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Bavez-vous que j'étais un compère autrefois ?

On a parlé de nous.

ISABELLE.

Ah! monsieur, je vous crois.

DANDIN.

Dis-nous : à qui veux-tu faire perdre la cause?

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Non; et ne le verrai, que je crois, de ma vie.

DANDIN.

Venez, je vous en veux faire passer l'envie.

ISABELLE.

Hé monsieur! peut-on voir souffrir des malheureux ?

DANDIN.

Bon! cela fait toujours passer une heure ou deux.

CHICANEAU.

Monsieur, je viens ici pour vous dire...

LÉANDRE.

Mon père,

Je vous vais en deux mots dire toute l'affaire.

C'est pour un mariage. Et vous saurez d'abord

Qu'il ne tient plus qu'à vous, et que tout est d'accord. La fille le veut bien; son amant le respire :

Ce que la fille veut, le père le désire.

C'est à vous de juger.

DANDIN, se rasseyant.

Mariez au plus tôt :

Dès demain si l'on veut; aujourd'hui, s'il le faut.

LÉANDRE.

Mademoiselle, allons, voilà votre beau-père;

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DANDIN.

Quel est donc ce mystère?
LÉANDRE.

Ce que vous avez dit se fait de point en point.

DANDIN.

Puisque je l'ai jugé, je n'en reviendrai point.

CHICANEAU.

Mais on ne donne pas une fille sans elle.

LÉANDRE.

Sans doute; et j'en croirai la charmante Isabelle.

CHICANEAU.

Es-tu muette? Allons, c'est à toi de parler.

Parle.

ISABELLE.

Je n'ose pas, mon père, en appeler.

Mais j'en appelle, moi.

CHICANEAU.

LÉANDRE, lui montrant un papier.

Voyez cette écriture.

Vous n'appellerez pas de votre signature.

Plait-il?

CHICANEAU.

DANDIN.

C'est un contrat en fort bonne façon.

CHICANEAU.

Je vois qu'on m'a surpris ; mais j'en aurai raison :

De plus de vingt procès ceci sera la source.

On a la fille; soit : on n'aura pas la bourse.

LÉANDRE.

Hé monsieur! qui vous dit qu'on vous demande rien? Laissez-nous votre fille, et gardez votre bien.

Ah!

CHICANEAU,

LÉANDRE.

Mon père, êtes-vous content de l'audience?

DANDIN.

Oui-dà. Que les procès viennent en abondance,
Et je passe avec vous le reste de mes jours.
Mais que les avocats soient désormais plus courts.
Et notre criminel?

LÉANDRE.

Ne parlons que de joie;

Grâce! grâce! mon père.

DANDIN.

Hé bien ! qu'on le renvoie.

C'est en votre faveur, ma bru, ce que j'en fais.
Allons nous délasser à voir d'autres procès.

DE BRITANNICUS.

Voici celle de mes tragédies que je puis dire que j'ai le plus travaillée. Cependant j'avoue que le succès ne répondit pas d'abord à mes espérances: à peine elle parut sur le théâtre, qu'il s'éleva' quantité de critiques qui semblaient la devoir détruire. Je crus moi-même que sa destinée serait à l'avenir moins heureuse que celle de mes autres tragédies. Mais enfin il est arrivé de cette pièce ce qui arrivera toujours des ouvrages qui auront quelque bonté : les critiques se sont évanouies, la pièce est demeurée. C'est maintenant celle des miennes que la cour èt le public revoient le plus volontiers. Et si j'ai fait quelque chose de solide et qui mérite quelque louange, la plupart des connaisseurs demeurent d'accord que c'est ce même Britannicus.

A la vérité j'avais travaillé sur des modèles qui m'avaient extrêmement soutenu dans la peinture que je voulais faire de la cour d'Agrippine et de Néron. J'avais copié mes personnages d'après le plus grand peintre de l'antiquité, je veux dire d'après Tacite; et j'étais alors si rempli de la lecture de cet excellent historien, qu'il n'y a presque pas un trait éclatant dans ma tragédie dont il ne m'ait donné l'idée. J'avais voulu mettre dans ce recueil un extrait des plus beaux endroits que j'ai tâché d'imiter; mais j'ai trouve que cet extrait tiendrait presque autant de place que la tragédie. Ainsi le lecteur trouvera bon que je le renvoie à cet auteur, qui aussi bien est entre les mains de tout le monde; et je une contenterai de rapporter ici quelques-uns de ses passages sur chacun des personnages que j'introduis sur la scène.

