nées entières. Si nous n'avons pas eu de périls à vain– cre, nous avons eu de longues et pénibles luttes à soutenir; à défaut du courage qui fait braver la mort en face de l'ennemi, il nous a fallu déployer cette patience que rien ne lasse, cette persévérance opiniâtre qui fait triompher des obstacles. Ceux que nous avons rencontrés, ils ont été de tout genre manque de ressources, d'abord; mauvais vouloir de quelques-uns, indifférence des autres, dédain et railleries du plus grand nombre. Que de plaisanteries n'a pas soulevées, au début, notre prétention de restaurer ce Palais et d'y fonder un musée historique, lorsque nous ne possédions pas un denier; lorsque nous n'avions pas un pouce de terrain dans l'édifice dont nous voulions ainsi disposer! Et quand nous en avons eu conquis, non sans peine, quelques coins obscurs et humides, a-t-on assez ri, Messieurs, des vieilles ferrailles que nous y avions exposées; de nos pots cassés, précieux débris de l'époque gallo-romaine, et des moellons informes que nous voulions, disait-on, faire passer pour de curieux spécimens de la sculpture et de l'architecture au moyen-âge! S'est-on assez moqué de nous, lorsque nous rapportions comme en triomphe, des ruines de l'abbaye, dont il fut le fondateur, le buste tout mutilé du duc Mathieu ! Nous ne l'aurions pas avoué autrefois, mais nous pouvons le dire à présent: nous avons ri plus d'une fois nous-mêmes de ce que nous appelions pompeuse 1. Celle de Clairlieu. ment nos sculptures et nos peintures, et, plus d'une fois, nous nous sommes demandé s'il n'était pas insensé de tenter une entreprise qui ne pouvait aboutir tout au plus qu'à nous rendre ridicules aux yeux de nos concitoyens. Ce dénoùment, quelques-uns l'espéraient peut-être, et il était presque permis de le prévoir. Mais, Messieurs, nous n'avions pas mis la main à l'œuvre pour reculer honteusement dès le premier pas. Téméraires ou non, peu importe, nous eussions été lâches de renoncer à poursuivre ce que nous avions commencé. D'ailleurs, n'avions-nous pas, pour nous animer, la pensée de faire une chose bonne et utile? Nous mettions notre confiance dans le sentiment national, dans le patriotisme intelligent dont nos contrées ont toujours donné l'exemple; nous comptions sur l'avenir, et nous étions armés du levier puissant avec lequel on soulèverait des montagnes. Vers la fin du XVe siècle, un pauvre prêtre eut la pensée de construire la basilique de Saint-Nicolas-duPort. De la part d'un homme seul, c'était presque un acte de folie, cela pouvait au moins sembler un rêve; eh bien! Messieurs, ce rêve ne s'est-il pas accompli, et ne voyons-nous pas encore aujourd'hui les deux tours de la vieille église s'élever fièrement vers le ciel, comme pour attester ce que peuvent la persévérance et la foi ! Voilà ce qui nous a soutenus. Peut-être, si nous avions pu pressentir les difficultés qui surgiraient sans cesse devant nous, aurions-nous déserté l'arène où nous étions trop audacieusement entrés; mais il n'en a pas été ainsi, heureusement pour notre honneur, heureusement pour l'honneur du pays. Je crains, Messieurs, qu'en jetant les regards autour de vous et en voyant l'humble réalité, vous ne trouviez mes paroles bien prétentieuses, et ne m'accusiez de cette exagération que l'on reproche aisément à tous les zéla teurs d'idées nouvelles. Sans doute, pour ceux d'entre vous qui ont visité les musées de la capitale et en ont admiré les merveilles ; pour ceux qui ont vu l'hôtel de Cluny et le palais des Thermes, magnifiquement restaurés, ce Musée lorrain et ce Palais ducal peuvent sembler plus que modestes. Mais il ne serait pas juste d'envisager les choses sous cet aspect; n'oubliez pas, en effet, Messieurs, que nous ne cherchons pas à réunir exclusivement des chefs-d'œuvre, mais tous les objets, quels qu'ils soient, rappelant des noms ou des souvenirs; et, pour apprécier les résultats obtenus, veuillez vous reporter au point de départ, et voir ce qui a été fait. Il y aura tantôt quatorze ans, à une époque où l'agitation des esprits