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OEillets à l'Hôtel de Bourgogne, celui de Mlle du Parc sur la scène du Palais-Royal.

Mlle du Parc avait quitté la troupe de Molière après la clóture du théâtre aux fêtes de Pâques de cette même année 1667, et s'était engagée à l'Hôtel de Bourgogne pour y débuter dans la nouvelle tragédie. Le poëte, amoureux alors de cette charmante actrice, l'avait décidée à la désertion, pour lui faire suivre sa fortune.

Il est très-probable que le rôle noble et touchant d'Andromaque, s'il prêtait à de moins grands effets que quelques autres de la même pièce, n'était point cependant celui que Racine avait le moins à cœur de faire interpréter à son gré. On dit que par la perfection avec laquelle elle le joua, Mlle du Parc, dont la beauté et les grâces faisaient d'ordinaire le plus grand succès, parut se surpasser elle-même. Lorsqu'à la fin de l'année suivante une mort prématurée l'enleva au théâtre, l'éclat de son triomphe dans Andromaque n'avait pas encore pâli, témoin ces vers de Robinet :

L'Hôtel de Bourgogne est en deuil,
Depuis peu voyant au cercueil
Son Andromaque si brillante,
Si charmante et si triomphante'.

Nous avons dit, dans la Notice sur Alexandre3, combien était aimé du public Floridor, à qui fut confié le rôle de Pyrrhus. L'Hermione manquait de jeunesse et de beauté: Mlle des OEillets avait alors quarante-six ans ; elle était petite et maigre; mais son art était consommé, et si quelques années après elle trouva une rivale qui interpréta plus vivement qu'elle et avec plus d'énergie les scènes les plus passionnées de son rôle, il lui resta la supériorité d'un goût fin et délicat.

Montfleury était né, dit-on, à la fin du seizième siècle, ou

1. Histoire du Théatre françois, tome X, p. 367.

2. Lettre du 15 décembre 1668. — Il faut remarquer toutefois que Boileau disait : « Elle n'étoit pas bonne actrice; » mais il ajoutait que Racine lui faisait réciter comme une écolière le rôle d'Andromaque (voyez la Notice biographique, p. 76). Grâce aux leçons d'un tel maître, elle put cette fois ne rien laisser à désirer.

3. Voyez tome I, p. 493.

tout au moins au commencement du dix-septième; il était donc bien vieux en 1667 pour jouer le rôle d'Oreste. A en juger par le portrait que Molière, qui était, il est vrai, son ennemi, nous a donné de lui, quelques années avant, dans l'Impromptu de Versailles, on aurait d'autres raisons encore de douter que ce rôle lui convint parfaitement. Montfleury n'était pas de taille galante, mais gros et gras comme quatre, entripaillé comme il faut, et d'une vaste circonférence. » Il appuyait sur le dernier vers d'une tirade, pour faire faire le brouhaha, et prenait un ton de démoniaque '. Un contemporain, Gabriel Gueret, nous paraît confirmer par son témoignage cette dernière critique de Molière. Dans le Parnasse réformé il fait ainsi parler Montfleury lui-même : « J'ai usé tous mes poumons dans ces violents mouvements de jalousie, d'amour et d'ambition.... Souvent je me suis vu obligé de lancer des regards terribles, de rouler impétueusement les yeux dans la tête comme un furieux, de donner de l'effroi par mes grimaces..., de crier comme un démoniaque, et par conséquent de démonter tous les ressorts de mon corps.... » Il est à croire que Gueret dépeint ainsi Montfleury d'après le souvenir surtout du rôle d'Oreste : il écrivait son opuscule au commencement de 1668, lorsque ce comédien venait de mourir, dans le cours des représentations d'Andromaque, au mois de décembre 1667. Cette mort, selon lui, aurait été la suite des violents efforts qu'avait faits Montfleury dans les fureurs d'Oreste : « Qui voudra savoir de quoi je suis mort, qu'il ne demande point si c'est de la fièvre, de l'hydropisie ou de la goutte; mais qu'il sache que c'est d'Andromaque.... Ce qui me fait le plus de dépit, c'est qu'Andromaque va devenir plus célèbre par la circonstance de ma mort, et que désormais il n'y aura plus de poëte qui ne veuille avoir l'honneur de crever un comédien en sa vie. » Les auteurs de l'Avertissement

