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Laissons ces vains discours; et sans m'importuner,
Pour la dernière fois, veux-tu vivre et régner?
J'ai l'ordre d'Amurat, et je puis t'y soustraire.
Mais tu n'as qu'un moment : parle.

BAJAZET.

ROXANE.

1540

Que faut-il faire?

Ma rivale est ici : suis-moi sans différer;
Dans les mains des muets viens la voir expirer1,
Et libre d'un amour à ta gloire funeste,
Viens m'engager ta foi : le temps fera le reste.
Ta grâce est à ce prix, si tu veux l'obtenir.

BAJAZET.

Je ne l'accepterois que pour vous en punir,
Que pour faire éclater aux yeux de tout l'Empire
L'horreur et le mépris que cette offre m'inspire.

Mais à quelle fureur me laissant emporter,
Contre ses tristes jours vais-je vous irriter!
De mes emportements elle n'est point complice,
Ni de mon amour même et de mon injustice.
Loin de me retenir par des conseils jaloux,
Elle me conjuroit de me donner à vous.
En un mot, séparez ses vertus de mon crime'.
Poursuivez, s'il le faut, un courroux légitime;
Aux ordres d'Amurat hâtez-vous d'obéir;
Mais laissez-moi du moins mourir sans vous hair.
Amurat avec moi ne l'a point condamnée :
Épargnez une vie assez infortunée.

1. Var. De ton cœur par sa mort viens me voir m'assurer. (1672)
2. Var. Si mon cœur l'avoit crue, il ne seroit qu'à vous. (1672)
3. Avant ce vers on lit dans les premières éditions (1672-1687):
Confessant vos bienfaits, reconnoissant vos charmes,
Elle a pour me fléchir employé jusqu'aux larmes.

Toute prête vingt fois à se sacrifier,

Par sa mort elle-même a voulu nous lier.

[En un mot, séparez ses vertus de mon crime.]

1545

1550

1555

1560

Ajoutez cette grâce à tant d'autres bontés,
Madame; et si jamais je vous fus cher....

ROXANE.

Sortez1.

SCÈNE V.

ROXANE, ZATIME.

ROXANE.

Pour la dernière fois, perfide, tu m'as vue,
Et tu vas rencontrer la peine qui t'est due.

ZATIME.

Atalide à vos pieds demande à se jeter,
Et vous prie un moment de vouloir l'écouter,
Madame : elle vous veut faire l'aveu fidèle

1565

D'un secret important qui vous touche plus qu'elle. 1 570

ROXANE.

Oui, qu'elle vienne; et toi, suis Bajazet qui sort;
Et quand il sera temps, viens m'apprendre son sort.

SCÈNE VI.

ROXANE, ATALIDE.

ATALIDE.

Je ne viens plus, Madame, à feindre disposée,
Tromper votre bonté si longtemps abusée :
Confuse, et digne objet de vos inimitiés,

1575

Je viens mettre mon cœur et mon crime à vos pieds.
Oui, Madame, il est vrai que je vous ai trompée :

1. Voyez ci-dessus la note 3 de la page 546. Voyez aussi, à la fin de la Notice, p. 471 et 472, quelques observations sur le jeu de Mlle Rachel.

Du soin de mon amour seulement occupée,

Quand j'ai vu Bajazet, loin de vous obéir,

Je n'ai dans mes discours songé qu'à vous trahir.

Je l'aimai dès l'enfance; et dès ce temps, Madame,
J'avois par mille soins su prévenir son âme.
La Sultane sa mère, ignorant l'avenir,

Hélas! pour son malheur, se plut à nous unir.
Vous l'aimâtes depuis plus heureux l'un et l'autre,
Si connoissant mon cœur, ou me cachant le vôtre,
Votre amour de la mienne eût su se défier!
Je ne me noircis point pour le justifier

