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la cour: mais le public, qui jugeoit la pièce en elle-même, et dans l'opinion duquel ces applications, bonnes ou mauvaises, ne pouvoient ajouter à l'ouvrage ni une beauté ni un défaut, ne lui fut pas aussi favorable qu'on l'avoit été à Versailles, et l'on convient généralement aujourd'hui que le public eut raison.

Deux ans après, Racine, flatté d'avoir réussi dans un genre dont il étoit l'inventeur, et qui peut-être avoit senti renaître en lui le desir si naturel et si utile de la gloire, traita dans les mêmes vues le sujet d'ATHALIE. Mais le long silence qu'il s'étoit imposé, et qui auroit dû lui faire pardonner sa réputation, n'avoit pu encore désarmer l'envie : tous les ressorts les plus actifs, et dont l'effet est le plus sûr lorsqu'on veut nuire, furent mis en mouvement; et l'on par- vint enfin à jeter dans l'esprit de madame de y Maintenon des scrupules qui firent supprimer les spectacles de Saint-Cyr; et ATHALIE n'y fut point représentée. Racine la fit imprimeren 1691; mais elle trouva peu de lecteurs. On se persuada Xqu'une pièce faite pour des enfants n'étoit bonne que pour eux; et les gens du monde, qui crai

gnent l'ennui autant que la douleur, et qui, moins par défaut de lumières que d'application, n'ont guère en général d'autres sentiments que ceux qu'on leur inspire, suivirent le torrent, et continuèrent à dépriser ATHALIE sans l'avoir lue.

Racine, étonné que le public reçût avec cette indifférence un ouvrage qui auroit suffi pour l'immortaliser, s'imagina qu'il avoit manqué son sujet ; et il l'avouoit sincèrement à Boileau, qui lui soutenoit au contraire qu'ATHALIE étoit son chef-d'œuvre : « Je m'y connois, lui disoit-il, et le public y reviendra. » La prédiction de Boileau s'est accomplie, mais si long-temps après la mort de Racine, que ce grand homme n'a pu, ni jouir du succès de sa pièce, ni même le prévoir.

Cette nouvelle injustice du public, qui venoit de commettre un second crime envers la poésie et le bon goût, détermina enfin Racine à ne plus s'occuper de vers, et à renoncer pour jamais au théâtre. Il étoit né très sensible; et cette extrême mobilité d'ame, qui donnoit à la fortune et aux évènements tant de moyens di

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vers de le fourmenter et de le rendre malheureux, devint en effet pour lui une source de peines. « Quoique les applaudissements que j'ai reçus, disoit-il, m'aient beaucoup flatté, la moindre critique, quelque mauvaise qu'elle ait été, m'a toujours causé plus de chagrin que toutes les louanges ne m'ont fait de plaisir.» Un homme du génie le plus fécond, le plus original et le plus universel qu'il y ait jamais eu, et qui a d'ailleurs beaucoup d'autres rapports avec Racine, auroit pu faire le même aveu.

La sensibilité de Racine se portoit sur tous les objets; elle abrégea même ses jours. Il avoit fait, dans les vues de madame de Maintenon, et pour répondre à la confiance qu'elle lui témoignoit, un projet de finances dont l'objet étoit de proposer un plan de réforme et de législation qui pût soulager la misère du peuple. Louis XIV surprit ce projet entre les mains de madame de Maintenon, et blåma hautement le zèle inconsidéré de Racine. « Parcequ'il sait faire parfaitement des vers, dit le roi, croit-il tout savoir? et parcequ'il est grand poëte, veut-il être ministre? » Racine auroit mieux fait sans doute, pour

b.

sa gloire et pour son repos, de donner au public une bonne tragédie de plus, que de s'occuper à écrire des lieux communs plus ou moins éloquents sur des matières qu'il n'avoit pas étudiées, et sur lesquelles, avec beaucoup de connoissances et une longue expérience, il est si facile et si ordinaire de se tromper. Mais la vanité lui fit un moment illusion : son amour-propre fut flatté que madame de Maintenon l'eût choisi pour porter la vérité, ou ce qu'il prenoit pour elle, aux pieds du trône; et l'espoir si séduisant et doux de devenir l'instrument du bonheur du peuple, après avoir été si long-temps celui de ses plaisirs, lui ferma les yeux sur les dangers de sa complaisance.

Cependant madame de Maintenon lui fit dire de ne pas paroître à la cour jusqu'à nouvel ordre. Dès ce moment Racine ne douta plus de sa disgrace. Accablé de mélancolie, et portant partout le trait mortel dont il étoit atteint, il retourna quelque temps après à Versailles : mais tout étoit changé pour lui, ou du moins il le crut ainsi; et Louis XIV un jour ayant passé dans la galerie sans le regarder, Racine, qui

pas,

I

n'étoit dit Voltaire, aussi philosophe que bon poëte, en mourut de chagrin après avoir traîné pendant un an une vie languissante et pénible.

On ne peut assez regretter que Racine, trop indifférent pour ses tragédics profanes, qu'il auroit même voulu pouvoir anéantir, s'il en faut croire son fils, ait toujours négligé de donner une édition correcte de ses œuvres. Toutes celles qui ont paru de son vivant et depuis sa mort sont si fautives, et le texte en est si corrompu, que je ne connois aucun ouvrage qui ait plus souffert de l'incapacité des éditeurs et de la négligence des imprimeurs. L'édition publiée avec des commentaires est plus belle, mais non plus exacte que les précédentes; et l'on doit sur-tout reprocher aux éditeurs de n'avoir porté dans T'examen et le choix des diverses leçons, critique assez éclairée, ni un goût assez sévère. A l'égard de leurs notes, il me semble qu'à l'ex'ception des remarques de Louis Racine et de l'abbé d'Olivet, dont ils ont profité, mais qu'ils

Le 21 avril 1699.

ni une

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