincent cite un acte de 1223, scellé des sceaux de Thiébaud, abbé de Lure, et de Gérard, abbé de Bithaine, par lequel Anne, femme de Guy de Montjustin, cède aux religieux de saint Vincent une partie des dîmes de la paroisse de Vyt. (T III, N. 1308.) On trouve dans ce même recueil l'indication d'un accord conclu entre l'abbaye de saint Vincent et Guy de Roche, chevalier (avril 1233). Thiébaud, abbé de Lure, et Jean, chanoine de Besançon, furent témoins de ce traité. (T. II, 736).

Mandrevillars (1). L'empereur Frédéric II mit le comble à la grandeur de Lure Dès 1218, par un diplôme daté de Brisach (16 mars), il prit cette abbaye sous sa protection, et approuva ses priviléges et ses coutumes. En 1232 (août), il reçut Thiébaud au nombre de ses chapelains, lui renouvela l'assurance de sa bienveillance, et le confirma dans la possession de tous les biens du monastère, tant ecclésiastiques que séculiers (2). C'est dans cet acte que l'abbé de Lure porte pour la première fois le titre magnifique de prince de l'empire. A en juger par ces trompeuses apparences, rien n'égalait le prospérité de sa maison. Mais le diplôme de 1232 parle des adversités que Thiébaud a subies. Lure est à l'apogée de sa puissance; le cours de ses malheurs a déjà commencé.

(1) Cette donation est de 1229. (Archives de l'ancienne abbaye de Lure à la préfecture de Vesoul.)

(2) Concours de 1763. (Voir les deux chartes de 1218 et de 1232 dans les preuves de la dissert. de D. Berthod.)

« AnteriorContinuar »