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"ont donné pour courir une force nouvelle;

, malgré nos malheurs, je me tiens trop heureux avoir paré le coup qui vous perdait tous deux.

MONIME.

h! que, de tant d'horreurs justement étonnée,
e plains de ce grand roi la triste destinée !
élas! et plût aux dieux qu'à son sort inhumain
Hoi-même j'eusse pu ne point prêter la main,
t que, simple témoin du malheur qui l'accable,
e le pusse pleurer sans en être coupable!
vient. Quel nouveau trouble excite en mes esprits
-e sang du père, oh ciel ! et les larmes du fils!

SCÈNE V.

MITHRIDATE, MONIME, XIPHARÈS, ARBATE, ARCAS ; GARDES qui soutiennent Mithridate.

MONIME.

Ah! que vois-je, seigneur, et quel sort est le vôtre !

MITHRIDATE.

Cessez et retenez vos larmes l'un et l'autre ;

(montrant Xipharès.)

Mon sort de sa tendresse et de votre amitié
Veut d'autres sentiments que ceux de la pitié;
Et ma gloire, plutôt digne d'être admirée,
Ne doit point par des pleurs être déshonorée.
J'ai vengé l'univers autant que je l'ai pu :
La mort dans ce projet m'a seule interrompu.
Ennemi des Romains et de la tyrannie,
Je n'ai point de leur joug subi l'ignominie;
Et j'ose me flatter qu'entre les noms fameux
Qu'une pareille haine a signalés contre eux,
Nul ne leur a plus fait acheter la victoire,
Ni de jours malheureux plus rempli leur histoire.
Le ciel n'a pas voulu qu'achevant mon dessein,
Rome en cendre me vit expirer dans son sein:
Mais au moins quelque joie en mourant me console;
J'expire environné d'ennemis que j'immole;
Dans leur sang odieux j'ai pu tremper mes mains;
Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.
A mon fils Xipharès je dois cette fortune;

Il épargne à ma mort leur présence importune.
Que ne puis-je payer ce service important
De tout ce que mon trône eut de plus éclatant!
Mais vous me tenez lieu d'empire, de couronne;
Vous seule me restez: souffrez que je vous donne,
Madame; et tous ces vœux que j'exigeais de vous
Mon cœur pour Xipharès vous les demande tous.

MONIME.

Vivez, seigneur, vivez pour le bonheur du monde,
Et pour sa liberté, qui sur vous seul se fonde;
Vivez pour triompher d'un ennemi vaincu,

Pour venger...

MITHRIDATE.

C'en est fait, madame, et j'ai vécu.
Mon fils, songez à vous: gardez-vous de prétendre
Que de tant d'ennemis vous puissiez vous défendre.
Bientôt tous les Romains, de leur honte irrités,
Viendront ici sur vous fondre de tous côtés.

Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite
A rendre à mon tombeau des soins dont je vous quitte.
Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés,
Suffisent à ma cendre et l'honorent assez.

Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie.

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Moi, seigneur, que je fuie?

Que Pharnace impuni, les Romains triomphants,

N'éprouvent pas bientôt...

MITHRIDATE.

Non, je vous le défends.

Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse :
Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice.

Mais je sens affaiblir ma force et mes esprits.
Je sens que je me meurs... Approchez-vous, mon fils;
Dans cet embrassement dont la douceur me flatte,
Venez, et recevez l'âme de Mithridate.

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Ah madame! unissons nos douleurs, Et par tout l'univers cherchons-lui des vengeurs.

D'IPHIGÉNIE.

n'y a rien de plus célèbre dans les poëtes que le sacrifice d'Iphige : mais ils ne s'accordent pas tous ensemble sur les plus importanparticularités de ce sacrifice. Les uns, comme Eschyle dans AGAMNON, Sophocle dans ÉLECTRE, et, après eux, Lucrèce, Horace, beaucoup d'autres, veulent qu'on ait en effet répandu le sang d'Igénie, fille d'Agamemnon, et qu'elle soit morte en Aulide. Il ne t que lire Lucrèce au commencement de son premier livre :

Aulide quo pacto Triviaï virginis aram
Iphianassaï turparunt sanguine fœde

Ductores Danaum, etc.

Clytemnestre dit dans Eschyle qu'Agamemnon son mari, qui vient xpirer, rencontrera dans les enfers Iphigénie sa fille, qu'il a autres immolée.

D'autres ont feint que Diane ayant eu pitié de cette jeune princesse, vait enlevée et portée dans la Tauride au moment qu'on l'allait safier, et que la déesse avait fait trouver en sa place ou une biche, ou e autre victime de cette nature. Euripide a suivi cette fable, et ide l'a mise au nombre des métamorphoses.

