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fut l'âme de l'entreprise et qui, en fait, découvrit la première terre importante (50).

Ces prétentions extraordinaires, que les tribunaux castillans n'ont pas trouvées justifiées (51), ont été rejetées aussi par la critique entière. Prises à la lettre, elles sont insoutenables. Que Colomb ait dû à l'aîné des Pinzon des services considérables qu'il n'a jamais reconnus, cela ne saurait plus faire l'objet d'aucun doute; mais il ne semble pas que ces services avaient la portée qu'on leur a donnée. Colomb devait beaucoup à Martin Alonso Pinzon, il ne lui devait pas tout.

Lorsqu'il arriva à la Rabida en 1491, après avoir échoué auprès des Rois Catholiques, il ne connaissait pas ce marin qui se trouvait à ce moment, comme on l'a vu, à Rome. A cette époque, le projet de Colomb était formé depuis longtemps, puisqu'il l'avait déjà proposé au roi de Portugal et qu'il y avait plusieurs années qu'il cherchait

(50) C'est de la l'inta, que commandait Martin Alonso, qu'on vit d'abord la terre; mais Colomb déclara qu'il avait aperçu auparavant une lumière dans la même direction, et on s'en rapporta à lui. Pinzon, au rapport de Medel, prétendait que non sculement la terre avait été vue de son bord avant qu'elle ne le fût du navire de Colomb, mais encore qu'il l'avait reconnue et délimitée avant celui-ci. Pinzon, dont le témoignage doit avoir été rapporté inexactement par Medel, a dù vouloir dire qu'il avait découvert et reconnu l'ile nommée Española par Colomb avant que celui-ci n'y arrivât, ce qui est exact. (Déposition de Francisco Medel dans DURO, Colon y Pinzon, pp. 258-259. Journal de bord, 6 janv. 1493.)

(51) Par la renonciation de Juan Martin Pinzon, sa famille se trouvait désintéressée dans les procès intentés par les héritiers de Colomb à la couronne et celle-ci fut ainsi substituée aux Pinzon. Mais, bien que les divers arrêts rendus dans ces procès n'aient pas reconnu comme fondées toutes ces prétentions des Colomb, aucun de ces arrêts n'a admis celles des Pinzon. En entrant dans la famille d'Albe, les Colomb étaient devenus influents, et comme Martin Alonso Pinzon était mort et que ses héritiers ne réclamaient rien, on ne tint aucun compte de leurs prétentions. On fit même comprendre à Villalobos, qui voulait instituer une nouvelle enquête pour montrer que les droits des Pinzon devenus ceux de la couronne étaient réels, qu'il devait s'abstenir et c'est ce qu'il fit. (Voyez la préface de Duro aux Pleitos de Colon.)

à le faire accepter en Espagne. Pinzon lui-même n'avait point alors les renseignements qu'il communiqua à Colomb et qu'il considérait comme ayant assuré sa découverte. Il est donc difficile de croire que Colomb, qui avait une si grande idée de l'importance de la découverte qu'il proposait, que des conditions quasi-royales pouvaient seules le satisfaire, ait pris vis-à-vis de Pinzon un engagement aussi extraordinaire que celui de tout partager avec lui. La nature même des conditions qu'il posait ne permettait pas d'ailleurs ce partage. Il semble aussi que, si un engagement de ce genre avait existé, il aurait été constaté par quelque document écrit. Un homme intelligent comme Martin Alonso, un armateur, c'est-à-dire un homme d'affaires, n'aurait pas procédé autrement. Or, les Pinzon n'ont jamais produit aucun écrit de ce genre et n'ont même jamais prétendu qu'il avait existé (52). Cette circonstance seule suffit pour donner la certitude que Colomb a dù se borner à des protestations de reconnaissance et à des promesses plus ou moins explicites, qu'il n'a probablement pas tenues (53).