Je jure par le ciel, qui me voit confondue,

1580

1590

1595

Par ces grands Ottomans dont je suis descendue,
Et qui tous avec moi vous parlent à genoux
Pour le plus pur du sang qu'ils ont transmis en nous:
Bajazet à vos soins tôt ou tard plus sensible,
Madame, à tant d'attraits n'étoit pas invincible.
Jalouse, et toujours prête à lui représenter
Tout ce que je croyois digne de l'arrêter,
Je n'ai rien négligé, plaintes, larmes, colère,
Quelquefois attestant les mànes de sa mère.
Ce jour même, des jours le plus infortuné,
Lui reprochant l'espoir qu'il vous avoit donné,
Et de ma mort enfin le prenant à partie1,
Mon importune ardeur ne s'est point ralentie,
Qu'arrachant, malgré lui, des gages de sa foi,
Je ne sois parvenue à le perdre avec moi.

1600

Mais pourquoi vos bontés seroient-elles lassées? 1605 Ne vous arrêtez point à ses froideurs passées.

C'est moi qui l'y forçai. Les nœuds que j'ai rompus
Se rejoindront bientôt, quand je ne serai plus.

1. C'est-à-dire : m'en prenant à lui de ma mort, le rendant responsable de

ma mort.

1610

Quelque peine pourtant qui soit due à mon crime,
N'ordonnez pas vous-même une mort légitime,
Et ne vous montrez point à son cœur éperdu
Couverte de mon sang par vos mains répandu.
D'un cœur trop tendre encore épargnez la foiblesse.
Vous pouvez de mon sort me laisser la maîtresse,
Madame mon trépas n'en sera pas moins prompt '.
Jouissez d'un bonheur dont ma mort vous répond';
Couronnez un héros dont vous serez chérie.
J'aurai soin de ma mort, prenez soin de sa vie.
Allez, Madame, allez. Avant votre retour,
J'aurai d'une rivale affranchi votre amour.

:

ROXANE.

Je ne mérite pas un si grand sacrifice :
Je me connois, Madame, et je me fais justice.
Loin de vous séparer, je prétends aujourd'hui
Par des nœuds éternels vous unir avec lui.
Vous jouirez bientôt de son aimable vue.
Levez-vous. Mais que veut Zatime toute émue"?

1620

1625

1. Dans les éditions de 1672 et de 1676: pront; dans celles de 1687 et de 1697: prompt. Voyez ci-dessus, p. 542, note 2.

2. Var. Jouissez du bonheur dont ma mort vous répond (1672)

3. Mairet a mis cette même cruelle équivoque dans la bouche de Solyman, qui a résolu de faire périr son fils Mustapha, et avec lui Despine, fille du roi de Perse et amante de Mustapha. Il parle ainsi en présence des deux amants :

Oui, loin de rendre vains mille amoureux serments,

Et donnés et recus entre ces deux amants,
Loin de rompre le nœud qu'ils serrèrent ensemble,
Je veux qu'un plus étroit aujourd'hui les rassemble.

(Le Grand et dernier Solyman, acte V, scène 1.) 4. Toute émue est le texte de toutes les anciennes éditions.

SCÈNE VII.

ROXANE, ATALIDE, ZATIME.

ZATIME.

Ah! venez vous montrer, Madame, ou désormais
Le rebelle Acomat est maître du Palais.
Profanant des Sultans la demeure sacrée,
Ses criminels amis en ont forcé l'entrée.
Vos esclaves tremblants, dont la moitié s'enfuit,
Doutent si le Visir vous sert ou vous trahit.

ROXANE.

Ah, les traîtres! Allons, et courons le confondre.
Toi, garde ma captive, et songe à m'en répondre.

SCÈNE VIII.

ATALIDE, ZATIME.

ATALIDE.

1630

Hélas! pour qui mon cœur doit-il faire des vœux? 1635
J'ignore quel dessein les anime tous deux.

Si de tant de malheurs quelque pitié te touche,
Je ne demande point, Zatime, que ta bouche
Trahisse en ma faveur Roxane et son secret.
Mais, de grâce, dis-moi ce que fait Bajazet.
L'as-tu vu? Pour ses jours n'ai-je encor rien à craindre?

ZATIME.

1640

Madame, en vos malheurs je ne puis que vous plaindre.

ATALIDE.

Quoi? Roxane déjà l'a-t-elle condamné?

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