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lence des nuits, pour vaquer à la prière. Cependant sa présence inquiète les habitants. Ils portent leurs plaintes devant Verfaire, seigneur Burgunde dans l'alleu duquel Lure était enclavé, et qui résidait avec Berthilde, sa femme, à Chalonvillars (1). Ce barbare informé qu'un moine étranger veut s'emparer de son église, le traite de la manière la plus indigne, jusqu'à le faire mutiler honteusement. Mais la mort subite de Verfaire venge le solitaire de cet outrage (2). Berthilde, devenue veuve, lui donne la terre de Luthra (Lure), celle de Villa-Colonis, (Chalonvillers) et de Vivarias, et avec le secours de ces pieuses libéralités, saint Delle élève près de sa demeure deux oratoires en l'honneur de saint Pierre et de saint Paul. Ainsi commença l'abbaye de Lure. Son fondateur rallia d'abord autour de lui quelques-uns de ses anciens compagnons que la persécution avait dispersés. Colombin, Irlandais de naissance, fut son premier disciple. Bientôt de nombreux prosélytes vinrent se joindre à eux, et ils pratiquèrent ensemble la perfection chrétienne selon les règles sévères que saint Colomban leur avait tracées.

Sur ces entrefaites, Thierry mourut; sa race fut détruite, et la Bourgogne entière passa sous le sceptre de Clotaire II (613). Ce roi honora les évêques et enrichit les monastères. Il aimait saint Colomban qui lui avait prédit sa grandeur future; et ne pouvant le décider à quitter

(1) Parochus cum officialibus Deicolum insecutus est. Perreciot veut entendre par le mot officialibus, les familiers de l'église de Lure. Ainsi, après avoir rejeté les faits les plus incontestables de la légende, il en presse

les expressions pour leur attribuer le sens le plus inattendu.

(1) Vita S. Deicol. apud Boll. 18 januar. N. 16 et seq., cap. IV.

l'Italie, il laissa du moins des marques éclatantes de sa bienveillance aux établissements où vivaient encore le nom et les institutions de l'illustre proscrit. Luxeuil surtout fut cher à son cœur. Il donna à saint Eustèse, abbé de ce monastère, le droit d'étendre, aussi loin qu'il le voudrait, les propriétés de sa maison. Ce fut le hasard d'une partie de chasse qui attira sur Lure les regards de Clotaire. Il possédait, dans les environs, le fisc royal de Saint-Quentin; et les forêts des Vosges, qui en sont voisines, forêts chantées par Fortunat, peuplées d'ours, de sangliers, de chevreuils et de taureaux sauvages, à l'égal des Ardennes, présentaient un vaste théâtre à la passion immodérée de ce prince pour la chasse, et à ses lointaines excursions. Égaré dans le voisinage, Clotaire arrive à Lure en poursuivant un sanglier que ses chiens chassaient devant lui. L'animal fourvoyé se réfugie dans la cellule de saint Delle où, selon la tradition, il devient doux comme un agneau à l'aspect du vieillard. Le roi entre quelques instants après. La figure du saint abbé, sa haute taille, ses cheveux blancs, le spectacle des longues austérités dont ses traits amaigris portent l'empreinte, tout frappe, tout émeut Clotaire qui s'informe avec intérêt de la vie de son hôte. Il apprend qu'il parle à un disciple de saint Colomban. Dès-lors sa générosité ne connaît plus de bornes. « Je te donne, lui dit-il, je te livre tout ce qui m'ap» partient dans ces lieux en forêts, pêches royales, prés » et pâturages, pour qu'il demeure perpétuellement uni ton monastère. J'ajoute à ce don la villa Bredana » avec son église et les vignes situées à Saint-Antoine (1).

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(1) Vit. S. Deicol, apud Boll. 18 januar., cap. v.-Id. M. Ed. Clerc, t. 1, p. 147.

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Le légendaire raconte ensuite que saint Delle fit un voyage à Rome pour soumettre son monastère à l'autorité immédiate du pape, et que celui-ci lui accorda des priviléges fort étendus. Cette assertion ne mérite aucune croyance à cause du grand âge de l'abbé de Lure qui, quelques années auparavant, n'avait pu suivre son maître dans l'exil. Elle signifie sans doute que l'abbaye, dès les premiers siècles de son existence, fut confirmée par le souverain pontife dans la possession de ses biens.

