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Ou plutôt ils n'ont tous qu'une même pensée;
Ils verraient par ce coup leur puissance abaissée :
Vous seriez libre alors, seigneur; et, devant vous,
Ces maîtres orgueilleux fléchiraient comme nous.
Quoi donc ! ignorez-vous tout ce qu'ils osent dire ?

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Néron, s'ils en sont crus, n'est point né pour l'empire. « Il ne dit, il ne fait que ce qu'on lui prescrit : << Burrhus conduit son cœur, Sénèque son esprit. << Pour toute ambition, pour vertu singulière, « Il excelle à conduire un char dans la carrière; << A disputer des prix indignes de ses mains;

« A se donner lui-même en spectacle aux Romains; « A venir prodiguer sa voix sur un théâtre;

« A réciter des chants qu'il veut qu'on idolâtre;

Tandis que des soldats, de moments en moments,

« Vont arracher pour lui les applaudissements.

Ah! ne voulez-vous pas les forcer à se taire?

NÉRON.

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Viens, Narcisse: allons voir ce que nous devons faire.

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I.

BRITANNICUS, JUNIE.

BRITANNICUS.

Oui, madame, Néron (qui l'aurait pu penser!)
Dans son appartement m'attend pour m'embrasser.
Il y fait de sa cour inviter la jeunesse ;

Il veut que d'un festin la pompe et l'allégresse
Confirment à leurs yeux la foi de nos serments,
Et réchauffent l'ardeur de nos embrassements.
Il éteint cet amour source de tant de haine;
Il vous fait de mon sort arbitre souveraine.
Your moi, quoique banni du rang de mes aïeux,
Quoique de leur dépouille il se pare à mes yeux;
Depuis qu'à mon amour cessant d'être contraire
Il semble me céder la gloire de vous plaire,

Mon cœur, je l'avouerai, lui pardonne en secret,
Et lui laisse le reste avec moins de regret.
Quoi! je ne serai plus séparé de vos charmes!
Quoi! même en ce moment je puis voir sans alarmes
Ces yeux que n'ont émus ni soupirs ni terreur,
Qui m'ont sacrifié l'empire et l'empereur!

Ah madame!... Mais quoi! quelle nouvelle crainte
Tient parmi mes transports votre joie en contrainte?
D'où vient qu'en m'écoutant, vos yeux, vos tristes yeux,
Avec de longs regards se tournent vers les cieux ?
Qu'est-ce que vous craignez?

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Néron m'aimait tantôt, il jurait votre perte;
Il me fuit, il vous cherche : un si grand changement
Peut-il être, seigneur, l'ouvrage d'un moment?

BRITANNICUS.

Cet ouvrage, madame, est un coup d'Agrippine :
Elle a cru que ma perte entraînait sa ruine.
Grâce aux préventions de son esprit jaloux,
Nos plus grands ennemis ont combattu pour nous.
Je m'en fie aux transports qu'elle m'a fait paraître;
Je m'en fie à Burrhus : j'en crois même son maître;
Je crois qu'à mon exemple, impuissant à trahic,
Il hait à cœur ouvert, ou cesse de haïr.

JUNIE.

Seigneur, ne jugez pas de son cœur par le vôtre;
Sur des pas différents vous marchez l'un et l'autre.
Je ne connais Néron et la cour que d'un jour :

Mais, si je l'ose dire, hélas! dans cette cour Combien tout ce qu'on dit est loin de ce qu'on pense! Que la bouche et le cœur sont peu d'intelligence! Avec combien de joie on y trahit sa foi!

Quel séjour étranger et pour vous et pour moi!

BRITANNICUS.

Mais, que son amitié soit véritable ou feinte,

Si vous craignez Néron, lui-même est-il sans crainte?
Non, non, il n'ira point, par un lâche attentat,
Soulever contre lui le peuple et le sénat.

Que dis-je? il reconnaît sa dernière injustice;
Ses remords ont paru, même aux yeux de Narcisse.
Ah! s'il vous avait dit, ma princesse, à quel point...

JUNIE.

Mais Narcisse, seigneur, ne vous trahit-il point?

BRITANNICUS.

Et pourquoi voulez-vous que mon cœur s'en défie?

JUNIE.

