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Il semble, d'après ces deux pièces, que l'avance faite vient de Santangel, et c'est ainsi qu'en ont jugé plusieurs critiques (206); mais nous possédons un autre document relatif à cette affaire qui la présente sous un jour différent. C'est un extrait d'un livre de comptes de la Sainte-Hermandad portant que, de 1491 à 1493, il a été versé à Luis de Santangel et à Francisco Pinelo, trésoriers de cette organisation tresoreros de la Hermandad, -1.140.000 maravédis « que vous avez donnés, par notre ordre, à l'évêque « d'Avila, aujourd'hui archevêque de Grenade, pour expé<< dier l'amiral D. Christophe Colomb » (207).

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D'après cette dernière pièce, ce ne serait pas Santangel seul, mais lui et Pinelo qui auraient fait l'avance de la somme en question, et, comme on la leur rembourse en leur qualité de trésoriers de la Hermandad, on peut inférer de là que c'est de la caisse de cette célèbre institution que vint l'argent. Santangel n'aurait fait dans ce cas que prendre la responsabilité de faire le prêt (208).

mes mentionnées dans cette pièce donnent, additionnées, un total qui oblige à lire 1.140.000.

(206) Harrisse, Kayserling, Thacher. Cette opinion est basée sur ce que rapportent Fernand Colomb et Las Casas. Ce dernier fait dire à Santangel: prestando el cuento de mi casa. (Vol. I, p. 248.)

(207) Vos fueron recibidos é pagados en cuenta un cuento é ciento é cuarenta mil maravedis que distes por nuestro mandado al Obispo de Avila, que agora es Arzobispo de Granada, para el despacho del Almirante D. Cristobal Colon. (NAVARRETE, Vol. II, n· 11, p. 5.)

Il convient de noter ici que ce Francisco Pinelo, qui est désigné dans ce document comme étant, avec Santangel, trésorier de la Hermandad, était, au rapport de Zuñiga, un Génois, qui entretenait avec Colomb et avec son fils Diego des rapports d'amitié. Colomb en parle dans deux de ses lettres à Diego, l'une du 1er décembre 150i, l'autre du 3 du même mois. Voyez sur ce personnage l'Illustrazione de Lollis au document L. SCRITTI, Vol. II.

(208) La Santa Hermandad. Sainte Fraternité, était une sorte de gendarmerie rurale créée pour assurer la sécurité des routes qui étaient alors livrées aux brigands et aux malandrins de tout genre. Elle avait des droits de police et de juridiction étendus, et levait des contributions qui lui laissaient la disposition de sommes importantes. Voyez sur cette curieuse organisation PRESCOTT, Ferdinand and Isabella, Vol. I, pp. 176-181.

Selon une autre version, dont l'historien aragonais Argensola s'est fait l'écho, ce serait le trésor du royaume d'Aragon qui aurait fourni la somme et le rôle de Santangel, qui était trésorier, chancelier ou contrôleur de ce royaume escribano de raciones se serait borné à faire cette avance sur l'ordre du roi Ferdinand (209). Cette version, qui a été acceptée par Washington Irving (210) et par d'autres (211) ne provient, comme on le voit, d'aucune source authentique. Le seul auteur qui la connaisse écrivait près d'un siècle et demi après l'événement, et le seul document qu'il cite à l'appui de son assertion, document resté introuvable, est contredit par d'autres pièces dont l'authenticité est incontestable.

