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NOTICE.

DANS l'Histoire du Théâtre françois1 il est dit que les Plaideurs furent représentés pour la première fois, sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne, vers le mois de novembre 1668. Cette date, qui s'annonce comme simplement approximative, n'est évidemment donnée qu'à titre de conjecture. Nous n'en trouvons nulle part de plus précise, de plus certaine : il n'y a dans la Gazette de 1668 aucune mention de la comédie de Racine; et les lettres en vers de Robinet la passent sous silence. Robinet est généralement exact à donner les nouvelles du théâtre, et s'est bien gardé, vers le même temps, d'omettre des productions très-éphémères, telles, par exemple, que le Baron d'Albikrac de Thomas Corneille; mais les Plaideurs n'étaient-ils pas une si pauvre bagatelle qu'elle devait passer inaperçue? Le dédain du gazetier burlesque, dédain de parti pris, ne mériterait point qu'on y prît garde, s'il n'y avait lieu de croire qu'il n'eût pas osé l'affecter en présence d'une opinion publique mieux éclairée, et plus juste pour une comédie, au-dessus de laquelle nous n'avons, dans notre théâtre, que les chefs-d'œuvre de Molière.

Le privilége du Roi, pour l'impression des Plaideurs, ayant été donné le 5 décembre 1668, la comédie ne peut, ce nous semble, avoir été jouée plus tard que ne le supposent les frères Parfait. Il y aurait même lieu de penser qu'elle a été jouée plus tôt. Il s'écoulait d'ordinaire quelque temps entre la première représentation de la pièce et l'impression; la comédie de Racine d'ailleurs avait d'abord mal réussi; il ne songea sans doute

1. Tome X, p. 359.

à la faire imprimer que lorsque l'approbation de Versailles eut cassé le mauvais jugement de Paris. Or, si Valincour a été bien informé sur ce point, la pièce ne fut représentée à la cour qu'un mois après l'avoir été à la ville'. Il faudrait donc, pour la date de la première représentation des Plaideurs, remonter peutêtre un peu plus haut dans cette même année 1668, que les premiers jours de novembre.

Les témoignages contemporains nous manquent également sur la distribution des rôles à cette première époque des représentations de la comédie de Racine. Là,comme ailleurs, M. AiméMartin nomme, sans hésiter, les acteurs qui ont joué d'original; mais il paraît cette fois encore avoir arbitrairement formé une liste, qu'il n'appuie d'aucune autorité. DANDIN, suivant lui, aurait été joué par Poisson, LÉANDRE par de Villiers, CHICANNEAU par Brécourt, ISABELLE par Mlle d'Ennebaut, LA COMTESSE par Mlle Beauchâteau, PETIT JEAN par Hauteroche, L'INTIMÉ par la Thorillière. Dans la seconde des Lettres sur la vie et les ouvrages de Molière et sur les comédiens de son temps, insérées au Mercure de France de 1740 et attribuées à la femme de l'acteur Poisson, il est dit (p. 1139) que Hauteroche excellait dans le personnage de Chicanneau à moins qu'il n'ait commencé, ce qui est peu probable, par être chargé de celui de Petit Jean, ce serait un démenti donné à la liste de M. Aimé-Martin, qui nous paraît bien, sur ce point, prise en défaut. Nous croyons volontiers que Poisson, à qui son talent assignait les premiers rôles comiques, a pu jouer Dandin; en général M. Aimé-Martin n'a pas dressé sans vraisemblance ses listes d'acteurs; mais quand il s'agit de ces petits faits de l'histoire du théâtre, qui n'ont quelque intérêt qu'à la condition d'être certains, les vraisemblances ne suffisent pas.

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L'avis Au lecteur dont Racine a fait précéder sa comédie nous apprend dans quelles circonstances i la composa, comment l'idée lui en vint à l'esprit, avec quelle diligence il l'acheva, entouré d'amis qui excitaient sa verve, et qui mirent euxmêmes, dit-il, la main à l'ouvrage. Peut-être n'a-t-il pas tout dit sur l'origine de ses Plaideurs, sur ce qui lui en suggéra la pre