Et que sais-je? il y va, seigneur, de votre vie :

Tout m'est suspect : je crains que tout ne soit séduit;
Je crains Néron; je crains le malheur qui me suit.
D'un noir pressentiment malgré moi prévenue,
Je vous laisse à regret éloigner de ma vue.
Hélas! si cette paix dont vous vous repaissez
Couvrait contre vos jours quelques pièges dressés;
Si Néron, irrité de notre intelligence,

Avait choisi la nuit pour cacher sa vengeance;
S'il préparait ses coups tandis que je vous vois;
Et si je vous parlais pour la dernière fois!
Ab prince!

BRITANNICUs.

Vous pleurez! ah ma chère princesse ! Et pour moi jusque-là votre cœur s'intéresse! Quoi! madame, en un jour où, plein de sa grandeur, Néron croit éblouir vos yeux de sa splendeur, Dans des lieux où chacun me fuit et le révère, Aux pompes de sa cour préférer ma misère! Quoi! dans ce même jour et dans ces mêmes lieux Refuser un empire, et pleurer à mes yeux! Mais, madame, arrêtez ces précieuses larmes; Mon retour va bientôt dissiper vos alarmes.

Je ne rendrais suspect par un plus long séjour :
Adieu. Je vais, le cœur tout plein de mon amour,
Au milieu des transports d'une aveugle jeunesse,
Ne voir, n'entretenir que ma belle princesse.
Adieu.

Prince...

JUNIE.

BRITANNICUS.

On m'attend, madame, il faut partir.'

JUNIE.

Mais du moins attendez qu'on vous vienne avertir.

SCÈNE II.

AGRIPPINE, BRITANNICUS, JUNIE.

AGRIPPINE.

Prince, que tardez-vous? Partez en diligence.
Néron impatient se plaint de votre absence.
La joie et le plaisir de tous les conviés
Attend, pour éclater, que vous vous embrassiez.
Ne faites point languir une si juste envie;
Allez. Et nous, madame, allons chez Octavie.

BRITANNICUS.

Allez, belle Junie, et, d'un esprit content,
Hález-vous d'embrasser ma sœur qui vous attend.
Dès que je le pourrai, je reviens sur vos traces,
Madame, et de vos soins j'irai vous rendre grâces.

SCÈNE III.

AGRIPPINE, JUNIE.

AGRIPPINE.

Madame, ou je me trompe, ou durant vos adieux
Quelques pleurs répandus ont obscurci vos yeux.
Puis-je savoir quel trouble a formé ce nuage?
Doutez-vous d'une paix dont je fais mon ouvrage?

JUNIE.

Après tous les ennuis que ce jour m'a coûtés,

Ai-je pu rassurer mes esprits agités?

Hélas! à peine encor je conçois ce miracle.

Quand même à vos bontés je craindrais quelque obstacle,

Le changement, madame, est commun à la cour, Et toujours quelque crainte accompagne l'amour.

AGRIPPINE.

Il suffit, j'ai parlé, tout a changé de face :

Mes soins à vos soupçons ne laissent point de place.
Je réponds d'une paix jurée entre mes mains;
Néron m'en a donné des gages trop certains.
Ah! si vous aviez vu par combien de caresses
Il m'a renouvelé la foi de ses promesses!
Par quels embrassements il vient de m'arrêter!
Ses bras dans nos adieux ne pouvaient me quitter.
Sa facile bonté, sur son front répandue,
Jusqu'aux moindres secrets est d'abord descendue.
Il s'épanchait en fils qui vient en liberté
Dans le sein de sa mère oublier sa fierté.
Mais bientôt reprenant un visage sévère,
Tel que d'un empereur qui consulte sa mère,
Sa confidence auguste a mis entre mes mains
Des secrets d'où dépend le destin des humains.
Non, il le faut ici confesser à sa gloire,
Son cœur n'enferme point une malice noire;
Et nos seuls ennemis, altérant sa bonté,
Abusaient contre nous de sa facilité.

Mais enfin à son tour leur puissance décline;
Rome encore une fois va connaître Agrippine :
Déjà de ma faveur on adore le bruit.

Cependant en ces lieux n'attendons pas la nuit :
Passons chez Octavie, et donnons-lui le reste
D'un jour autant heureux que je l'ai cru funeste.
Mais qu'est-ce que j'entends? quel tumulte confus?
Que peut-on faire?

JUNIE.

O ciel, sauvez Britannicus!

SCÈNE IV.

AGRIPPINE, JUNIE, BURRHUS.

AGRIPPINE.

Burrhus, où courez-vous? arrêtez. Que veut dire...

BURRHUS.

Madame, c'en est fait, Britannicus expire.

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