Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Le récit qui précède et qui prend sa source, comme nous l'avons dit, dans la déposition de Garcia Fernandez, est celui que l'on trouve à peu près partout. Mais d'autres dépositions, les unes faites dans l'enquête même qui donna lieu au témoignage de ce médecin, les autres prises dans des enquêtes subséquentes, montrent que cette version des faits qui suivirent l'arrivée de Colomb à la Rabida en 1491 doit être rectifiée et complétée sur plusieurs points. Fernandez n'a pas tout connu ou n'a pas tout dit. On va le faire voir.

En premier lieu, le P. Perez ne fut pas le seul moine de ce couvent qui s'intéressa à Colomb; un témoignage qui a échappé à Muñoz et à Navarrete, auxquels nous devons les premières indications sur cette classe de documents, celui de Velez Allid (17), montre qu'il y avait là aussi un autre religieux qui était astronome. Ce religieux ne peut être que le P. Antonio de Marchena (18), dont Colomb a parlé avec reconnaissance, et qui paraît avoir été mêlé assez étroitement aux événements dont la Rabida fut alors le théâtre.

Cependant, Garcia Fernandez, Fernand Colomb et Las Casas ne connaissent, à ce monastère, que le frère Juan Perez, prieur du couvent et ancien confesseur de la reine.

(17) Antonio Velez Allid était alcade major de Palos. Duro a publié ses dépositions, qui furent données en 1532 et en 1535, dans Colen y Pinzon : Informe relativo..., Madrid, 1885, pp. 200 et sq. Nous nous y sommes arrêté à l'Étude précédente, chap. Ior.

(18) Velez ne nomme pas Marchena en toutes lettres, mais il dit que Colomb entretint de ses projets deux religieux de la Rabida, dont l'un était astronome et dont l'autre, qui s'appelait Juan, fit auprès de la reine une démarche dont le résultat fut de rappeler Colomb à la cour, ce qui suffit pour montrer qu'il parlait de Marchena et de Juan Perez. Voyez sur Marchena la [II• de ses Nouvelles Etudes, chap. 1er, § 3.

Selon eux, c'est lui qui s'éprend du projet de Colomb, c'est lui qui le retient quand déjà il était sur la route de France, c'est lui qui écrit à la reine en sa faveur, c'est lui qui quitte sa retraite pour aller plaider sa cause auprès de la souveraine et c'est lui, enfin, qui le fait rappeler à la cour. De Marchena pas un mot. Parmi les autres témoins qui déposèrent comme Fernandez au cours des procès dits de Colomb, Cabezudo (19) ne connaît aussi que le frère Juan Perez et lui attribue le premier rôle dans cette affaire. Malgré ces témoignages, il y a de bonnes raisons de croire que c'est plutôt à Marchena qu'à Perez que Colomb est redevable de son retour à la cour. Velez se borne à dire, il est vrai, que le frère astronome conféra avec Colomb au sujet de son projet ; mais comme il dit aussi que c'est ce frère, et non Perez, qui était le cosmographe de la Rabida (20), et comme Colomb garde le silence à l'égard de Perez et qu'il exprime hautement sa gratitude pour Marchena qu'il n'a pu connaître qu'à la Rabida, on est fondé à se demander si ce n'est pas parce qu'on a confondu ces deux moines, en attribuant à Perez la qualité de cosmographe qui appartenait à Marchena, que ce dernier a été laissé au second plan.

Tel est certainement le cas pour Oviedo, qui dit que ‹ Perez est la seule personne de ce monde à laquelle Colomb parla autant de ses secrets »,et qui ajoute que d'après

(19) Déposition de Cabezudo, Pleitos de Colon, Vol. I, p. 116.