1. Lettre à d'Olivet, dans l'Histoire de l'Académie françoise, tome II, p. 332.

mière pensée. Il parle seulement d'une lecture des Guépes d'Aristophane, qui lui donna la tentation d'essayer sur la scène des Italiens l'effet que produiraient parmi nous. ces bouffonneries du théâtre d'Athènes, si pleines de sel attique et de fine observation, et dont s'était amusé le peuple le plus spirituel. S'il dit un mot, en passant, d'un procès qu'il avait eu, ce n'est que pour expliquer comment il lui doit quelque connaissance du jargon de la chicane. Mais, suivant d'Olivet, dont Louis Racine, dans ses Mémoires, n'a été ici que l'écho, ce procès ne l'aurait pas seulement initié aux mystères de cette langue barbare, il aurait été la véritable occasion de sa pièce1: de sorte que Racine se serait, comme le dit son fils, consolé, c'est-à-dire vengé, de la perte de sa cause par une satire contre les chicaneurs dont il avait été la victime, contre les avocats et contre les juges. Le litige qui nous a valu une si bonne comédie est, d'après le même témoignage, celui qui s'était engagé au sujet du prieuré d'Épinay. Il y a bien là quelque petite difficulté, ainsi que nous l'avons fait remarquer dans la Notice biographique 2. On peut opposer à d'Olivet quelques raisons de croire que Racine conserva son bénéfice, et continua à porter le titre de prieur de l'Épinay plus longtemps que ne le ferait supposer son récit. Toutefois, que Racine ait eu un procès quelconque, et un procès déjà jugé à l'époque où il composa les Plaideurs, c'est ce qui n'est pas douteux, puisqu'il le dit lui-même. Il est extrêmement vraisemblable que dans une comédie si vivante il apportait une inspiration, une passion toute personnelle, et que ce ne fut pas simplement une fantaisie littéraire qui l'engagea à suivre les traces d'Aristophane, lui bien plus porté par son goût et par la nature de son talent à se faire, comme il le déclare, le disciple de Ménandre et de Térence. Et sa pièce est ainsi bien plus véritablement aristophanesque on imite trop froidement un semblable modèle, si l'on n'a pas, pour son propre compte, quelqu'un à fustiger.

Racine ne s'était nullement proposé d'abord de faire une véritable comédie. Il y avait alors à Paris une troupe italienne qui était en grande faveur. Les petites pièces qu'elle jouait étaient

1. Histoire de l'Académie, tome II, p. 341.

2. Voyez tome I, p. 49, note 3.

J. RACINE. II

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de légères esquisses, où, sans souci d'un art plus élevé, on ne pensait qu'à faire rire. Les grimaces des acteurs, dont quelquesuns étaient d'excellents bouffons, étaient pour beaucoup dans le succès de leur répertoire. Les lazzis n'y étaient pas toujours fort délicats. Mais c'est assez souvent sur des scènes si libres que le comique franc et naïf éclate en traits inattendus. Tel fut le théâtre où Racine pensa que quelques-unes des plaisanteries d'Aristophane seraient à leur place. S'il eût suivi son premier dessein, ses Guépes françaises auraient été sans doute plus hardies encore, plus bouffonnes, très-probablement écrites en prose et au courant de la plume. On doit même penser que, suivant l'usage des auteurs qui travaillaient pour les Italiens, il n'eût donné aux acteurs que quelques scènes à apprendre, les laissant, pour le reste, improviser à leur gré, et broder sur le canevas. Boileau devait désirer quelque chose de mieux. Mais quelque forme que Racine eût donnée à son badinage, le véritable atticisme n'eût pas manqué aux improvisations qu'il eût légèrement indiquées. Dans l'art, si difficile à bien imiter, des Aristophane et des Rabelais, qui, sous la bouffonnerie populaire, insinue la finesse la plus ingénieuse, il devait être beaucoup moins dépaysé que bien des personnes ne seraient portées à le croire esprit charmant et délicat, mais en même temps plein de verve satirique et mordante.

La comédie italienne à laquelle il destinait son juge dans les gouttières et ses petits chiens orphelins, vit s'éloigner en ce temps le meilleur de ses acteurs, son fameux Scaramouche, sur qui surtout Racine, d'après sa préface, paraît avoir compté pour le succès de la pièce. Dans l'Histoire de l'ancien Théâtre italien', il est dit que Tiberio Fiurilli (c'était le nom de ce Scaramouche) quitta Paris en 1667 pour un voyage en Italie, dont il ne devait revenir qu'assez longtemps après, en 1670. On peut, ce nous semble, avoir des doutes sur la date de 1667. Ce ne serait pas la seule erreur de ce genre commise par les frères Parfait au sujet de Scaramouche, qu'ils font mourir le 7 février 1696, tandis que son inhumation à Saint-Eustache

1. Page 19. Ce petit livre (un volume in-12, à Paris, chez Lambert, M.DCC.LIII) est dû aux auteurs de l'Histoire du Theatre françois.

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