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» ce serait perdre entièrement tout le fruit d'une négociation conduite >> heureusement jusqu'au point de la conclusion, que d'insister sur » la ratification des États du royaume. Les États, en France, ne se » mêlent point de ce qui regarde la succession à la couronne; ils » n'ont le pouvoir ni de faire ni d'abroger les lois. Quand les Rois » les convoquent, on marque dans les lettres que c'est pour ouïr les >> plaintes des bons et fidèles sujets, et pour chercher des remèdes >> aux maux présents.

» Les exemples des siècles précédents, ajoute M. de Torcy, ont » fait voir que ces sortes d'assemblées ont presque toujours produit >> des troubles dans le royaume, et les derniers États, tenus en 1644, >> finirent par la guerre civile; comme le Roi croit être assuré des vé>> ritables intentions de la Reine, Sa Majesté est persuadée que cette >> princesse cherche seulement une sûreté pour la renonciation, et qu'il suffit, par conséquent, d'en indiquer une plus conforme à nos » usages, et qui ne sera pas sujette aux inconvénients de l'assemblée des États, qui, n'ayant point été convoqués depuis près de » cent ans, sont en quelque manière abolis dans le royaume.

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» Cette sûreté sera de faire publier et enregistrer, dans tous les >> parlements du royaume, la renonciation que le Roi d'Espagne aura >> faite, pour lui et pour ses descendants, à la couronne de France. » Les édits et les déclarations revêtus de ces formalités ont force de >> lois; les Français sont accoutumés à cet usage; il se pratique à l'é» gard des traités faits avec les puissances étrangères; et l'intention » du Roi est de faire en même temps lirer et ôter publiquement des >> registres du parlement les lettres patentes que Sa Majesté fit expé» dier en faveur du Roi d'Espagne, pour lui conserver les droits de >> sa naissance, lorsqu'il partit de France pour aller à Madrid. La » révocation et l'anéantissement de ces lettres seront la suite et » comme une espèce de confirmation de la renonciation (1). »

Sans discuter les doctrines de M. de Torcy, lord Bolingbroke ne fit plus de difficulté; il reconnut la suffisance de l'enregistrement dans tous les parlements; et le cours des négociations ne fut pas arrêté par cet incident.

Cependant le prince Eugène entravait, avec plus d'obstination que jamais, les vues pacifiques des au(1) Voy. ibid., pag. 387 et suiv.

tres puissances (1), même après que l'armée anglaise se fut séparée de lui, dans l'attente d'une suspension d'armes. Le maréchal de Villars lui livra, le 24 juillet, la mémorable bataille de Denain, dont le succès eut tant d'influence sur la marche des négociations.

Le 3 juillet, le Roi d'Espagne avait lu à son conseil une déclaration solennelle annonçant sa résolution de faciliter la conclusion de la paix proposée, par la renonciation qui lui était demandée. Il la ferait, disait-il, afin que la monarchie espagnole fût assurée à ses descendants (2). Le 8 juillet, il signa un décret dont le préambule est ainsi conçu :

« L'assurance que les couronnes d'Espagne et de France ne seraient » jamais mises sur une même tête a été un des principaux et des » plus puissants motifs de la guerre qui a affligé l'Europe jusqu'à ce » jour : elle été aussi comme le Préliminaire, dans les vues qu'on a >> eues pour la paix, et principalement dans les propositions qui ont » été faites depuis peu, en Angleterre. C'est là-dessus qu'on a posé le >> fondement de cet ouvrage, et l'on a jugé à propos d'établir la cer>>titude qu'en aucun temps, ni par quelque incident et événement » que ce soit, les deux monarchies ne puissent être unies en une >> seule personne; et c'est sur ce point et sur d'autres qu'on est con» venu du congrès qui se tient à Utrecht, pour traiter les autres arti»cles de la paix, et les régler; pendant lesquelles négociations les » morts imprévues des Dauphins étant survenues, l'Angleterre en » prit occasion de porter ses vues jusqu'à prévenir et anéantir les » effets de tous autres accidents qui pourraient encore survenir...

>> Cette couronne a donc proposé que je renonçasse, en mon nom » et en celui de mes descendants, à la monarchie d'Espagne ou à >> celle de France, en telle sorte que, si je demeurais en Espagne, au» cun de mes successeurs ne pourrait jamais succéder à celle de France, » et que ceux qui règnent ou régneront en France, ni tout autre prince » issu de cette famille, ou qui en naîtra par après, ni ses descendants, » ne pourront jamais succéder à la couronne d'Espagne.

» Je n'hésitai pas un seul instant sur le parti que j'avais à pren

(1) Voy. ibid., pag. 429-443, et alibi.

(2) Voy. Actes et mém. de la paix d'Utrecht, Lamberty, Dumont, etc.

» dre..... Mon affection pour les Espagnols, la reconnaissance des obli>>gations que je leur ai... » etc.