(20) Voici le passage : « Il vit que l'amiral resta longtemps à Palos, parlant de la découverte des Indes; qu'il logea au monastère de la Rabida; qu'il communiqua l'affaire de la découverte à un frère astronome qui se trouvait au couvent comme gardien, ainsi qu'à un frère Juan qui, étant jeune homme, avait servi la reine. Vido que el Almirante estuvo en Palos mucho tiempo publicando el descubrimiento de las Indias e posó en el monasterio de la Pabida e communicaba la negociacion del descubrir con fraile estróLago que ende estaba en el convento por guardian e asi mesmo con un fray Juan que habia servido siendo mozo à la reina. (Duro, Colon y Pinzon.Informe, etc., p. 231-232.)

les rapports courants « Colomb obtint de ce religieux beaucoup d'aide et de coopération parce qu'il était un grand cosmographe» (21). Il est évident qu'Oviedo confond ici le prieur du couvent avec l'astronome. La même observation s'applique à Gomara qui parle des grandes connaissances cosmographiques de Perez de Marchena.

En résumé, du moment qu'il est établi que Perez et Marchena se trouvaient ensemble à la Rabida, agissant tous les deux dans l'intérêt de Colomb, et que celui-ci, de même que les Rois Catholiques, ne parle dans ses lettres que de l'un d'eux seulement, celui qui était cosmographe, il va de soi que c'est celui-là qui eut la part principale dans cette action commune, car il serait trop singulier que Colomb ait réservé l'expression de sa reconnaissance pour celui de ces deux moines qui fit le moins et ait gardé le silence à l'égard de celui qui avait fait le plus. Pour toutes ces raisons nous croyons, que bien que Perez ait joué un rôle important dans cette phase critique de la vie de Colomb, il semble que c'est à Marchena qu'il convient d'attribuer l'initiative des démarches qui eurent pour résultat de renouer les rapports du futur amiral avec les Rois Catholiques.

Quoi qu'il en soit de cette manière de voir, à laquelle cependant, la suite des faits va donner une plus grande vraisemblance, il est certain que toutes les particularités qui viennent d'être relevées et dont Fernandez n'a pas parlé, montrent que si, comme le dit Las Casas, ce témoin était mal renseigné sur ce qui se passa à la cour, à cette époque, il ne l'était pas mieux sur les événements qui eurent lieu à Palos et à la Rabida presque sous ses yeux. Les paragraphes suivants feront encore mieux voir cela.

(21) Y este frayle fué la persona sola de aquesta vida, á quien Colom mas comunicó de sus secretos; é aun del qual é de su sçiençia se diçe hasta hoy que el resçibió mucha ayuda é buena obra, porque este religioso era grande cosmographo. (OVIEDO, Historia general, Liv. II, chap. V, Vol. I, p. 21, col. 1.)

[blocks in formation]

Nouvelles indications recueillies par Colomb à la Rabida et à Palos. Pero Vasquez de la Frontera.

Colomb était arrivé dénué de tout à la Rabida où les moines le recueillirent, le logèrent et subvinrent à tous ses besoins (22). Il demeura quelque temps à ce monastère et sut mettre à profit le séjour qu'il y fit pour entrer en relations avec les gens de Palos, de Moguer et de Huelva, localités voisines du couvent, qui étaient alors fréquentées principalement par des marins et des navigateurs.

Ce n'est pas, en effet, avec les seuls moines du couvent, et avec le seul médecin de Palos, que Colomb eut des entretiens sur l'objet qui le préoccupait : il en eut aussi avec d'autres. Dans le livre de notes où il avait recueilli les diverses indications obtenues par lui sur l'existence de terres à l'occident, livre dont Fernand Colomb et Las Casas nous ont conservé des extraits textuels (23), Colomb luimême rapporte qu'un pilote qui s'appelait Pedro de Ve

(22) Voir les dépositions suivantes. PEDRO ARIAS, 1er nov. 1533 L'amiral était très pauvre, les frères du monastère de la Rabida le nourrissaient : El Almirante estaba muy pobre y los frailes del monasterio de la Rabida lo sustentaban. (Duro, Colon y Pinzon, p. 231.)Rodrigo Prieto, même date : L'amiral demeurait au monastère de la Rabida: Estuvo en el monasterio de la Rabida. (DURO, p. 231.) Il était nécessiteux, pauvre et n'avait pas de moyens, les frères pourvoyaient à ses besoins: estaba nescesitado y probe e no tenia posibilidad, e los frailes lo proveian en el monasterio de la Rabida. (DURO, p. 233.) ALONSO VELEZ ALLID et PEDRO ALONSO AMBROSIO, disent la même chose. (DURO, pp. 231 et 234.)

