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amende pécuniaire. Ils agissaient ainsi envers ceux qui donnaient des marques de repentir et qui consentaient à se croiser pour aller servir outre-mer.

La sévérité que les Inquisiteurs déployèrent dans leur mission aigrit au plus haut point les esprits. Le peuple se souleva contr'eux en plusieurs endroits trois Frères-Prêcheurs envoyés à Cordes, en 1203, pour rechercher les hérétiques, y furent massacrés et jetés dans un puits. A Albi, Arnaud Catalan et Guillaume Pelisse, religieux du même ordre, qui y exerçaient l'inquisition, faillirent éprouver le même sort. D. Vaissete rend compte de quelques circonstances de cet événement. Il sera bon de reproduire en entier le récit de ces troubles, inséré dans un ancien manuscrit (1), ouvrage d'un Frère-Prêcheur contemporain.

Les habitants d'Albi se plaignaient surtout de leur Évêque, Bernard de Castanet, qu'ils accusaient d'avoir, de concert avec les Inquisiteurs, condamné comme hérétiques plusieurs citoyens bons catholiques. Ces plaintes parvinrent aux oreilles du Roi qui, en 1302, donna l'ordre, par lettres-patentes (2), à Richard, neveu, et à Jean de Pinquigni, réformateurs en Languedoc, de se saisir de la juri— diction temporelle de l'Évêque. Ces commissaires arrivèrent à Albi et le drapeau du Roi fut immédiatement arboré sur la forteresse que Bernard de Castanet venait de faire construire à côté de son palais (3).

Forts de l'appui que leur prêtaient les Commissaires du Roi, les habitants insultèrent plusieurs fois les Inquisiteurs et l'Évêque luimême. Ce prélat se rendit à Toulouse pour demander justice, et à son retour, il fut outragé par le peuple qui s'était rendu à l'entrée de la ville, en criant: mort au traître. Ce prélat supporta patiemment ces injures, défendit à ses gens, en cas qu'on voulut lui faire violence, de la repousser par la force, et il arriva dans son palais entouré, dit la chronique, de tous ses damoiseaux. Il sera rendu compte, à l'article des Frères-Prêcheurs, des insultes faites, à cette occasion, aux religieux de cet ordre.

(1) Documents No 60. (2) Documents No 61. (3) Documents No 62.

On trouve aux archives de la mairie un acte plein de détails curieux au sujet des informations recueillies, par ordre de Clément V, sur les plaintes portées contre les Inquisiteurs et l'Évêque d'Albi. Le Pape donna commission à deux Cardinaux, qui devaient passer à Carcassonne, à Albi et à Cordes, de procéder sur les lieux à une enquête régulière pour découvrir la vérité. Les légats du S. Père visitèrent eux-mêmes les prisons, interrogèrent les détenus sur la manière dont ils étaient traités et prescrivirent diverses mesures pour améliorer leur position. A Carcassonne, quarante-un hérétiques dont les noms sont inscrits dans l'acte, furent conduits devant eux, exténués ou infirmes; ils pouvaient à peine articuler quelques paroles contre la dureté de leurs geoliers.

A Albi, le Légat du Pape descendit dans les cachots destinés aux hérétiques et placés au-dessous des prisons de l'évêché; il y trouva des malheureux couverts de chaînes, et dont quelques-uns n'étaient encore que soupçonnés d'hérésie. Condamnés et prévenus gisaient dans des cellules étroites, obscures et malsaines où ils devaient finir leurs jours. Le cardinal Pierre, du titre de St.-Vital, ordonna aussitôt que les détenus fussent délivrés de leurs chaînes, les prisons assainies et agrandies, nomma de nouveaux geoliers auxquels il fit prêter serment de remplir leur devoir avec humanité, et ne quitta Albi qu'après avoir pris toutes les mesures pour l'exécution de la bulle du Pape, qui défendait d'enfermer les prévenus d'hérésie dans des cachots, de leur faire subir la torture et de les juger en l'absence de l'évêque diocésain ou de son délégué. Bernard de Castanet, retenu par des infirmités hors de son diocèse, ne put assister à l'enquête.

Cette pièce, sous la date de 1306, revêtue du sceau des Cardinaux, est complète et bien conservée (1).

Peu de temps après, une sentence d'excommunication fut lancée contre les habitants d'Albi, au sujet des excès qu'ils avaient commis contre l'Évêque Bernard de Castanet, les Inquisiteurs et les Frères-Prêcheurs. Un bref du Pape Jean XXI vint lever cet interdit. (1) Documents et pièces justificatives N 63.

Bernard de Fargis, évêque, le fit publier dans cette ville, le 2 mars 1319, avec invitation aux consuls et aux habitants de se rendre le même jour au cimetière de Ste.-Cécile. Un sermon fut prononcé par Déodatus, premier évêque de Castres, et après la cérémonie religieuse, les consuls, au nom des habitants, demandèrent, par requête écrite, le pardon des mauvais traitements qu'ils avaient exercés tant contre feu Bernard de Castanet que contre les Inquisiteurs, se soumettant d'ailleurs à la pénitence qu'il plairait à l'Évêque et à l'Inquisiteur de la foi de leur infliger.

Sur la demande des consuls, Bernard de Fargis ordonna qu'il serait dressé acte de leur soumission. Il leur imposa en même-temps pour pénitence de faire bâtir une chapelle expiatoire dans le cimetière de Ste.-Cécile, de payer les frais de construction d'un portail pour l'église des Frères-Prêcheurs, une amende de 50 francs applicables aux travaux à exécuter à l'église des Carmes et de placer deux tombeaux aux lieux où reposaient les cendres de deux FrèresPrêcheurs. Les habitants les plus coupables furent condamnés en outre à faire de longs pélérinages. Les archives de la mairie ont fourni quelques pièces relatives à cet objet (1). D'après D. Vaissete, une cérémonie semblable eût lieu à Cordes, en 1321, en présence des Inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne et du vicaire-général de Bernard de Fargis.