(52) Las Casas, qui nie formellement que Colomb se soit engagé à partager avec Pinzon les bénéfices de son entreprise, et qui s'élève vivement contre les questions du fisc dont l'objet, selon lui. était d'arracher aux témoins des dépositions contraires à la vérité, fait au sujet du contrat par lequel Colomb se serait lié à Pinzon la remarque suivante: « Vicente Yanez, qui vécut < longtemps après son frère et que j'ai connu personnellement, aurait formulé quelque plainte à ce sujet, ou en aurait dit quelques mots. Il ne m'aurait pas caché cela, à moi, qui suis de ce temps-là, et pourtant il n'en a jamais été question; jamais il n'a été rien dit de pareil avant l'ouverture de ◄ce procès. » (LAS CASAS, Liv. I, ch. XXXVI, p. 257.) L'historien des Indes reconnait cependant que Colomb « dut promettre quelque chose [à Martin « Alonso], parce que les hommes ne se font mouvoir que par l'utilité et « l'intérêt, mais il ne dut pas lui faire les grandes promesses que certains < prétendent qu'il fit. » (Op. cit.. p. 256.) Du reste, Las Casas, comme nous l'avons déjà fait remarquer, semble n'avoir connu que les premières enquêtes. (53) Le capitaine Duro, qui a donné de bonnes raisons pour croire que Colomb avait fait avec Pinzon un contrat, dont nous ne connaissons pas la teneur, mais qui assurait probablement à ce dernier l'une ou l'autre des

Les services que Martin Alonso Pinzon rendit à Colomb dans cette dernière phase de l'élaboration du projet que ce dernier avait formé depuis plusieurs années déjà, ne sont pas moins considérables et, bien qu'il soit difficile de les préciser, on peut avancer que sans sa collaboration, ce projet n'aurait pu reparaître devant les Rois Catholiques avec quelque chance de succès. Si l'on en croyait des témoins qui parlent d'après Pinzon lui-même, celui-ci disait que Colomb lui devait ce qu'il était (54). Il y a là certainement une grande exagération. Mais l'efficacité du concours de Pinzon dans la mise à point du projet de Colomb n'est pas moins réelle, et on doit tenir pour certain que le fait seul qu'un homme comme lui approuvait et encourageait son entreprise et annonçait qu'il devait y participer, fut pour beaucoup dans les résultats obtenus

grandes charges dont il était investi par les capitulations, dit que l'absence « des actes rend très difficile l'établissement de la vérité sur ce point, mais, << comme la saine raison et la critique ajoute-t-il s'accordent à écarter << la probabilité que Pinzon ait consenti à sacrifier tout ce qu'il possédait < pour le caprice assez singulier de servir sans objet ou avantage les inté« rêts d'un étranger, on doit présumer, ou bien que les actes furent égarés << à la suite des circonstances de la mort de Martin Alonso, en l'absence de « ses fils, ou qu'en homme d'honneur qui était incapable de manquer à sa << parole, il eut foi dans celle de gentilhomme du général de Leurs Altes« ses... ou peut-être encore aura-t-il remis à plus tard la rédaction du con‹ trat. » (DURO, Pinzon en el descubrimiento de las Indias, p. 56.)

(54) Francisco Medel qui donna son témoignage dans l'enquête ouverte à Séville le 22 décembre 1535, dit que quand les caravelles revinrent de la découverte, Pinzon, qui était malade, se fit conduire à la Rabida, où il lui raconta une altercation qu'il avait eue avec Colomb quand celui-ci parlait de retourner à Palos. Dans cette circonstance, Colomb se serait emporté au point de menacer Pinzon de le faire pendre, menace à laquelle celui-ci aurait répondu : « Je mérite que vous me traitiez ainsi pour vous avoir mis << dans la position où vous êtes » eso merezco yo por haberos puesto en la honra en que os he puesto, para que me digáis eso. (DURO, Colony Pinzon, p. 259.) Voyez sur ce point la déposition entière de Medel. La conversation qu'il rapporte aurait eu lieu très peu de temps, quelques jours seulement peut-être, avant la mort de Pinzon.

par Perez, quand il se rendit auprès de la reine pour plaider la cause du Génois.