Geraldini a aussi connu la détresse de Colomb à cette époque et son séjour à la Rabida. Abandonné de tout le monde, il «dut s'adresser humble et sup< pliant à un monastère de l'ordre de Saint-François, situé dans la Bétique, < dans la campagne de la ville de Marcena, pour qu'on lui donnât des ali <ments nécessaires au soutien de sa vic. » (Itinerarium, pp. 203.)

(23) Le chapitre XIII du premier livre de Las Casas est entièrement composé de ces extraits des Libros de memorias de Colomb. Voyez pages 97 et 101 du Ier volume de son Histoire des Indes. Fernand Colomb a aussi fait usage du même livre; il en a tiré son chapitre IX. Voyez sur ces Libros de memorias de Colomb, les sources de la première de ces Nouvelles Études.

lasco (24) et qui résidait à Palos lui raconta, au couvent de Sainte-Marie de la Rabida, qu'avec un nommé Diego Detienne (25), il avait navigué 150 lieues au sud-ouest de l'ile de Fayal, et que, ne trouvant aucune terre de ce côté, ils étaient revenus en arrière, et qu'après avoir découvert l'ile de Flores ils s'étaient dirigés vers le nord-est, où ils avaient fait des observations qui leur donnèrent à penser qu'il existait quelque terre à l'occident.

Un autre pilote, qui est désigné comme étant du port de Sainte-Marie, près de Cadix et non éloigné de Palos, parla aussi à Colomb d'une navigation qu'il avait faite à l'ouest de l'Irlande et dans laquelle il put apercevoir les côtes de Tartarie (26).

Ces indications et d'autres qu'il mentionne sans en faire connaitre la provenance, ne sont ni les seules ni les plus importantes que Colomb recueillit à la Rabida ou dans les localités voisines, et celles dont il n'a jamais rien dit pourraient bien être celles qui lui furent le plus utiles. Les dépositions prises au cours des instances que nous avons mentionnées, vont nous renseigner à cet égard.

Nous voyons par ces précieux documents qu'il y avait alors à Palos un pilote nommé Pero ou Pedro Vasquez de la Frontera (27), qui passait pour être instruit dans les

(24) F. COLOMB, fol. 22, recto. LAS CASAS, Vol. I, pp. 100-101.

(25) Le voyage de celui que F. Colomb et Las Casas appellent ainsi, mais dont le véritable nom était Diego de Teive, est parfaitement authentique ; il est mentionné par plusieurs auteurs et nous avons un acte officiel du roi Affonso V, de Portugal, en date du 28 janvier 1475, où Diego de Teive et son fils João sont désignés comme ayant découvert l'ile de Flores. (Alguns documentos, pp. 38-40.) Voyez ci-dessus Étude Ire, Ire partie, ch. III, §§ 3 et 4. (26) F. COLOMB, ch. IX, fol. 22 verso; LAS CASAS, Liv. I, ch. XIII, Vol. I, p. 100. L'un et l'autre parlent d'après Colomb même.

(27) Le témoin Velez Allid lui donne le prénom de Pedro; un autre, Valiente, l'appelle Pero ; Gallego le désigne simplement comme un habitant de la Frontera. (DURO, p. 253.) En tous cas, c'est à Palos qu'il demeurait et c'est là que Colomb et Pinzon le consultèrent. Il se pourrait que ce fût le même que ce Pedro Velasco mentionné ci-dessus auquel Colomb reconnaît

« AnteriorContinuar »