ne semblait guère leur laisser le calme nécessaire à de pacifiques études, deux jeunes 1. Voir les trois éditions successives du Catalogue des objets d'art et d'antiquité déposés au Musée lorrain : la première contient 199 numéros; la seconde 403, et la troisième 666. La quatrième édition, que prépare le Conservateur, en comprendra certainement plus de mille. gens conçurent l'idée de créer à Nancy une Société destinée à s'occuper d'archéologie et d'histoire, et dont la mission principale fût de fonder un Musée « qui rassemblât, avec toutes les œuvres de pensée et d'art', le plus de monuments possible de l'ancienne nation lorraine ». Cette idée, inspirée par les plus louables sentiments, reçut l'accueil qu'elle méritait. On se demanda, toutefois, si le moment était bien choisi pour essayer de la réaliser; mais l'ardeur et la persistance triomphèrent des irrésolutions, et l'association se forma... Les adhésions arrivèrent bientôt de toutes, parts, et le faible bataillon des fondateurs de la Société nouvelle 1. MM. Miller-Thiéry, marbrier, et l'abbé Balthasard, aujourd'hui du clergé de Paris. Après quelques réunions préparatoires, les premiers statuts furent rédigés et signés, le 11 septembre 1848, par vingt-sept membres, qui devinrent ainsi les fondateurs: ce sont MM. Chatelain, architecte; Justin Bonnaire, avocat; l'abbé Guillaume, aumônier de la Chapelle ducale; Aug. Digot; Henri Lepage, archiviste de la Meurthe; l'abbé Gadel, curé de Maron; F. Lebrun, architecte; l'abbé Marchal, curé de Saint-Pierre ; l'abbé Balthasard; Corrard des Essarts, architecte; Jules Beaupré; Auguste Feyen, peintre; Miller-Thiéry; l'abbé Klein, vicaire de SaintSébastien; l'abbé Bégel, curé de Laître-sous-Amance; Vivenot, architecte; Thiéry de Saint-Baussant, mort dominicain; Thorelle, peintre; l'abbé Delalle, vicaire général du diocèse de Nancy, aujourd'hui évêque de Rodez; Chatelain, fils; l'abbé L.-T. Dassy; Alex. Geny; Piroux, directeur de l'Institut des sourds-muets; Emile Thiéry, artiste; Alex. Melin, architecte ; Domergue de Saint-Florent et Guerrier du Mast. La Société fut approuvée par arrêté préfectoral du 28 octobre 1848, et, à la fin de 1849, elle comptait 95 membres. Il y en a aujourd'hui près de 400. Elle a déjà publié onze volumes de Bulletins ou Mémoires annuels, dix volumes d'un Journal mensuel, et six volumes de Documents sur l'histoire de lorraine. devint rapidement une armée. Forte des encouragements du Conseil général de la Meurthe, de ceux du Gouvernement lui-même, elle arbora résolument son drapeau. Son but, j'ai eu l'honneur de vous le dire, Messieurs, n'était pas seulement de publier des dissertations sur l'histoire et l'archéologie nationales; c'était, avant tout, de créer le Musée lorrain. Sous ce rapport, sa tâche était plus dificile. Il ne suffisait pas, en effet, de science et d'érudition; il s'agissait de soulever des questions matérielles que ni l'imagination ni la plume, si ardentes et si habiles qu'elles soient, ne sauraient résoudre. On se décida néanmoins à tenter le sort une seconde fois, et à faire un second acte de témérité, puisque le premier avait si inespérément réussi. Ceux auxquels appartenait l'initiative de l'idée qu'avait reprise et que voulait réaliser la Société d'Archéologie, s'étaient bornés à émettre des vœux, à faire entendre des paroles éloquentes; mais ils s'étaient arrêtés devant des difficultés regardées longtemps comme insurmontables. 1. Dès l'année 1841, la Commission des Antiquités du département de la Meurthe signalait au Ministre de l'Intérieur la nécessité de créer un Musée lorrain à Nancy, et indiquait, comme le local le plus convenable à affecter à cette destination, la Galerie des Cerfs du Palais ducal. A la suite du Congrès qui se tint à Strasbourg l'année suivante, la Société générale de Conservation des monuments français émettait le même vou, et adressait au Ministre une lettre dans laquelle elle appelait vivement son attention sur cet objet, qu'elle représentait comme digne de toute la sollicitude du Gouvernement. |