1. Impromptu de Versailles, scène 1.

2. Voyez p. 73-75 (édition de 1668. L'Achevé d'imprimer est du 7 février).

3.

On assure que son ventre s'ouvrit; il était si prodigieusement gros qu'il étoit soutenu par un cercle de fer.» (Mercure de France, mai 1738, p. 830.)

du théâtre de MM. Montfleury, s'appuyant sur l'autorité de Mlle Desmares, arrière-petite-fille du premier interprète des fureurs d'Oreste, disent que Gueret a fait un conte. On pourrait supposer en effet que cette histoire de Montfleury, tué par son jeu forcené, n'a été imaginée que pour faire pendant à celle de Mondory, qui avait été frappé d'une attaque d'apoplexie en jouant les fureurs d'Hérode dans la Mariane de Tristan. Il est bien difficile cependant de récuser le témoignage contemporain de Robinet, dont les termes nous semblent assez clairs dans la lettre en vers du 17 décembre 1667, où il annonce la mort de Montfleury,

Qui d'une façon sans égale
Jouoit dans la troupe royale,
Non les rôles tendres et doux,
Mais de transports et de courroux,
Et lequel a, jouant Oreste,
Hélas! joué de tout son reste.
O rôle tragique et mortel,

Combien tu fais perdre à l'Hôtel
En cet acteur inimitable!

Qu'importe au surplus? La tragédie de Racine n'avait pas besoin, pour conquérir la célébrité, de tuer un malheureux comédien. Ne cherchons, si l'on veut, dans l'anecdote, vraie ou fausse, qu'une preuve de l'impression produite sur les spectateurs de ce temps par la violence du jeu de Montfleury. Mais la dernière scène d'Andromaque n'a pas été faite pour être jouée de sang-froid; et cette fois les transports démoniaques de l'acteur purent ne pas mériter de reproches. Du reste les défauts qu'il paraît avoir eus ne l'empêchèrent évidemment pas d'être fort admiré dans la tragédie de Racine, puisque M. de Lionne écrivait à Saint-Évremond que « la pièce étoit déchue par sa mort. » Ajoutons que Montfleury, si sévèrement jugé par Molière, avait cependant la réputation d'un des meilleurs comédiens de ce temps. Chapuzeau le place à côté de Floridor. Ils étaient l'un et l'autre « les grands modèles, dit-il,

1. Cité dans l'Histoire du Théâtre françois, tome VII, p. 125-137. 2. Théatre françois, p. 182.

de tous ceux qui veulent se dévouer au théâtre 1. » Il y a lieu de penser que, dans l'ensemble, le chef-d'œuvre fut loin d'être trahi par ses premiers interprètes.

On alla même jusqu'à prétendre (car c'était toujours, en pareil cas, le thème des détracteurs) qu'Andromaque devait surtout aux acteurs son éclatant succès. « Elle a besoin, disait Saint-Évremond, de grands comédiens, qui remplissent par l'action ce qui lui manque. » Ne croirait-on pas qu'il s'agit d'une pièce qui resterait froide et languissante, si elle n'était réchauffée par la passion des comédiens, d'une action dont le vide veut être dissimulé par le mouvement entraînant de la représentation théâtrale? La vérité est, au contraire, que, tout en ayant ce caractère essentiel aux œuvres vraiment dramatiques de produire tout leur effet à la représentation, cette tragédie, si féconde en émouvantes péripéties, et d'un intérêt si puissant par elle-même, n'est guère moins admirée à la lecture, et qu'en tout temps elle a fait les grands acteurs, au lieu d'être faite par eux. Mais Saint-Évremond, engagé dans la cause de Corneille, était de ceux qui ne se résignaient pas à lui reconnaître un rival. Il est curieux de le voir, partagé entre sa passion et les avertissements plus justes de son sens droit, se débattre contre son involontaire admiration. On lui avait envoyé Andromaque avec Attila, joué la même année, quelques mois plus tôt 3. « A peine ai-je eu le loisir, écrivait-il à M. de

