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sept ans. La Harpe, dans sa Correspondance littéraire1, atteste les applaudissements qu'elle y mérita.

Il y avait longtemps qu'on n'avait vu Bajazet repara tre sur la scène, lorsque Mlle Raucourt l'y rappela au mois de mars 1802. Si Geoffroy, toujours peu suspect d'indulgence, ne parla pas d'elle alors comme d'une Roxane parfaite de tous points, il fut loin cependant de lui refuser tout succès. « Elle brille surtout, disait-il, dans ces situations qui n'exigent qu'une grande dignité et une énergie concentrée.... L'art et le talent s'y trouvent à un degré supérieur. » Bientôt après, dans ce mėme rôle de Roxane, Mlle Duchesnois vint rivaliser avec Mlle Raucourt, et diviser les suffrages du public.

La tragédienne qui, de notre temps, a remis en honneur sur le théâtre les chefs-d'œuvre de nos grands poëtes, ne pouvait manquer d'être tentée par les rares beautés de Bajazet. Le 23 novembre 1838 Mlle Rachel aborda le rôle de Roxane. Bien jeune encore pour ce rôle, elle se troubla à cette première représentation, où elle n'eut d'autre succès que celui de son beau costume oriental. Telle avait été l'incertitude de son jeu, et le froid accueil du public, que de toutes parts on détournait la jeune actrice d'une nouvelle tentative. Elle voulut la hasarder toutefois, car elle avait la conscience de ses forces; et le surlendemain une éclatante revanche la mit pour toujours en possession de ce rôle, qui fut un de ceux où elle se montra le plus admirable. Dans la Notice de M. Védel sur Mlle Rachel 3, nous avons lu que, dans cette seconde soirée où elle répara si bien son échec d'un moment, parmi les mots qui furent le mieux prononcés, on remarqua le terrible : Sortez, de la scène iv du dernier acte : « L'accent sombre, dit M. Védel, le geste impérieux, le regard étincelant de Rachel, à ce mot, furent si puissants sur les spectateurs, qu'ils voyaient Bajazet percé de coups se débattre entre les mains des muets. » Nous n'oserions pas récuser ce témoignage; mais plus tard nous avons vu plus d'une fois Mlle Rachel dans ce même rôle, et il

1. Tome V, p. 182.

2. Cours de littérature dramatique, tome VI, p. 205, feuilleton du 29 ventôse an x (20 mars 1802).

3. Page 70.

nous a semblé qu'elle cherchait toujours, sans pouvoir se satisfaire, une nouvelle manière de prononcer cet implacable arrêt de mort. Si dans les commencements elle avait en effet rencontré la véritable inspiration, il est surprenant qu'elle ne s'y soit pas tenue, qu'elle ne l'ait pas retrouvée. L'auteur de l'article Rachel dans la Biographie universelle, M. Édouard Thierry, dit que dans les derniers temps « elle imagina, en disant le Sortez, de tourmenter son poignard au rebours de la situation. » De telles tentatives ne semblent-elles pas prouver que Mile Rachel s'était toujours, en cet endroit, sentie vaincue par une difficulté insurmontable? Quoi qu'il en soit, dans cette lutte avec un magnifique et redoutable rôle, Mlle Rachel a pu fléchir en un seul point; sur les autres, il n'y avait qu'à reconnaître son triomphe. On trouvait véritablement en elle la Roxane que Mlle Clairon demandait, la femme impérieuse et violente, faisant, suivant l'expression de la Harpe, l'amour le poignard à la main, l'esclave insolente, dictant ses volontés à des esclaves, l'amante plus emportée et plus orgueilleuse que tendre. Et cependant Mlle Rachel, à qui n'échappait aucune nuance de ces admirables rôles que le poëte a su faire à la fois si constants et si variés, n'avait garde de se défendre trop absolument de « toute expression touchante. » Nous n'avons pas oublié avec quel retour de sensibilité elle interrompait ses menaces par ce cri du cœur :

Bajazet, écoutez, je sens que je vous aime;

quel accent de douleur profonde elle mettait dans cet autre vers: Tu ne saurois jamais prononcer que tu m'aimes;

enfin quelle était sa grâce, sa finesse charmante, lorsque rassurée et joyeuse elle disait :

L'amour fit le serment, l'amour l'a violé.

Le texte que nous donnons de Bajazet est conforme à l'édition de 1697. Nous avons tiré les variantes des recueils de 1676 et de 1687, et de l'édition séparée de 1672, qui est la première impression de cette tragédie.

PREMIÈRE PRÉFACE'.