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Tous les documents découverts sur la croisade contre les Albigeois et sur les Inquisiteurs seront publiés, avec ceux déjà mentionnés, après les notices concernant la ville d'Albi. Quelques actes importants, dont il n'a été cité que des extraits dans l'histoire de Languedoc, seront reproduits en entier.

LES PASTOUREAUX A ALBI.

En 1320, on vit se former tout à coup en France, comme au temps de St.-Louis, des bandes composées d'hommes, de femmes et d'enfants qui se faisaient appeler les Pastoureaux, los Pastorels; ils

(1) Pièces justificatives Nos 64 et 65.

annonçaient qu'ils voulaient passer outre-mer pour recouvrer la Terre-Sainte, et ils allaient de ville en ville, armés, marchant sous l'étendard de la Croix et sollicitant des secours pour l'exécution de leur projet. Ils entraînèrent beaucoup de gens simples; des malfaiteurs et des vagabonds vinrent aussi grossir leur troupe. Trompé par des apparences de piété et de courage, le peuple les accueillait partout avec faveur et leur donnait de l'argent et des vivres. Les Pastoureaux demandèrent d'abord, puis ils prirent, dit M. Michelet, et ils ne tardèrent pas à se livrer à une infinité de désordres. Ils égorgèrent les Juifs qui refusaient de se faire baptiser et s'emparèrent de leurs trésors. Dans leurs courses vagabondes les églises même ne furent pas épargnées.

Ce fut vers la fête de St.-Jean de la même année, que deux ou trois cents Pastoureaux arrivèrent à Albi et y entrèrent à plusieurs reprises sans éprouver de résistance. Les habitants de cette ville, les regardant comme des hommes choisis par la providence pour faire la conquête de la Terre-Sainte, les reçurent avec joie et leur fournirent tout ce qui pouvait être nécessaire à leur subsistance et à leur entretien. Les Juifs qui résidaient à Albi n'ayant pu obtenir, même à prix d'argent, d'être mis sous la sauvegarde de l'Évêque, prirent la fuite à leur approche. Leurs maisons furent pillées et les objets précieux qu'elles renfermaient, tels que vases, ornements d'or et d'argent, pierreries, bijoux et divers meubles, furent emportés ou vendus à l'encan, sur la place publique.

Les consuls, témoins des excès des Pastoureaux, voulurent porter remède au mal et sommèrent les officiers du Roi et de l'Evêque de faire prendre les armes pour les repousser. L'ordre fut bientôt rétabli à Albi, mais l'exemple qu'avaient donné ses habitants fut imité par les petites villes des environs où eurent lieu aussi de grands désordres.

Pierre de Thilbert, nommé par le roi Charles IV pour informer dans les sénéchaussées de Toulouse, de Périgord et de Carcassonne, sur le meurtre des Juifs, le pillage de leurs biens et les autres excès commis par les Pastoureaux ou par les habitants des villes qui les

avaient favorisés, se rendit à Albi, le 10 novembre 1324, et procéda le même jour à une enquête en présence des consuls. Cette pièce qui contient les accusations du commissaire du roi et les réponses des magistrats municipaux, sera publiée en entier (1). Elle prouve que si les habitants d'Albi avaient été favorables aux Pastoureaux, c'est parce qu'ils avaient cru de bonne foi ne pas devoir s'opposer à leur dessein, en vénération du Crucifix dont ils disaient avoir embrassé la cause. Ces informations sont consignées dans un procès-verbal conservé à la mairie d'Albi; elles constatent également que les Pastoureaux avaient tué des Juifs à Gaillac et à Rabastens.

Ces étranges émigrations, qui annoncent à la fois l'enthousiasme et la misère de cette époque, furent comprimées par Aymeric de Cros, sénéchal de Carcassonne, qui ayant réuni des troupes se saisit d'un grand nombre des Pastoureaux et en fit pendre une partie. Le reste fut entièrement dissipé.

Les Juifs étaient alors l'objet des plus violentes attaques. Dans une supplique au Roi, les habitants de la sénéchaussée de Carcassonne les accusent de rapines, d'immoralité et de vivre d'intelligence avec les lépreux. Ils signalent ceux-ci comme des semeurs de peste. << Ils répandent des poisons, des drogues pestilentielles, ils ont recours aux sortiléges pour nous infecter de leur mal. Il est urgent que des mesures soint prises pour arrêter les progrès de la contagion et que des établissements éloignés des villes et bien fermés soient construits sans retard pour recevoir, dans des cellules séparées, les lépreux des deux sexes (2). »

Deux léproseries ou maladreries existaient à Albi: celle de St.-Jean du Castelviel, dont il a été déjà fait mention; une autre plus ancienne, désignée d'abord sous le nom de maladrerie du Vigan (3) et ensuite de St.-Martin. Les lépreux payaient journellement les frais de leur entretien; il en était rendu compte aux Consuls.

Leur séquestration de la société ressemblait à un office de morts (4). (1) Pièces justificatives No 66. (2) Pièces justificatives No 67.

(3) Dans les actes des 12o et 13° siècles le Vigan est désigné par les noms de Vicus et Vicanus, Bourg, Village.

(4) M. Michelet, histoire de France.

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