Quoi qu'il en soit, saint Delle, avant de mourir, voulut pourvoir au gouvernement de sa communauté. Il choisit pour successeur Colombin, le dernier de ses compatriotes, et le plus cher de ses disciples, et se retira dans une cellule écartée où il fit bâtir un oratoire en l'honneur de la sainte Trinité. Il y mourut plein de vertus et de jours, le 15 des kalendes de février, vers l'an 620, entre les bras de ses religieux qui, près de le perdre, étaient venus recevoir ses dernières instructions et le baiser de la paix fraternelle (1). Saint Delle sembla revivre dans son successeur. Déjà la réputation de Lure s'étend au loin. Un grand nombre d'hommes, distingués par leur naissance et par leurs richesses, quittent le siècle pour embrasser une vie plus parfaite sous la direction de saint Colombin. La piété et la science fleurissent dans le nouveau monastère; et s'il est moins renommé que Luxeuil, on le compte du moins parmi les maisons les plus chères à ce cloître célèbre où les peuples viennent chercher des évêques. La mort de saint Colombin fut, comme celle de son maître, précieuse aux yeux de Dieu, et glorieuse de

(1) Boll. 18 januar. Vit. S. Deicol., cap. vi.

vant les hommes. Des prodiges signalés éclatèrent au tombeau des deux saints; et leur culte, en se perpétuant à Lure, s'est répandu dans la Bourgogne, l'Alsace et la Lorraine (1).

Après saint Colombin, l'histoire de Lure se perd pendant plus d'un siècle dans la nuit des temps. La Séquanie n'a plus d'historiens, et l'on est réduit à des conjectures sur les questions les plus importantes. Sans doute l'invasion des Sarrasins fut fatale à notre abbaye, comme aux autres monastères. On peut en juger par la désolation des lieux voisins. A Luxeuil, l'abbé périt avec ses compagnons, et le cloître fut abandonné pendant quinze ans (732).

La race mérovingienne, en descendant du trône, ne laissait que des ruines dans la Bourgogne (751). Elles furent réparées par les Carliens, qui ouvrirent une main libérale aux maisons religieuses. Lure eut part aux bienfaits de Pepin. Plus pieux encore, Charlemagne et Louisle-Débonnaire comblèrent cette abbaye de nouvelles faveurs. Les lettres où leurs donations étaient consignées, furent présentées, au commencement du onzième siècle, à l'empereur Henri qui en approuva le contenu (2). Ainsi se préparait, dès le temps des premiers Carliens, la haute fortune de Lure.

(1) Vit. S. Deicol. Id. apud D. Mabillon, in actis sanct. ordin.

S. Bened.

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(2) Detulit nobis immunitates Pepini quondam regis et Caroli nec non et Ludovici bonæ memoriæ imperatoris, in quibus invenimus insertum quod vir venerabilis, Deicolus abbas, ex largitione anteriorum regum, in fisco ob amorem Dei ædificavit ce sont les termes d'un diplôme de 1016, donné à Milon, abbé de Lure, par l'empereur Henri и.

Au concile d'Aix-la-Chapelle, tenu en 817, la règle de saint Benoît fut imposée à tous les monastères. Plus douce que celle de saint Colomban, elle la fit bientôt oublier dans les lieux mêmes où celle-ci s'était conservée le plus longtemps. Le même concile divisa les abbayes en trois classes, et leur demanda, pour le salut de l'empire, aux unes des hommes et des subsides, aux autres des subsides seulement, aux troisièmes des prières. Condat et Faverney furent rangées dans la première, Baume-lesDames dans la seconde, Lure dans la troisième. C'est la contribution la plus facile à payer qui est imposée aux religieux de Lure. Est-ce parce qu'ils sont encore obscurs et assez pauvres, ou bien leur crédit les a-t-il fait dispenser des autres charges? Cette dernière conjecture n'est pas sans fondement. Car les abbayes les plus fameuses, comme Luxeuil, Saint-Denis et Saint-Martin, qui ne sont point nommées dans cette grande classification, semblent avoir été favorisées plutôt qu'oubliées (1).

La mort de Louis-le-Débonnaire fut suivie du démembrement de l'empire. Les deux Bourgognes comprises dans le lot de Lothaire Ier, passèrent à Lothaire II, son fils, avec l'Alsace et les provinces situées entre l'Escaut et le Rhin. Ce royaume prit de son fondateur le nom de Lotharingie ou Lorraine. Lothaire II, dès son avènement à la couronne (855), commença à disposer à son gré des bénéfices ecclésiastiques. Déjà assujettis au service militaire et aux subsides, ils se virent bientôt compris dans les partages comme les villes et les comtés, et, par un

(1) D. Mabillon, t. 11, p. 437, ann. Bened.-Id. M Ed. Clerc, t. I, p. 169.

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