Il y a une troisième opinion, qui n'est pas moins ancienne que les deux tres, sur Iphigénie. Plusieurs auteurs, et entre autres Stésichorus, l'un s plus anciens poëtes lyriques, ont écrit qu'il était bien vrai qu'une ncessc de ce nom avait été sacrifiée, mais que cette Iphigénie était e fille qu'Hélène avait eue de Thésée. Hélène, disent ces auteurs, ne vait osé avouer pour sa fille, parce qu'elle n'osait déclarer à Ménélas 'elle eût été mariée en secret avec Thésée. Pausanias (Corinth. pag. =) rapporte et le témoignage et les noms des poètes qui ont été de ce timent; et il ajoute que c'était la créance commune de tout le pays Argos.

Homère enfin, le père des poëtes, a si peu prétendu qu'Iphigénie, Le d'Agamemnon, eût été ou sacrifiée en Aulide, ou transportée ns la Scythie, que, dans le neuvième livre de l'Iliade, c'est-à-dire ès de dix ans depuis l'arrivée des Grecs devant Troie, Agamemnon t offrir en mariage à Achille sa fille Iphigénie, qu'il a, dit-il, laisséc Mycènes, dans sa maison.

J'ai rapporté tous ces avis si différents, et surtout le passage de usanias, parce que c'est à cet auteur que je dois l'heureux personnage Ériphile, sans lequel je n'aurais jamais osé entreprendre cette tragée. Quelle apparence que j'eusse souillé la scène par le meurtre horrie d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu'il fallait reprénter Iphigénie? Et quelle apparence encore de dénouer ma tragédic ar le secours d'une déesse et d'une machine, et par une métamorLose qui pouvait bien trouver quelque créance du temps d'Euripide, ais qui serait trop absurde et trop incroyable parmi nous ? Je puis dire donc que j'ai été très-heureux de trouver dans les anciens ette autre Iphigénie, que j'ai pu représenter telle qu'il m'a plu, et i, tombant dans le malheur où cette amante jalouse voulait précipiter rivale, mérite en quelque façon d'être punie, sans être pourtant out à fait indigne de compassion. Ainsi le dénouement de la pièce est

tiré du fond même de la pièce. Et il ne faut que l'avoir vu représenter pour comprendre quel plaisir j'ai fait au spectateur, et en sauvant à la fin une princesse vertueuse pour qui il s'est si fort intéressé dans le cours de la tragédie, et en la sauvant par une autre voie que par un miracle, qu'il n'aurait pu souffrir, parce qu'il ne le saurait jamais croire. Le voyage d'Achille à Lesbos, dont ce héros se rend maître, et d'ou il enlève Ériphile avant que de venir en Aulide, n'est pas non plus sans fondement. Euphorion de Chalcide, poéte très-connu parmi les anciens, et dont Virgile (Églog. 10) et Quintilien (Instit. 1. 10) font une mention honorable, parlait de ce voyage de Lesbos. Il disait dans un de ses poémes, au rapport de Parthénius, qu'Achille avait fait la conquête de cette ile avant que de joindre l'armée des Grecs, et qu'il y avait même trouvé une princesse qui s'était éprise d'amour pour lui.

Voilà les principales choses en quoi je me suis un peu éloigné de l'économie et de la fable d'Euripide. Pour ce qui regarde les passions, je me suis attaché à le suivre plus exactement. J'avoue que je lui dois un bon nombre des endroits qui ont été le plus approuvés dans ma tragédie; et je l'avoue d'autant plus volontiers, que ces approbation m'ont confirmé dans l'estime et dans la vénération que j'ai toujours cues pour les ouvrages qui nous restent de l'antiquité. J'ai reconnu avec plaisir, par l'effet qu'a produit sur notre théâtre tout ce que j'ai imité ou d'Homère ou d'Euripide, que le bon sens et la raison étaient les mêmes dans tous les siècles. Le goût de Paris s'est trouvé conforme à celui d'Athè nes: mes spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce, et qui ont fait dire qu'entre les poètes Euripide était extrêmement tragique, TRAGICÔTATOS, c'està-dire qu'il savait merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie.

Je m'étonne après cela que les modernes aient témoigné depuis peu tant de dégoût pour ce grand poëte, dans le jugement qu'ils ont fait de son ALCESTE. Il ne s'agit point ici de l'ALCESTE; mais en vérité j'ai trop d'obligation à Euripide pour ne pas prendre quelque soin de sa mémoire, et pour laisser échapper l'occasion de le réconcilier avec ces messieurs. Je m'assure qu'il n'est si mal dans leur esprit que parce qu'ils n'ont pas bien lu l'ouvrage sur lequel ils l'ont condamné. J'ai choisi la plus importante de leurs objections, pour leur montrer que j'ai raison de parler ainsi. je dis la plus importante de leurs objections; car ils la répètent à chaque page, et ils ne soupçonnent pas seulement que l'on y puisse répliquer.