1. Tallemant des Réaux était plus favorable encore à Montfleury : il le jugeait supérieur à Floridor. « C'est, dit-il de ce dernier, un médiocre comédien, quoi que le monde en veuille dire.... Montfleury, s'il n'étoit point si gras, et qu'il n'affectât point de montrer sa science, seroit un tout autre homme que lui. » (Historiettes, édition de MM. Monmerqué et P. Paris, M.DCCC.LVIII, tome VII, p. 176.) Il reste nécessairement beaucoup d'incertitude sur ce que nous devons penser aujourd'hui de ces anciens acteurs.

2. Lettre à M. de Lionne. OEuvres de Saint-Évremond (édition d'Amsterdam, 1706), tome II, p. 286.

3. L'impression d'Attila avait également devancé quelque peu celle d'Andromaque. L'Achevé d'imprimer de la tragédie de Corneille est du 20 novembre 1667; celui d'Andromaque n'est pas donné dans l'exemplaire de la première édition que nous avons eu sous les yeux; mais cette édition porte la date de 1668. Le privilége accordé à

Lionne', de jeter les yeux sur Andromaque et sur Attila; cependant il me paroît qu'Andromaque a bien de l'air des belles choses; il ne s'en faut presque rien qu'il y ait du grand. Ceux qui n'entreront pas assez dans les choses, l'admireront; ceux qui veulent des beautés pleines, y chercheront je ne sais quoi qui les empêchera d'être tout à fait contents.... Mais, à tout prendre, c'est une belle pièce, et qui est fort au-dessus du médiocre, quoique un peu au-dessous du grand. » Le même jugement, au fond très-favorable, mais embarrassé des mêmes restrictions subtiles, se retrouve dans une autre lettre qu'il adressait encore à M. de Lionne2: « Ceux qui m'ont envoyé Andromaque m'ont demandé mon sentiment. Comme je vous l'ai dit, elle m'a semblé très-belle; mais je crois qu'on peut aller plus loin dans les passions, et qu'il y a encore quelque chose de plus profond daus les sentiments que ce qui s'y trouve; ce qui doit être tendre n'y est que doux, et ce qui doit exciter de la pitié ne donne que de la tendresse. Cependant, à tout prendre, Racine doit avoir plus de réputation qu'aucun autre après Corneille. » Après Corneille, c'est tout ce que voulait Saint-Évremond: c'est à cette conclusion qu'il prétendait arriver par des critiques cette fois si vagues. Il fallait que dans Corneille seul il y eût a du grand et des beautés pleines. ne pouvait d'ailleurs rencontrer plus mal que de refuser à Andromaque le mérite d'aller assez loin dans les passions et de donner aux sentiments toute leur profondeur.

» On

Saint-Évremond ne disputait du moins que sur le degré de

« notre bien amé Iean Racine, Prieur de l'Épinay, » est du 28 décembre 1667. Voici le titre de cette édition originale :

ANDROMAQVE,

TRAGEDIE.

A Paris, chez Théodore Girard....

M.DC.LXVIII.

Auec priuilege du Roy.

Il y a six feuillets sans pagination, contenant le titre, l'Epître à Madame, la Préface, et la liste des acteurs; et 95 pages, suivies du privilége.

1. Dans la lettre citée plus haut.

2. Lettre à M. de Lionne (tome II, p. 319 et 320)

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