En fait, la seule raison qu'il y ait de supposer que l'argent provenait des caisses de l'Aragon, c'est que Santangel occupait un emploi dans l'administration financière de ce royaume qui lui permettait, avec le consentement du roi, d'en faire l'avance sur les fonds de l'Etat. Mais on a vu que ce personnage remplissait aussi d'autres fonctions qui lui donnaient les mêmes facilités, et, en l'absence de toute pièce authentique infirmant celles que nous possédons, on doit plutôt croire que c'est la caisse de la

(209) Cet auteur cite une pièce que M. Harrisse a fait vainement chercher dans les Archives d'Aragon, et qui ne serait pas concluante, d'ailleurs, car il y est simplement dit que Luis de Santangel, escrivano de raciones de Aragon, préta 17.000 florins pour équiper la flotte: y para el gasto de la Armada. (ARGENSOLA, Primera Parte de los Anales de Aragon, 1630, Vol. I, p. 100.) (210) The funds really came from the coffers of Aragon. (Wash. Irving, Hist. of the Life of Columbus, Vol. I. p. 163.)

(211) Parmi ceux-là il faut nommer le célèbre historien américain PRESCOTT (op. cit., Vol. II, p. 127); l'érudit auteur de plusieurs ouvrages remarquables sur l'Espagne, Martin A. S. HUME, note 3, p. 113, Vol. II, à son édition de la History of Spain de BURKE, et l'élégant historien moderne de la Catalogne, Victor BALLAGUER, qui a repris cette thèse dans sa conférence Castilla y Aragon.. Roselly de LORGUES a aussi exprimé cette opinion (Christophe Colomb, Vol. I, p. 213), ainsi que IBARRA, D. Fernando el Catolico, ch. VII, pp. 159 et sq.

Sainte-Hermandad qui a fait les fonds de cette avance. Quelle que soit la source à laquelle Santangel puisa pour trouver la somme qu'il avait promise à la reine, et qu'il ait fait cette avance à l'insu du roi, ou, comme nous le croyons, avec son assentiment, il n'est pas douteux que c'est la promesse de cette avance qui rendit possible l'acceptation du projet de Colomb. Il est difficile de croire, cependant, qu'en donnant cet argent Santangel ait été mù par les sentiments désintéressés que lui prête Las Casas et que ce soit l'amitié qu'il avait pour Colomb, ou la crainte patriotique de voir porter ailleurs le projet, qui l'ait déterminé. Comme le remarque M. Sepulveda, ce juif, converti par force, qui avait vu nombre de membres de sa famille périr au milieu de supplices barbares, et qui avait subi lui-même de pénibles humiliations, motivées uniquement par sa race et par ses croyances religieuses, ne pouvait ressentir un bien grand amour pour le pays qui l'avait traité d'une manière si cruelle et qui le tenait encore en suspicion. Il est donc à croire que le patriotisme resta étranger à ce prêt, qui dut être pour lui une affaire de banquier, sinon d'usurier (212).

VI.

Le huitième des frais fourni par Colomb.

Le million avancé par Santangel ne formant que la moitié de la somme nécessaire à Colomb, il reste à savoir comment fut obtenu le second million. On a vu que, d'après Colomb, ce serait lui qui l'aurait donné. Évidemment, il faut entendre par là, non qu'il donna lui-même la somme,

(212) Remarquons, à l'appui de cette observation, que Santangel, qui n'avait prêté qu'un million, reçoit en remboursement un million cent quarante mille maravėdis, sans que rien n'explique cette augmentation de la somme prêtée originairement. Cf. MIR, p. 40; DURO, Pinzon, p. 40; et THACHER, I, p. 313, note. Il faut noter encore que cette somme entière de 1.140.000 maravédis paraît être entrée dans la caisse de la Sainte-Hermandad.

mais qu'il la trouva. Personnellement, Colomb ne paraît avoir contribué que pour un huitième aux frais de son entreprise. Ses adversaires, nous dit son fils, ayant objecté qu'il ne risquait rien dans l'expédition qu'il proposait, si ce n'est d'en être le capitaine pendant tout le temps qu'elle durerait, il aurait répondu qu'il était prêt à prendre à sa charge un huitième de la dépense totale, à la condition que dans ce cas, il participerait aux bénéfices dans la mème proportion (213). Cette proposition ayant été agréée, elle fut stipulée dans les capitulations du 17 avril 1492, dont elle forme la cinquième et dernière clause.