On peut remarquer que, dans ce préambule, le Roi Philippe V ne parle que de succession, et qu'il ne parle pas des autres modes par lesquels on pourrait arriver à la couronne ou la recueillir. Néanmoins, comme on a prétendu fonder sur les termes de ces renonciations une inhabileté perpétuelle pour les descendants des princes renonçants de jamais recueillir la couronne d'Espagne, nous croyons qu'on pourrait demander en vertu de quel droit ces princes auraient pu priver leurs descendants des chances qui leur écherraient par suite d'autres titres ou d'autres droits que ceux auxquels leurs auteurs avaient renoncé.

Ceci devient d'autant plus frappant, que Philippe V lui-même occupait le trône d'Espagne, en dépit d'une renonciation solennelle convertie en loi de l'État (1), puisqu'il était arrière-petit-fils de cette Infante Anne d'Autriche qui, en devenant Reine de France, avait elle-même renoncé à la couronne d'Espagne, pour elle et ses descendants à jamais, dans des termes qui ont été littéralement reproduits dans les renonciations subséquentes, et qui sont identiquement ceux sur lesquels on prétendrait aujourd'hui fonder l'exclusion perpétuelle de tous les princes et princesses issus des princes signataires des renonciations. Ainsi, puisque la renonciation d'Anne d'Autriche n'a pas empêché Philippe V d'occuper le trône d'Espagne, on est fondé à dire que les clauses exorbitantes, et qui sortent du droit commun, deviennent toujours, en définitive, purement

(1) Voy. Supra, pag. 19.

comminatoires, lorsqu'elles dépassent le but de la transaction.

Dès que ce point des renonciations fût réglé, lord Bolingbroke vint de sa personne à Fontainebleau, pour continuer les négociations, car c'était réellement entre lui et M. de Torcy qu'était la conférence. Il fut parfaitement reçu par le Roi (1). On s'occupa de suite d'un point très-important, le choix du prince qui devait prendre la place et le degré des ducs de Berry et d'Orléans, dans l'échelle héréditaire de la successibilité espagnole. Il fut convenu que ce serait le duc de Savoie. Le mot substitution a ici de l'importance, car il détermine la portée précise des actes de renonciation et leur but exclusivement successoral, si je puis ainsi parler. Or, c'est ce mot de substitution qui fut employé entre M. de Torcy et lord Bolingbroke, dans le texte de la convention, arrêtée entre eux, à Fontainebleau, le 21 août.

« La substitution du duc de Savoie et de sa famille à la couronne » d'Espagne et des Indes sera faite dans le temps que l'article qui « regarde la réunion des deux monarchies recevra son accomplisse>>ment; cette substitution sera insérée dans tous les actes de renon>> ciation, tant du Roi d'Espagne que de M. le duc de Berry et de » M. le duc d'Orléans. Elle sera reconnue de Sa Majesté très-chré» tienne, comme aussi des cortès d'Espagne, » etc.

C'est dans ces mêmes termes qu'on s'exprima plus tard dans le traité particulier conclu à Utrecht, le 11 avril 1713, entre la France et la Savoie. Le Roi trèschrétien y consent à ce qu'à défaut des descendants de

(1) Voy. dans la corresp. de lord Bolingbroke, tom. III, pag. 36, une lettre du 26 août, de Louis XIV à la reine Anne.

Sa Majesté catholique, la succession passe au duc de Sa

voie (1).

C'était donc un droit de succession qui était ouvert au duc de Savoie, par le pouvoir compétent, c'està-dire par le roi d'Espagne et les cortès, dans le cas où la descendance de Philippe V serait complétement épuisée, comme l'avait été naguère la ligne masculine de la branche espagnole de Hapsbourg (2).

La descendance masculine et féminine de Philippe V avait la priorité; son extinction totale pouvait seule ouvrir le droit de la maison de Savoie à monter sur le trône d'Espagne. La question des mariages de la descendance de Philippe V n'a été l'objet d'aucune discussion, ni à cette époque, ni à aucune autre, jusjusqu'à nos jours. Vainement on dirait qu'elle n'a pas été prévue; elle ne pouvait pas ne pas l'être. Mais il est clair que l'Europe ne s'est reconnu ni droit ni intérêt à s'ingérer dans cette affaire, et qu'elle l'a considérée comme étant hors de sa compétence. En effet, il suffisait à l'Europe que le cas de cumul ne pût se présenter, et les garanties données à cet égard paraissaient à tous complétement suffisantes.

Au surplus, les négociations d'Utrecht ne peuvent être abaissées au niveau d'une transaction privée sur un partage de patrimoine. La grande question d'Utrecht, c'était l'équilibre des puissances, des états; l'intérêt européen et non l'intérêt privé des familles. Il s'agissait de concilier le respect dû à l'indépendance souveraine

(1) Art. 6 du traité. Voy. Actes et mém., etc, tom. II, pag. 528. (2) Voy. la corresp. de lord Bolingbroke, tom. II, pag. 449 et suiv., jusqu'au tom. III, pag. 12, où se trouve la minute de la convention citée.

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