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Tous les plus gros monsieurs1 me parloient chapeau bas :

"

Monsieur de Petit Jean, » ah! gros comme le bras2 !
Mais sans argent l'honneur n'est qu'une maladie.
Ma foi, j'étois un franc portier de comédie':
On avoit beau heurter et m'òter son chapeau,

I O

On n'entroit point chez nous sans graisser le marteau *.
Point d'argent, point de Suisse, et ma porte étoit close.
Il est vrai qu'à Monsieur j'en rendois quelque chose:
Nous comptions quelquefois. On me donnoit le soin
De fournir la maison de chandelle et de foin;
Mais je n'y perdois rien. Enfin, vaille que vaille,
J'aurois sur le marché fort bien fourni la paille.
C'est dommage: il avoit le cœur trop au métier;
Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier,
Et bien souvent tout seul; si l'on l'eût voulu croire,
Il y seroit couché sans manger et sans boire'.

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1. Molière avait déjà mis dans la bouche naïve de Georgette cette expression Monsieurs, au lieu de Messieurs:

Nous en voyons qui paroissent joyeux

Lorsque leurs femmes sont avec les beaux Monsieurs.

(École des femmes, acte II, scène m.)

2. La phrase est elliptique : «On me donnait gros comme le bras (c'est-àdire très-respectueusement, très-cérémonieusement) le titre de Monsieur de Petit Jean. »>>>

3. Le portier de comédie était celui qui se tenait à la porte du théâtre pour recevoir l'argent. Chapuzeau, dans son Theatre francois, p. 242 et 243, donne des détails sur les portiers de la comédie. Il dit que les contrôleurs des portes «ont soin que les portiers fassent leur devoir, qu'ils ne reçoivent de l'argent de qui que ce soit. » Le vers de Racine donne à penser que la défense faite aux portiers n'était pas toujours bien observée.

4. Graisser le murteau (de la porte, qu'on nommait aussi le heurtoir), c'est donner de l'argent au portier, pour qu'il nous laisse entrer.

5. Point d'argent, point de Suisse, se disait proverbialement, parce que les troupes suisses engagées à prix d'argent au service des puissances étrangères se retiraient quand leur solde n'était pas exactement payée.

6. Il y seroit couché est le texte de toutes les éditions imprimées du vivant de Racine. Louis Racine dit dans ses Notes sur la lan ue des Plaideurs, que c'est une faute d'impression. Plusieurs éditeurs, adoptant sans doute cette opinion, qui n'est nullement fondée, ont imprimé : « Il s'y seroit couché. »

Je lui disois parfois : « Monsieur Perrin Dandin,

Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin :
Qui veut voyager loin ménage sa monture.

Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »
Il n'en a tenu compte. Il a si bien veillé

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Et si bien fait, qu'on dit que son timbre est brouillé1. 30 Il nous veut tous juger les uns après les autres.

Il marmotte toujours certaines patenòtres?

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,
Ne se coucher qu'en robe et qu'en bonnet carré3.
Il fit couper la tête à son coq, de colère*,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire ;
Il disoit qu'un plaideur dont l'affaire alloit ma.
Avoit graissé la patte à ce pauvre animal'.
Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,
Son fils ne souffre plus qu'on lui parle d'affaire.

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1. Son timbre est brouillé, c'est-à-dire sa cervelle est brouillée, dérangée. On dit plus souvent dans ce sens : « son timbre est félé. » Des commentateurs ont blamé l'expression de Racine. La métaphore ne veut pas être ici analysée si exactement, et pourrait d'ailleurs être justifiée.

2. Patenôtres signifie le plus souvent des pater noster, des prières. Petit Jean donne ce nom aux formules inintelligibles, au grimoire que récite son

maître.

3. L'esclave Xanthias, dans les Guêpes d'Aristophane, fait de la folie de son maître Philocléon un tableau à peu près semblable :

Φιληλιαστής ἐστιν ὡς οὐδεὶς ἀνὴρ,
Ἐρᾷ τε τούτου, τοῦ δικάζειν, καὶ στένει
Ἡν μὴ ἐπὶ τοῦ πρώτου καθίζηται ξύλου"
Υπνου δ' ὁρᾷ τῆς νυκτὸς οὐδὲ πασπάλην.
(Guêpes, 89-92.)