Le concours effectif que Pinzon donna à Colomb, avant la mise à la voile de l'expédition, n'est pas le seul service signalé qu'il lui rendit. Nous verrons en effet, à un autre chapitre, qu'on peut dire que sans l'énergique et intelligente intervention de ce marin, au cours du fameux voyage, Colomb aurait été probablement obligé de rentrer à Palos sans avoir atteint son but.

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Jusqu'à présent, il ne s'agit toujours que d'iles
ou terres nouvelles à découvrir.

On a vu que, lorsque Colomb quitta la cour de Castille, il avait renoncé à tout espoir de faire agréer son projet aux Rois Catholiques, et qu'à son arrivée à la Rabida, où il venait chercher son fils, il n'avait d'autre dessein que celui d'aller porter ses propositions à la France. On a vu aussi que, d'après le témoignage du médecin Garcia Fernandez, il aurait suffi à Colomb de s'ouvrir au frère Juan Perez pour gagner les sympathies de ce religieux, et pour le déterminer à faire une démarche insolite auprès de la reine, dont le succès ne s'explique pas.

Mais les faits relevés aux paragraphes précédents ont montré aussi que, contrairement à ce que rappelle Fernandez, Colomb, pendant le nouveau séjour qu'il fit à la Rabida, s'entretint de son projet avec bien d'autres personnes qu'avec ce médecin et avec les religieux du couvent; qu'il chercha à recueillir d'autres renseignements sur l'entreprise qu'il méditait et qu'il se mit, dans ce but, en rapports avec plusieurs pilotes de la région, notamment avec Martin Alonso Pinzon, dont il chercha et obtint le concours. Sur ce point essentiel la déposition de Fernandez est donc inexacte. Ce témoin a ignoré ou négligé des faits importants qui peuvent expliquer, d'une manière plausible,

comment les Rois Catholiques furent amenés à renouer leurs relations avec Colomb. On ne comprend guère, en effet, que le P. Perez ait réussi aussi complètement et aussi promptement dans ses démarches à la cour, s'il n'avait à faire valoir auprès de la reine que des considérations d'ordre général suggérées par les confidences de Colomb et par la crainte de le voir passer à l'étranger. Il en serait tout autrement, si ce religieux avait été mis en position de dire à la reine des choses qu'elle ignorait et qui étaient de nature à l'impressionner, et c'est précisément ce que les dépositions prises dans les procès dits de Colomb donnent lieu de croire qu'il fit.

Par Velasco, par Vasquez et par d'autres, par Pinzon surtout, Colomb avait obtenu des indications qui complé taient ou confirmaient celles qu'il avait déjà, et qui ne pouvaient que donner plus de consistance à son projet. En s'attachant Pinzon, il s'assurait, en outre, l'appui moral et matériel de l'homme le plus capable de faire réussir une entreprise comme la sienne, entreprise qui prenait par là même une importance qu'elle n'avait pas auparavant.

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On est donc fondé à dire que, pendant le séjour qu'il fit à la Rabida et à Palos en 1491, Colomb recueillit sur son projet original, — celui qu'il avait vainement pressé le roi João et les Rois Catholiques d'accepter, des indications nouvelles qui lui donnaient plus de valeur et qui le rendaient ainsi plus acceptable. Ou il faut rejeter en bloc tout ce que tant de témoins rapportent de l'activité de Colomb à cette époque, de ses conférences avec Pinzon et avec d'autres, ainsi que tout ce que lui-même dit des renseignements qu'il recueillit alors, ou il faut reconnaître qu'il trouva dans ces renseignements des éléments importants de rectification ou de confirmation, et que c'est là seulement que son projet prit sa forme définitive, celle qui le fit agréer en dernier lieu par les Rois Catholiques.

Si nous cherchons maintenant ce qu'était alors ce pro

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