Il n'y a pas de doute que Colomb se prévalut de ce droit, car à plusieurs reprises il a réclamé ce huitième comme lui appartenant (214). Colomb ne dit pas à combien cela s'élevait; mais, comme il dit que la somme totale nécessaire était de deux millions et que Las Casas confirme cette assertion, on doit conclure de là que sa part contributive devait être de 250.000 maravédis. Las Casas affirme cependant qu'elle fut de 500.000 maravédis, et son affirmation est si positive qu'on doit la tenir pour bien fondée (215).

Mais qu'il s'agisse d'un demi ou d'un quart de million, Colomb n'était pas en état de le donner de sa poche à cette époque, qui est précisément celle où il souffrit le plus de la gène. Las Casas dit lui-même qu'il revint à la cour endetté (216), ce que confirment les dépositions des gens de Palos, qui nous le représentent comme étant alors

(213) F. COLOM3, Historie, ch. XIII, fol. 36 recto.

(214) Notamment dans son testament, dans le mémoire de ses griefs cité ci-dessus, et dans une lettre à son fils en date du 1 décembre 1504. Nous possédons, d'ailleurs, une cédule des Rois Catholiques, en date du 2 juin 1497, où ils reconnaissent que Colomb a droit à ce huitième. (Cartulaire de Paris, n° 4. NAVARRETE, Vol. II, no CXIV, p. 202.)

(215) « Il est avéré qu'il contribua aux frais pour un demi-million. » (Las CASAS, Liv. I, ch. XXXIV, Vol. I, p. 256.)

(216) Loc cit.

sans ressources. Colomb emprunta donc la somme qu'il mit dans son entreprise, et on est fondé à dire que c'est l'aîné des Pinzon qui la lui prêta. Du temps de Las Casas on disait que la somme venait de lui, et on disait même qu'il en avait avancé une plus considérable, car le bon évêque, tout en reconnaissant qu'il est vraisemblable que c'est Martin Alonso Pinzon, ou ses frères, qui prêtèrent à Colomb un demi-million, ajoute : « Mais il ne lui prêta que cela (217). »

Si l'on en croyait Baldassare Colombo, cet Italien des Colombo de Cuccaro qui vint en Espagne au xvII° siècle pour réclamer l'héritage du Découvreur, on savait, dans la famille de Béatriz Enriquez, que Pinzon avait avancé à Colomb le montant de son huitième et on prétendait même que cette dame s'était généreusement appauvrie pour mettre Colomb en mesure de s'acquitter de cette dette. Baldassare aurait appris ces faits des Arana de Cordoue et les aurait fait connaître à Cuccaro, où on en avait conservé la tradition jusqu'à l'époque où l'un des descendants de ces Colombo les aurait révélés à Roselly de Lorgues (218).

(217) Loc. cit.

(218) Cet auteur a rapporté ces faits dans son Satan contre Christophe Colomb, pp. 159-161; dans son Histoire posthume de Colomb, pp. 224-225, et dans ses Calomniateurs, pp. 33-37, où il dit qu'il en possède le récit entièrement écrit pour lui de la main du dernier membre de cette antique race: Mgr Luigi Colombo. Après que le vénérable Postulateur eût fait connaître cette singulière histoire, le capitaine Duro fit faire faire une enquête à Cordoue pour s'assurer si, dans les archives particulières ou publiques de cette ville ou chez quelque membre de la famille à laquelle Béatriz avait appar tenu, il n'y aurait pas quelque trace de cette affaire; mais ses recherches n'ont eu aucun résultat. (Historia Postuma, note 165.)

Asensio avait aussi supposé que Béatriz Enriquez, ou l'un des Arana, ses parents de Cordoue, avait fait la somme nécessaire pour Colomb; mais il a reconnu lui-même que cette supposition n'était pas fondée et s'est alors demandé si les protecteurs du Génois à la cour, ou même les moines de la Rabida ne lui avaient pas fait obtenir la somme; le plus vraisemblable, con

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