4. Ce trait est emprunté à Aristophane :

Τὸν ἀλεκτρυόνα δ', ὃς ἦδ ἐφ ̓ ἑσπέρας, ἔφη,
Ὡς ὄψ' ἐγείρειν αὐτὸν ἀναπεπεισμένον,
Παρὰ τῶν ὑπευθύνων ἔχοντα χρήματα.

(Guépes, vers 100-102.)

5. Graisser la patte signifie corrompre en donnant de l'argent.

Il nous le fait garder jour et nuit, et de près1:
Autrement serviteur, et mon homme est aux plaids.
Pour s'échapper de nous, Dieu sait s'il est allaigre.
Pour moi, je ne dors plus: aussi je deviens maigre,
C'est pitié. Je m'étends, et ne fais que bâiller'.
Mais veille qui voudra, voici mon oreiller.
Ma foi, pour cette nuit il faut que je m'en donne;
Pour dormir dans la rue on n'offense personne.
Dormons'.

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Que diable! si matin que fais-tu dans la rue?

PETIT JEAN.

Est-ce qu'il faut toujours faire le pied de grue
Garder toujours un homme, et l'entendre crier ?
Quelle gueule ! Pour moi, je crois qu'il est sorcier.

I. Οὗτος φυλάττειν τὸν πατέρ' ἐπέταξε νῶν,

Ενδον καθείρξας, ἵνα θύραζε μὴ 'ξίη. (Guépes, vers 6g et 70.) 2. Ce mot, dans les anciennes éditions, est constamment écrit: baailler. 3. L'édition de 1736 et celle de M. Aimé-Martin donnent ici l'indication : «Il se couche par terre. »

4. L'édition de M. Aimé-Martin fait précéder ce vers de l'indication : « A part. ■ 5. Faire le pied de grue, attendre longtemps sur ses pieds, comme une grue se tient immobile sur une jambe.

6. Boileau s'est aussi servi du mot gueule, en parlant de la chicane, dans la satire VIII (vers 299):

Lorsqu'il entend de loin d'une gueule infernale

La chicane en fureur mugir dans la grand'salle.

Gaultier, célèbre avocat de ce temps, était surnommé Gaultier la Gueule.

Bon !

L'INTIMÉ.

PETIT JEAN.

Je lui disois donc, en me grattant la tête, Que je voulois dormir. « Présente ta requête Comme tu veux dormir, » m'a-t-il dit gravement'. Je dors en te contant la chose seulement.

Bonsoir.

L'INTIMÉ.

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Comment bonsoir? Que le diable m'emporte Si.... Mais j'entends du bruit au-dessus de la porte. 60

SCÈNE III.

DANDIN, L'INTIMÉ, PETIT JEAN.

DANDIN, à la fenêtre.

Petit Jean! L'Intimé!

L'INTIME, à Petit Jean.

Paix!

DANDIN.

Je suis seul ici.

Voilà mes guichetiers en défaut, Dieu merci.
Si je leur donne temps, ils pourront comparoître 2.

1. « Il y avoit alors.... un président si amoureux de son métier qu'il l'exerçoit dans son domestique. Quand son fils lui représentoit qu'il avoit besoin d'un habit neuf, il lui répondoit gravement : Présente ta requête...; et quand le fils lui avoit présenté sa requête, il répondoit par un: Soit communiqué à sa mère. » (Louis Racine, Comparaison des Plaideurs et de la comédie d'Aristophane intitulée les Guêpes, au tome I des Remarques sur les Tragédies de Jean Racine, p. 217 et 218.)

2. Il y a, dans les anciennes éditions, comparestre, pour rimer avec fe

nestre.

Çà, pour nous élargir, sautons par la fenêtre.

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Vite un flambeau! j'entends mon père dans la rue.
Mon père, si matin qui vous fait déloger?

Où courez-vous la nuit?

DANDIN.

Je veux aller juger.
LÉANDRE.

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Et qui juger? Tout dort.

1. Comparoître, élargir, hors de cour, sont des termes de Palais.

2. Il y a une lutte semblable entre Philocléon et les esclaves qui le gardent:

Βδελυκλ. Παϊ, τὴν θύραν ὤθει· πίεζε νυν σφόδρα

Φιλοκλ.

Εν κανδρικῶς

Τί δράσετ'; οὐκ ἐκφρήσετ ̓, ὦ μιαρώτατοι,
Δικάσοντά με;

(Guépes, vers 152-157.)

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