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gleterre éclairée, sur les actes de l'Angleterre entraînée. Après la mort de Charles II, elle avait hésité longtemps à courir les hasards de la lutte; de 1701 à 1703, elle avait plutôt menacé qu'agi. En 1703, le duc de Marlborough engagea son pays dans l'emportement d'une guerre de succession où l'Angleterre n'avait qu'un intérêt politique qu'elle aurait pu garder autrement. En 1710, elle refusa la paix à Louis XIV, et Marlborough mit la France à deux doigts de sa perte; mais les finances et le commerce de l'Angleterre étaient en souffrance; et, victorieuse qu'elle était, l'Angleterre fut obligée à son tour de souhaiter la paix, et de rétracter de 1711 à 1713 ce qu'elle avait fait de 1703 à 1710. Rétractation d'autant plus remarquable qu'elle fut réfléchie, durable et publique! La moralité de cette histoire c'est qu'on ne fera plus, en Europe, de guerre de succession; on ne songera plus, en France, à la réunion des deux couronnes, ni en Angleterre, à imposer un roi à l'Espagne.

Les conférences pour la paix s'étaient ouvertes le 29 janvier 1712, dans l'hôtel-de-ville d'Utrecht. De brillants discours occupèrent les premières séances, et chacun des plénipotentiaires ayant été invité à présenter ses demandes, les plénipotentiaires français commencèrent par déposer leurs offres spécifiques; on les trouvera aux Pièces justificatives, n° 7. On y lit cette clause, à l'endroit de la couronne d'Espagne.

<«< Le Roi consentira volontairement et de bonne foi à prendre, » de concert avec les alliés, toutes les mesures les plus justes » pour empêcher que les couronnes de France et d'Espagne ne >> soient jamais réunies sur une même tête, c'est-à-dire qu'un » même prince ne puisse être tout ensemble Roi de l'une et de >> l'autre. >>

Les plénipotentiaires devaient chercher de bonne foi des moyens d'exécution justes et raisonnables; mais les moyens ne devaient et ne pouvaient dépasser l'unique but qu'on se proposait d'atteindre éviter le cumul, rien au delà.

Les plénipotentiaires d'Angleterre déposèrent peu de jours après et de leur côté leurs demandes spécifiques; on en peut lire le texte dans la collection des Actes et mémoires d'Utrecht (4). L'Angleterre et la Hollande acquiesçaient à l'offre de la France, qui leur parut tellement satisfaisante, que leur note diplomatique est presque exclusivement consacrée à l'indication des avantages commerciaux souhaités par l'une et l'autre puissance. En ce point, la pensée de l'Angleterre était celle de la France, et l'offre faite par cette dernière était acceptée par l'Angleterre, dans son esprit autant que dans sa forme et teneur. On remarque la même adhésion silencieuse dans les postulata des autres puissances, à l'exception de l'Empereur, qui devait naturellement persister dans ses prétentions, et du Roi de Portugal, qui remplissait à cet égard un office de courtoisie.

Nous devons mettre ici en lumière un article qu'on lit dans les postulata de la Hollande. Cette puissance acceptait, sans mot dire, en 1712, l'offre spécifique de la France, elle qui, en 1709, avait rédigé la fameuse proposition préliminaire qui excluait la maison de France tout entière du trône d'Espagne, lors même qu'elle y arriverait par suite de conventions matrimoniales. Elle se contentait maintenant de la seule

(1) Tom. I, pag. 320 et suiv.

prohibition du cumul des couronnes; et, en effet, dès qu'elle agréait Philippe V pour Roi d'Espagne, elle ne pouvait plus raisonnablement demander autre chose que la consécration du principe de la séparation. Elle avait si peu, cependant, oublié le protocole de 1709, qu'elle le reproduisait, dans ses postulata, à l'égard d'un point particulier qui lui tenait fort à cœur. Elle attachait une importance d'autant plus grande à n'avoir pas le Roi de France pour voisin, même indirectement, que ce vœu était aussi celui de l'Angleterre. Elle demandait, en conséquence, les Pays-Bas pour l'Empereur d'Autriche, et elle ajoutait :

<< Bien entendu qu'aucune province, ville, fort ou place desdits >> Pays-Bas espagnols ne pourra jamais être cédée, transportée, ni » donnée, ni échoir à la couronne de France, ni à aucun prince ou » princesse de la maison ou ligne de France; soit en vertu de quelque » don, vente, échange, convention matrimoniale, succession par tes» tament, ou ab intestat, ou sous quelque autre titre que ce puisse » être; ni être mise, de quelque manière que ce soit, au pouvoir du >> Roi très-chrétien, ni de quelque prince ou princesse de la maison » ou ligne de France (1). »