QUOIQUE le sujet de cette tragédie ne soit encore dans aucune histoire imprimée, il est pourtant très-véritable. C'est une aventure arrivée dans le Serrail, il n'y a pas plus de trente ans'. Monsieur le comte de Césy étoit alors ambassadeur à Constantinople'. Il fut instruit de toutes les particularités de la mort de Bajazet; et il y a quantité de personnes à la cour qui se souviennent de les lui avoir entendu conter, lorsqu'il fut de retour en France. Monsieur le chevalier de Nantouillet est du nombre de ces personnes. Et c'est à lui que je suis redevable de cette histoire, et même du dessein que j'ai pris d'en faire une tragédie. J'ai été obligé pour cela de changer quelques circonstances. Mais comme ce changement n'est pas fort considérable, je ne pense pas aussi qu'il soit nécessaire de le marquer au lecteur. La principale chose à quoi je me suis attaché, ç'a été de ne rien changer ni aux mœurs ni aux coutumes de la nation. Et

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1. Cette préface est celle de l'édition de 1672. Elle ne porte, dans cette édition, aucun titre, tel que Préface ou Au lecteur.

2. Rigoureusement ce serait un peu plus. Racine place l'action de sa tragédie au temps du siége de Bagdad, qui est de l'année 1638.

3. Philippe de Harlay, comte de Cézy*, avait en 1618 remplacé Achille de Harlay Sancy à l'ambassade de Constantinople. Après y avoir été quelque temps remplacé lui-même par M. de Marcheville, nommé ambassadeur en 1631, il avait repris ses fonctions, et n'était rentré en France qu'en 1641.

4. Voyez ci-dessus la note 2 de la page 461.

5. M. Aimé-Martin a, nous ne savons pourquoi, substitué former à faire.

* Racine écrit Césy dans sa première préface, Cézy dans la seconde.

j'ai pris soin de ne rien avancer qui ne fût conforme à l'histoire des Turcs et à la nouvelle Relation de l'empire ottoman, que l'on a traduite de l'anglois. Surtout je dois beaucoup aux avis de Monsieur de la Haye', qui a eu la bonté de m'éclaircir sur toutes les difficultés je lui ai proposées.

que

1. Cette Relation est l'Histoire de l'état présent de l'Empire ottoman, contenant les maximes politiques des Turcs..., traduite de l'anglois de M. Ricaut, Voyez ci-dessus, p. 462, note 1.

2. Jean de la Haye, seigneur de Venteley, qui succéda à M. de Cézy, comme ambassadeur de France à Constantinople, sous le règne d'Ibrahim. Il fut lui-même remplacé dans cette ambassade par M. de Nointel, en 1671.

SECONDE PRÉFACE 1.

SULTAN Amurat, ou Sultan Morat2, empereur des Turcs, celui qui prit Babylone' en 1638, a eu quatre frères. Le premier, c'est à savoir Osman, fut empereur avant lui, et régna environ trois ans, au bout desquels les janissaires lui ôtèrent l'Empire et la vie. Le second se nommoit Orcan. Amurat, dès les premiers jours de son règne, le fit étrangler. Le troisième étoit Bajazet, prince de grande espérance; et c'est lui qui est le héros de ma tragédie. Amurat, ou par politique, ou par amitié, l'avoit épargné jusqu'au siége de Babylone. Après la prise de

1. Ce second avertissement a paru d'abord, et avec le titre de Préface, dans l'édition de 1676. Il a été reproduit dans l'édition de 1687, et, avec de légères variantes et la suppression d'un assez long morceau tout à la fin, dans celle de 1697. C'est le texte de cette dernière que nous suivons, selon notre coutume.

2. Ou plutôt Murad. « Plusieurs l'appellent lui et d'autres du même nom Amurat; mais ils se trompent, » dit Galland dans son opuscule intitulé: la Mort du sultan Osman. Murad IV, surnommé Gazi, ou a le Victorieux, » fut salué empereur le 10 septembre 1623. Il mourut le 9 février 1640.

3. Le vrai nom de cette ville est Bagdad, ou, comme on l'appelait vulgairement, Bagadet. Plusieurs historiens du dix-septième siècle lui donnent, comme Racine, le nom de Babylone. Bagdad, capitale de l'Irak, située sur la rive orientale du Tigre, fut incorporée de nouveau à l'empire ottoman sous le règne de Murad, après en avoir été détachée pendant quinze ans. L'armée de Murad en commença le siége le 15 novembre 1638. Le 25 décembre suivant la ville se rendit.

4. Osman ou Othman II, porté sur le trône en 1618, fut étranglé en 1622, victime du plan qu'il avait formé pour la destruction des janissaires. Entre son règne et celui de Murad, il faut placer quelques mois d'un second règne de Mustapha, frère d'Achmet. Tristan a pris la fin tragique d'Osman II pour sujet de sa tragédie d'Osman. Voyez ci-dessus la Notice, p. 464 et 465.

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