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Que, lassé d'un respect qui vous gênoit peut-être, Vous avez affecté de ne me plus connoître.

J'ai vu Burrhus, Sénéque, aigrissant vos soupçons,
De l'infidélité vous tracer des leçons,

Ravis d'être vaincus dans leur propre science.
J'ai vu favorisés de votre confiance
Othon, Sénécion, jeunes voluptueux,
Et de tous vos plaisirs flatteurs respectueux
Et lorsque, vos mépris excitant mes murmures
Je vous ai demandé raison de tant d'injures,
(Seul recours d'un ingrat qui se voit confondu)
Par de nouveaux affronts vous m'avez répondu
Aujourd'hui je promets Junie à votre frère;
Ils se flattent tous deux du choix de votre mère.
Que faites-vous? Junie, enlevée à la cour,
Devient en une nuit l'objet de votre amour :
Je vois de votre cœur Octavie effacée
Prête à sortir du lit où je l'avois placée :
Je vois Pallas banni, votre frère arrêté :
Vous attentez enfin jusqu'à ma liberté ;
Burrhus ose sur moi porter ses mains hardies.
Et lorsque convaincu de tant de perfidies,
Vous deviez ne me voir que pour les expier,
C'est vous qui m'ordonnez de me justifier.
NÉRON.

Je me souviens-toujours que je vous dois l'empire;
Et sans vous fatiguer du soin de le redire,
Votre bonté, madame, avec tranquillité
Pouvoit se reposer sur ma fidélité.

Aussi-bien ces soupçons, ces plaintes assidues,

Ont fait croire à tous ceux qui les ont entendues
Que jadis, j'ose ici vous le dire entre nous,

Vous n'aviez sous mon nom travaillé que pour vous Tant d'honneurs, disoient-ils, et tant de déférences, Sont-ce de ses bienfaits de foibles récompenses?

"

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Quel crime a donc commis ce fils tant condamné?

« Est-ce pour obéir qu'elle l'a couronné?

"

N'est-il de son pouvoir que le dépositaire ? »

Non que, si jusque-là j'avois pu vous complaire,
Je n'eusse pris plaisir, madame, à vous céder
Ce pouvoir que vos cris sembloient redemander:
Mais Rome veut un maître, et non une maîtresse.
Vous entendiez les bruits qu'excitoit ma foiblesse :
Le sénat chaque jour et le peuple, irrités
De s'ouïr par ma voix dicter vos volontés,
Publioient qu'en mourant Claude avec sa puissance
M'avoit encor laissé sa simple obéissance.
Vous avez vu cent fois nos soldats en courroux
Porter en murmurant leurs aigles devant vous;
Honteux de rabaisser par cet indigne usage
Les héros dont encore elles portent l'image.
Toute autre se seroit rendue à leurs discours :
Mais, si vous ne régnez, vous vous plaignez toujours.
Avec Britannicus contre moi réunie,

Vous le fortifiez du parti de Junie ;

Et la main de Pallas trame tous ces complots.
Et, lorsque malgré moi j'assure mon repos,
On vous voit de colère et de haine animée :
Vous voulez présenter mon rival à l'armée;
Déja jusques au camp le bruit en a couru.

AGRIPPINE.

Moi! le faire empereur ! Ingrat! l'avez-vous cru?
Quel seroit mon dessein? qu'aurois-je pu prétendre?
Quels honneurs dans sa cour, quel rang pourrois-je attendre?
Ah! si sous votre empire on ne m'épargne pas,
Si mes accusateurs observent tous mes pas,
Si de leur empereur ils poursuivent la mère,
Que ferois-je au milieu d'une cour étrangère?
Ils me reprocheroient, non des cris impuissants,
Des desseins étouffés aussitôt que naissants,
Mais des crimes pour vous commis à votre vue,
Et dont je ne serois que trop tôt convaincue.
Vous ne me trompez point, je vois tous vos détours:
Vous êtes un ingrat, vous le fûtes toujours.

X

Dès vos plus jeunes ans mes soins et mes tendresses

N'ont arraché de vous que de feintes caresses.

Rien ne vous a pu vaincre ; et votre dureté
Auroit dû dans son cours arrêter ma bonté.

Que je suis malheureuse! Et par quelle infortune
Faut-il que tous mes soins me rendent importune!
Je n'ai qu'un fils: ô ciel, qui m'entends aujourd'hui,
T'ai-je fait quelques vœux qui ne fussent pour lui?
Remords, crainte, périls, rien ne m'a retenue.
J'ai vaincu ses mépris ; j'ai détourné ma vue
Des malheurs qui dès-lors me furent annoncés ;
J'ai fait ce que j'ai pu : vous régnez, c'est assez.
Avec ma liberté, que vous m'avez ravie,
Si vous le souhaitez, prenez encor ma vie,
Pourvu que par ma mort tout le peuple irrité
Ne vous ravisse pas ce qui m'a tant coûté.

NÉRON.

Hé bien donc, prononcez. Que voulez-vous qu'on fasse?

AGRIPPINE.

De mes accusateurs qu'on punisse l'audace;
Que de Britannicus on calme le courroux ;

Que Junie à son choix puisse prendre un époux;
Qu'ils soient libres tous deux ; et que Pallas demeure ;
Que vous me permettiez de vous voir à toute heure ;
(apercevant Burrhus dans le fond du théâtre.)
Que ce même Burrhus, qui nous vient écouter,
A votre porte enfin n'ose plus m'arrêter.

NÉRON.

Oui, madame, je veux que ma reconnoissance
X Désormais dans les cœurs grave votre puissance;
Et je bénis déja cette heureuse froideur

Qui de notre amitié va rallumer l'ardeur.
Quoi que Pallas ait fait, il suffit, je l'oublie :
Avec Britannicus je me réconcilie ;

Et, quant à cet amour qui nous a séparés,
Je vous fais notre arbitre, et vous nous jugerez.
Allez donc, et portez cette joie à mon frère.
Gardes, qu'on obéisse aux ordres de ma mère.

SCÈNE III.

NÉRON, BURRHUS,

BURRHUS.

Que cette paix, seigneur, et ces embrassements
Vont offrir à mes yeux de spectacles charmants!

Vous savez si jamais ma voix lui fut contraire,
Si de son amitié j'ai voulu vous distraire,
Et si j'ai mérité cet injuste courroux.
NÉRON.

Je ne vous flatte point, je me plaignois de vous,
Burrhus ; je vous ai crus tous deux d'intelligence :
Mais son inimitié vous rend ma confiance.

Elle se hâte trop, Burrhus, de triompher:
J'embrasse mon rival, mais c'est

pour

l'étouffer.

Quoi, seigneur !

BURRHUS.

NÉRON.

C'en est trop ; il faut que sa ruine

Me délivre à jamais des fureurs d'Agrippine:
Tant qu'il respirera, je ne vis qu'à demi.
Elle m'a fatigué de ce nom ennemi;

Et je ne prétends pas que sa coupable audace
Une seconde fois lui promette ma place.

BURRHUS.

Elle va donc bientôt pleurer Britannicus?
NÉRON.

Avant la fin du jour je ne le craindrai plus.

BURRHUS.

Et qui de ce dessein vous inspire l'envie?

NÉRON.

X Ma gloire, mon ainour, ma sûreté, ma vie.

BURRHUS.

Non, quoi que vous disiez, cet horrible dessein
Ne fut jamais, seigneur, conçu dans votre sein.

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