Voilà ce que l'Angleterre aussi souhaitait pour les Pays-Bas, mais ce qu'on ne songeait pas à demander pour l'Espagne, à l'égard de laquelle, en effet, il eût été absurde de fermer les avenues du trône pour les autres princes de la maison de Bourbon, lorsqu'ils y seraient appelés par des conventions matrimoniales, dès l'instant qu'on acceptait pour Roi d'Espagne un Bourbon, petit-fils du Roi régnant de France, fils, frère ou oncle des héritiers présomptifs de Louis XIV. Il suffi

(1) Voy. Acles et mémoires, etc., tom. I, pag. 343. Les postulata ne se trouvent pas dans Dumont.

sait, à l'égard de tous, dans la pensée commune, de prohiber la réunion des deux royautés sur la tête d'un même prince.

Il ne paraît même pas que le ministère anglais eût donné à ses plénipotentiaires aucune instruction détaillée sur le moyen d'exécution de la convention relative à la prohibition du cumul. Apparemment, dans la pensée du ministère anglais, on devait se contenter d'une assurance générale, convertie en pacte public par le traité. Il y avait alors, entre le Roi d'Espagne Philippe V et la couronne de France, plusieurs princes intermédiaires qui éloignaient la probabilité d'une réunion possible. La correspondance de Bolingbroke fait foi de cette intention qu'on avait de se borner à des prohibitions générales quoique absolues, c'est-à-dire d'en rester aux termes du testament de Charles II. Un événement calamiteux et imprévu mit les confédérés, et spécialement l'Angleterre, dans la nécessité d'entrer dans plus de détails à ce sujet. On pourvut alors aux moyens d'exécution, mais sans s'écarter de la pensée principale et primitive.

L'événement fatal dont il s'agit fut la mort du Dauphin, connu naguère sous le nom aimé de duc de Bourgogne. Aux malheurs politiques avaient succédé rapidement, pour le grand Roi, des malheurs de famille, non moins cuisants et non moins douloureux. Le grand Dauphin, Monseigneur, était mort de la petite-vérole, à Meudon, le 14 avril 1714. La duchesse de Bourgogne, Dauphine après la mort de Monseigneur, mourut à vingt-six ans, le 12 février suivant, et le Dauphin, duc de Bourgogne, ne survécut à son épouse que de six jours. Le duc de Bretagne, l'aîné des deux princes

qu'ils laissèrent, les suivit de près, lui-même, et mourut le 8 mars, âgé de cinq ans. Il ne restait donc de toute cette lignée, que le duc d'Anjou, depuis Louis XV, prince alors âgé de deux ans seulement, et qui fut aussi en grand danger. De sorte que Philippe V, Roi d'Espagne, second fils de Monseigneur, et oncle du nouveau Dauphin, n'était séparé du trône, où l'appelait le droit du sang, que par un prince en bas âge et d'une santé chancelante. Cette situation critique de la branche régnante de Bourbon fit naître de sérieuses réflexions dans les cabinets étrangers, et le ministère anglais dut y porter une sollicitude d'autant plus vive, que l'opposition en tirait argument pour l'accuser d'impré– voyance.

Ce fut alors seulement que des instructions additionnelles furent données par le cabinet anglais, au sujet des moyens à prendre pour éviter une réunion ou cumul de couronnes qui, de nouveau, se présentait comme possible. C'est alors seulement que l'on songea aux renonciations, et voici ce que lord Bolingbroke manda aux ministres d'Utrecht :

« J'ai reçu hier matin une lettre de M. de Torcy, datée de jeudi » dernier (1), par laquelle il m'annonce la nouvelle de la mort du >> troisième Dauphin décédé cette année, avec l'assurance que le >> Roi persiste dans la résolution de concourir avec nous, par d'effi>> caces mesures, à prévenir la réunion des deux couronnes. M. Har>> ley doit communiquer à vos Seigneuries le meilleur moyen qui ait >> paru convenable à la Reine pour obtenir ce résultat. La mort de » ces princes ne laisse qu'un enfant de deux ans entre Philippe V et

(1) La lettre de M. de Torcy est datée du 10 mars et se trouve dans la correspondance de lord Bolingbroke, tom. II, pag. 204.

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