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prédilection fondée sur d'assez fortes raisons : il disoit même que s'il avoit produit quelque chose de parfait, c'étoit PHEDRE. Pour moi il me semble que cette perfection qu'il cherchoit, et dont personne n'a plus approché que lui, se trouve d'une manière plus sensible et plus frappante dans IPHIGÉNIE, quoique le caractère de Phèdre, que Voltaire appelle « le chef-d'œuvre de l'esprit humain, et le modèle éternel, mais inimitable, de quiconque voudra jamais écrire en vers,» soit incontestablement le plus tragique et le plus sublime qu'il y ait au théâtre.

Racine fut reçu à l'académie françoise en 1673, et y remplaça La Mothe-le-Vayer. Quelques années après il fut nommé avec Boileau historiographe du roi. M. de Valincour prétend avec beaucoup de vraisemblance « qu'après avoir long-temps essayé ce travail, ils sentirent qu'il étoit tout-à-fait opposé à leur génie. » C'est

que

pour bien écrire l'histoire il ne suffit pas d'être bon poëte; il faut un talent peut-être aussi rare, et que le premier ne suppose pas, celui de bien écrire en prose : il faut de plus une grande connoissance des hommes, qui ne s'acquiert point

dans le silence de la retraite ; une longue expérience que rien ne peut suppléer, et qui tient à un courant subtil des choses de la vie bien observées : un grand fonds d'idées, d'instruction, de raison, de philosophie; avantages qui se trouvent rarement réunis : en un mot, il faut avoir le mérite de Tacite ou de Voltaire, qui, dans deux genres très distincts, et en prenant chacun une route aussi diverse que le caractère de leur esprit et la nature des objets dont ils se sont occupés, ont laissé à la postérité les deux plus beaux modèles d'histoire qui existent dans aucune langue et chez aucun peuple, et les deux seuls entre lesquels il soit permis de balancer, et très difficile de choisir.

Plusieurs anecdotes de la vie de Racine, ses épigrammes, et sur-tout la préface de la première édition de BRITANNICUS, où il tourne finement en ridicule, mais avec une ironie très amère, la plupart des pièces de Corneille, décèlent en lui cet esprit caustique et ce caractère irascible qu'Horace attribue à tous les poëtes, qu'il appelle si plaisamment une race colère. La religion, vers laquelle Racine tourna d'assez

bonne heure toutes ses pensées, avoit modéré son penchant pour la raillerie; et, ce qui étoit peut-être plus difficile encore, parceque le sacrifice étoit plus grand et plus pénible pour l'amour-propre, elle avoit éteint en lui la passion des vers et celle de la gloire, la plus forte de toutes dans les hommes que la nature a destinés à faire de grandes choses: mais elle n'avoit pu affoiblir son talent pour la poésie. Douze années presque uniquement consacrées aux devoirs de la piété, dont le sentiment tranquille et doux étoit devenu un besoin pour lui, et remplissoit son ame tout entière, ne lui avoient rien fait perdre de ce génie heureux et facile qu'on remarque dans tous ses ouvrages : il suffit, pour s'en convaincre, de lire avec attention les deux dernières pièces qu'il fit, à la sollicitation de madame de Maintenon, pour les demoiselles de Saint-Cyr.

ESTHER fut représentée par les jeunes pensionnaires de cette maison, que l'auteur avoit formées à la déclamation. Madame de Sévigné fait mention, dans une de ses lettres, des applaudissements que reçut cette tragédie, qu'elle

appelle UN CHEF-D'oeuvre de Racine. « Ce poëte s'est surpassé, dit-elle; il aime Dieu comme il aimoit ses maîtresses ; il est pour les choses saintes comme il étoit pour les profanes: tout est beau, tout est grand, tout est écrit avec dignité. »

le

On est d'abord un peu étonné de cette admiration exagérée que madame de Sévigné montre ici pour ESTHER, après avoir parlé si froidement, pour ne pas dire si dédaigneusement, d'ANDROMAQUE, de BRITANNICUS, de BAJAZET, de PHEDRE, etc. pièces très supérieures à ESTHER. Mais lorsqu'on se rappelle que, fidèle à ce qu'elle appeloit ses vieilles admirations, elle écrivoit à sa fille que « Racine n'iroit pas loin, et que goût en passeroit comme celui du café, » on ne voit plus dans la critique comme dans l'éloge le même défaut de tact et de jugement. Quoique ESTHER offre de très beaux détails, soutenus de ce style enchanteur qui rend la lecture de Racine si délicieuse, il faut avouer que les applications particulières et malignes que les courtisans firent de plusieurs vers de cette tragédie à certains évènements du temps contribuèrent beaucoup au grand succès qu'elle cut à

que

la cour: mais le public, qui jugeoit la pièce en elle-même, et dans l'opinion duquel ces applications, bonnes ou mauvaises, ne pouvoient ajouter à l'ouvrage ni une beauté ni un défaut, ne lui fut pas aussi favorable qu'on l'avoit été à Versailles, et l'on convient généralement aujourd'hui que le public eut raison.

Deux ans après, Racine, flatté d'avoir réussi dans un genre dont il étoit l'inventeur, et qui peut-être avoit senti renaître en lui le desir si naturel et si utile de la gloire, traita dans les mêmes vues le sujet d'ATHALIE. Mais le long silence qu'il s'étoit imposé, et qui auroit dû lui faire pardonner sa réputation, n'avoit pu encore désarmer l'envie : tous les ressorts les plus actifs, et dont l'effet est le plus sûr lorsqu'on veut nuire, furent mis en mouvement; et l'on parvint enfin à jeter dans l'esprit de madame de Maintenon des scrupules qui firent supprimer les spectacles de Saint-Cyr; et ATHALIE n'y fut point représentée. Racine la fit imprimer en 1691; mais elle trouva peu de lecteurs. On se persuada qu'une pièce faite pour des enfants n'étoit bonne que pour eux; et les gens du monde, qui crai

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