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BRITANNICUS

TRAGÉDIE

1669

NOTICE.

Britannicus fut joué pour la première fois sur le théâtre de l'Hôtel de Bourgogne, le vendredi 13 décembre 1669. Corneille assistait, dans une loge, à cette représentation, qui se termina à sept heures du soir, et dont il ne sortit sans doute pas sans avoir fait entendre autour de lui quelques-unes de ces critiques de la pièce dont Racine a cité un exemple dans sa première préface, toute pleine de ripostes si vives, si amères. La cabale des poëtes envieux, qui d'ordinaire se tenait réunie au théâtre, en un groupe très-redouté, s'était dispersée cette fois dans la salle, afin d'agir un peu partout sans être reconnue. L'assemblée n'était pas aussi nombreuse que l'on avait dû s'y attendre, parce qu'il y avait ce même jour sur la place publique une autre tragédie sanglante, une exécution capitale, qui avait disputé à la pièce de Racine l'affluence des spectateurs. Sans cette concurrence imprévue que la Grève fit à l'Hôtel de Bourgogne, nul doute que la représentation n'eût été de celles où l'on n'avait pas accès sans risquer de se faire étouffer. Le prix des places du parterre avait été doublé, ce que nous présumons d'ailleurs avoir été l'usage, sinon pour toutes les premières représentations, au moins pour celles des pièces des grands auteurs.

Si nous connaissons si exactement la date et quelques-unes des circonstances de la première représentation de Britannicus, c'est que Boursault en a fixé le souvenir dans les premières pages d'une petite nouvelle intitulée : Artemise et Poliante, et publiée très-peu de temps après 1. Pour la date, les

1. Artemise et Poliante, Nouvelle. A Paris, chez René Guignard,

frères Parfait, dans l'Histoire du Théâtre françois1, hésitent entre le (ils auraient dû dire le 10) et le 13 décembre; mais le supplice du marquis de Courboyer, dont parle Boursault, ne laisse aucune incertitude2. Le même Boursault nous fait connaitre quels furent les acteurs qui jouèrent d'original dans

Britannicus.

Le récit de Boursault n'est pas seulement curieux par tous les renseignements précis qu'il nous donne, mais aussi parce qu'en dépit de ses froides plaisanteries, il est vivant. C'est le seul témoignage contemporain qui nous fasse, on peut le dire, assister réellement à une de ces anciennes représentations. Il nous met sous les yeux jusqu'aux passions diverses dont les spectateurs y étaient agités. Nous ne devons pas oublier sans doute que c'est un guide malveillant qui nous place à ses côtés dans la salle de l'Hôtel de Bourgogne; mais s'il veut nous montrer la nouvelle tragédie de Racine sous le jour le moins favorable, nous y gagnons du moins de surprendre à leur naissance quelques-unes des critiques qui assaillirent Britannicus dès qu'il parut sur le théâtre, et « qui sembloient, nous dit Racine, le devoir détruire. » Il faut donc transcrire ces pages de Boursault, quoiqu'elles aient été déjà souvent citées : « ...... Il étoit sept heures sonnées par tout Paris, quand je sortis de l'Hôtel

α

M.DC.LXX. Un vol. in-12. Le récit de la représentation de Britannicus est le début de la Nouvelle, p. 1-16.

1. Tome X, p. 426.

2. Le marquis de Courboyer, gentilhomme huguenot, condamné à mort pour une dénonciation calomnieuse de lèse-majesté contre le sieur d'Aunoy, aurait eu la tête tranchée en grève, le samedi 14 décembre 1669, si l'on s'en rapportait au Journal de d’Ormesson (voyez le tome II de ce Journal, p. 579, édition de M. Chéruel). Mais le samedi n'étant pas un jour de représentations théâtrales, et Boursault n'ayant pu se tromper lorsqu'il a écrit que l'exécution eut lieu le jour où Britannicus fut joué pour la première fois, il est évident qu'il y a une petite erreur dans le souvenir de d'Ormesson. Le procès-verbal du premier commis au greffe de la cour du Parlement, qui est aux Archives de l'Empire (section judiciaire, instructions, n° 2404), constate en effet que le vendredi 13 fut réellement le jour de l'exécution. M. François Ravaisson a eu l'obligeance de nous indiquer ce document, que nous avons eu la permission de consulter.

de Bourgogne, où l'on venoit de représenter pour la première fois le Britannicus de M. Racine, qui ne menaçoit pas moins que de mort violente tous ceux qui se mêlent d'écrire pour le théâtre. Pour moi, qui m'en suis autrefois mêlé, mais si peu que par bonheur il n'y a personne qui s'en souvienne, je ne laissois pas d'appréhender comme les autres; et dans le dessein de mourir d'une plus honnête mort que ceux qui seroient obligés de s'aller pendre, je m'étois mis dans le parterre pour avoir l'honneur de me faire étouffer par la foule. Mais le marquis de Courboyer, qui ce jour-là justifia publiquement qu'il étoit noble, ayant attiré à son spectacle tout ce que la rue Saint-Denis a de marchands qui se rendent régulièrement à l'Hôtel de Bourgogne pour avoir la première vue de tous les ouvrages qu'on y représente, je me trouvai si à mon aise que j'étois résolu de prier M. de Corneille, que j'aperçus tout seul dans une loge, d'avoir la bonté de se précipiter sur moi, au moment que l'envie de se désespérer le voudroit prendre : lorsqu'Agrippine, ci-devant impératrice de Rome, qui, de peur de ne pas trouver Néron, à qui elle desiroit parler, l'attendoit à sa porte dès quatre heures du matin, imposa silence à tous ceux qui étoient là pour écouter.... Monsieur de ****, admirateur de tous les nobles vers de M. Racine1, fit tout ce qu'un véritable ami d'auteur peut faire pour contribuer au succès de son ouvrage, et n'eut pas la patience d'attendre qu'on le commencât pour avoir la joie de l'applaudir. Son visage, qui à un besoin passeroit pour un répertoire du caractère des passions, épousoit toutes celles de la pièce l'une après l'autre, et se transformoit comme un caméléon à mesure que les acteurs débitoient leurs rôles : surtout le jeune Britannicus, qui avoit quitté la bavette depuis peu et qui lui sembloit élevé dans la crainte de Jupiter Capitolin, le touchoit si fort que le bonheur dont apparemment il devoit bientôt jouir l'ayant fait rire, le récit qu'on vint faire de sa mort le fit pleurer; et je ne sais rien

1. Les frères Parfait, dans une note sur ce passage, disent que Boursault veut désigner Despréaux. Cela est assez probable, quoique Monsieur de ne paraisse pas bien indiquer le commencement de son nom, et qu'il n'y ait ici aucun trait qui s'applique à lui plus particulièrement qu'à bien d'autres admirateurs du génie de Racine.

J. RACINE. II

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