Il y a dans l'ALCESTE d'Euripide une scène merveilleuse, où Alceste qui se meurt, et qui ne peut plus se soutenir, dit à son mari les derniers adieux. Admète, tout en larmes, la prie de reprendre ses forces, et de ne se point abandonner elle-même. Alceste, qui a l'image de la mort devant les yeux, lui parle ainsi :

Je vois déjà la rame et la barque fatale;

J'entends le vieux nocher sur la rive infernale :
Impatient, il crie, On t'attend ici-bas,

Tout est prêt, descends, viens, ne me retarde pas.

J'aurais souhaité de pouvoir exprimer dans ces vers les grâces qu'll ont dans l'original mais au moins en voilà le sens. Voici comme ces messieurs les ont entendus. Il leur est tombé entre les mains une mal heureuse édition d'Euripide, où l'imprimeur a oublié de mettre dans

in, à côté de ces vers, un AL. qui signifie que c'est Alceste qui ; et, à côté des vers suivants, un AD. qui signifie que c'est ète qui répond. Là-dessus il leur est venu dans l'esprit la plus ge pensée du monde : ils ont mis dans la bouche d'Admète les les qu'Alceste dit à Admète, et celles qu'elle se fait dire par CaAinsi ils supposent qu'Admète, quoiqu'il soit en parfaite santé, e voir déjà Caron qui le vient prendre: et, au lieu que, dans assage d'Euripide, Caron impatient presse Alceste de le venir ver; selon ces messieurs, c'est Admète effrayé qui est l'impatient, i presse Alceste d'expirer, de peur que Caron ne le prenne. «< I] khorte (ce sont leurs termes) à avoir courage, à ne pas faire une cheté, et à mourir de bonne grâce; il interrompt les adieux d'Alceste ur lui dire de se dépêcher de mourir. » Peu s'en faut, à les enten, qu'il ne la fasse mourir lui-même.

è sentiment leur a paru fort vilain. Et ils ont raison : il n'y a perne qui n'en fût très-scandalisé. Mais comment l'ont-ils pu attribuer uripide? En vérité, quand toutes les autres éditions où cet AL. n'a ît été oublié ne donneraient pas un démenti au malheureux impriir qui les a trompés, la suite de ces quatre vers, et tous les discours Admète tient dans la même scène, étaient plus que suffisants pour les pêcher de tomber dans une errcur si déraisonnable. Car Admète, n éloigné de presser Alceste de mourir, s'écrie «que toutes les morts nsemble lui seraient moins cruelles que de la voir dans l'état où il a voit: il la conjure de l'entraîner avec elle; il ne peut plus vivre i elle meurt: il vit en elle; il ne respire que pour ellc. »

Is ne sont pas plus heureux dans les autres objections. Ils disent, r exemple, qu'Euripide a fait deux époux surannés d'Admète et d'Alste; que l'un est un vieux mari, et l'autre une princesse déjà sur l'âge ripide a pris soin de leur répondre en un seul vers, où il fait dire par chœur qu'Alceste toute jeune, et dans la première fleur de son âge, pire pour son jeune époux.

Ils reprochent encore à Alceste qu'elle a deux grands enfants à marier. :mment n'ont-ils point lu le contraire en cent autres endroits, et surut dans ce beau récit où l'on dépeint Alceste mourante au milieu de es deux petits enfants qui la tirent, en pleurant, par la robe, et qu'elle rend sur ses bras l'un après l'autre pour les baiser?

Tout le reste de leurs critiques est à peu près de la force de celles-ci. ais je crois qu'en voilà assez pour la défense de mon auteur. Je conPille à ces messieurs de ne plus décider si légèrement sur les ouvrages es anciens. Un homme tel qu'Euripide méritait au moins qu'ils l'examiassent, puisqu'ils avaient envie de le condamner. Ils devaient se souveir de ces sages paroles de Quintilien : « Il faut être extrêmement circons→ pect et très-retenu à prononcer sur les ouvrages de ces grands hommes, de peur qu'il ne nous arrive, comme à plusieurs, de condamner ce que nous n'entendons pas. Et, s'il faut tomber dans quelques excès, encore vaut-il mieux pécher en admirant tout dans leurs écrits, qu'en y blamant beaucoup de choses (1). »

(1) Modeste tamen et circumspecto judicio de tantis viris pronunciandum est, ne, quod plerisque accidit, damnent quæ non intelligunt. Ac si necesse est in alteram errare partem, omnia corum legentibus placere, quam multa displicere, maluerim.

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