Pour commencer par Néron, il faut se souvenir qu'il est ici dans les premières années de son règne, qui ont été heureuses, comme l'on sait. Ainsi il ne m'a pas été permis de le représenter aussi méchant qu'il a été depuis. Je ne le représente pas non plus comme un homme vertueux; car il ne l'a jamais été. Il n'a pas encore,tué sa mère, sa femme, ses gouverneurs; mais il a en lui les semences de tous ces crimes: il commence à vouloir secouer le joug. Il les hait les uns et les autres; il leur cache sa haine sous de fausses caresses, factus natura velare odium fallacibus blanditiis. En un mot, c'est ici un monstre naissant, mais qui n'ose encore se déclarer, et qui cherche des couleurs à ses méchantes actions, hactenus Nero flagitiis et sceleribus velamenta quæsivit. Il ne pouvait souffrir Octavie, princesse d'une bonté et d'une vertu exemplaires, fato quodam, anʼquia prævalent illicita. Metuebaturque ne in stupru fœminarum illustrium prorumperet.

Je lui donne Narcisse pour confident. J'ai suivi en cela Tacite, qui dit que Néron porta impatiemment la mort de Narcisse, parce que cet affranchi avait une conformité merveilleuse avec les vices du prince encore cachés; cujus abditis adhuc vitiis mire congruebat. Ce passage prouve deux choses: il prouve, et que Néron était déjà vicicuî, mais qu'il dissimulait ses vices; et que Narcisse l'entretenait dans ses mauvaises inclinations.

J'ai choisi Burrhus pour opposer un honnête homme à cette peste de cour; et je l'ai choisi plutôt que Sénèque : en voici la raison. Ils étaient tous deux gouverneurs de la jeunesse de Néron, l'un pour les armes,

l'autre pour les lettres; et ils étaient fameux, Burrhus pour son expérience dans les armes et pour la sévérité de ses mœurs, militaribus curis et severitate morum ; Sénèque pour son éloquence et le tour agréable de son esprit, Seneca præceptis eloquentiæ et comitate honesta. Burrhus après sa mort fut extrêmement regretté, à cause de sa vertu: civitati grande desiderium ejus mansit per memoriam virtutis.

Toute leur peine était de résister à l'orgueil et à la férocité d'Agrippine, quæ, cunctis malæ dominationis cupidinibus flagrans, habebat in partibus Pallantem. Je ne dis que ce mot d'Agrippine, car il y aurait trop de choses à en dire. C'est elle que je me suis surtout efforce de bien exprimer; et ma tragédie n'est pas moins la disgrâce d'Agrippine, que la mort de Britannicus. « Cette mort fut un coup de foudre << pour elle; et il parut, dit Tacite, par så frayeur et par sa consterna« tion, qu'elle était aussi innocente de cette mort qu'Octavie. Agrippine « perdait en lui sa dernière espérance, et ce crime lui en faisait crain« dre un plus grand : » Sibi supremum auxilium ereptum, et parricidii exemplum intelligebat.

L'âge de Britannicus était si connu, qu'il ne m'a pas été permis de le représenter autrement que comme un jeune prince qui avait beaucoup de cœur, beaucoup d'amour et beaucoup de franchise, qualités ordinaires d'un jeune homme. Il avait quinze ans ; et on dit qu'il avait beaucoup d'esprit, soit qu'on dise vrai, ou que ses malheurs aient fait croire cela de lui, sans qu'il ait pu en donner des marques : Neque segnem ei fuisse indolem ferunt, sive verum, seu periculis commendatus retinuít famam sine experimento.

Il ne faut pas s'étonner s'il n'a auprès de lui qu'un aussi méchant homme que Narcisse; car il y avait longtemps qu'on avait donné ordre qu'il n'y eût auprès de Britannicus que des gens qui n'eussent ni foi ni honneur: Nam ut proximus quisque Britannico neque fas neque Adem pensi haberet, olim provisum erat.

Il me reste à parler de Junie. Il ne la faut pas confondre avec une veeille coquette qui s'appelait JUNIA SILANA. C'est ici une autre Junie que Tacite appelle JUNIA CALVINA, de la famille d'Auguste, sœur de Si. lanus à qui Claudius avait promis Octavie. Cette Junie était jeune et belle, et, comme dit Sénèque, festivissima omnium puellarum. Son frère ct elle s'aimaient tendrement; et leurs ennemis, dit Tacite, les accusèrent tous deux d'inceste, quoiqu'ils ne fussent coupables que d'un peu d'indiscrétion. Elle vécut jusqu'au règne de Vespasien.

Je la fais entrer dans les vestales, quoique, selon Aulu-Gelle, on n'y reçût jamais personne au-dessous de six ans, ni au-dessus de dix. Mais le peuple prend icl Junie sous sa protection; et j'ai cru qu'en considération de sa naissance, de sa vertu et de son malheur, il pouvait la dispenser de l'âge prescrit par les lois, comine il a dispensé de l'âge pour le consulat tant de grands hommes qui avaient mérité ce privilége.

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