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Maintenant il faut entendre Marot dans la familiarité badine du style épistolaire et de ses correspondances amoureuses; car ses ouvrages sont pleins de ses amours qui ont troublé sa vie et embelli ses vers, comme il arrive presque toujours. On sait quel éclat firent à la cour de François I.er les intrigues du poëte avec Diane de Poitiers, qui, depuis fut à peu près reine de France sous le règne de Henri II; et avec Marguerite de Valois, d'abord duchesse d'Alençon et ensuite reine de Navarre. Ces noms-là font honneur à la poésie et au poëte qui élevait si haut ses hommages. Diane, la beauté la plus fameuse de son temps, écouta les vœux de Marot avant de se rendre à ceux d'un roi. Il paraît qu'ils ne furent pas mal ensemble, puisqu'ils finirent par se brouiller. Marot eut le malheur de déshonorer son talent jusqu'à l'employer contre celle même à qui d'abord il avait consacré ses chants. Cela fait tant de peine, que, pour l'excuser un peu, l'on voudrait croire qu'il l'aimait encore tout en lui disant des injures, et l'on pardonne bien des choses à l'amour en colère. Diane pourtant ne lui pardonna pas : elle se servit de son crédit auprès de Henri, alors dauphin, pour faire emprisonner Marot, qu'on accusait de favoriser les nouvelles opinions des réformés. Il subit un procès criminel en l'absence de François I.er, qui l'aimait et le protégeait, et qui alors était prisonnier en Espagne. Marot fut mis en liberté par un ordre exprès du roi, qu'il avait sollicité en langage poétique, en lui envoyant une pièce fort plaisante, intitulée l'Enfer, composée dans sa prison; car sa verve et sa gaité ne l'abandonnèrent jamais. Cet Enfer, c'est le Châtelet, et les juges en sont les démons. Marguerite de Valois, dont il était valet-de-chambre, le servit beaucoup en cette occasion auprès du roi son frère. La reconnaissance dans un cœur tendre devient bientôt de l'amour, et celui de Marot pour Marguerite éclata d'autant plus, qu'il fut très-bien accueilli. Nous avons encore des vers de cette princesse adressés à Marot, qui dut en être content. Une lettre qu'elle lui écrivit, et que nous ne connaissons que par la réponse, dut lui faire encore plus de plaisir, puisqu'on y joi gnait l'ordre de la brûler : c'est là-dessus qu'il lui écrit.

Bienheureuse est la main qui la ploya,
Et qui vers moi de grâce l'envoya;
Bienheureux est qui envoyer la sut,
Et plus heureux celui qui la reçut.

Il peint avec une vérité touchante le regret qu'il eut, et l'effort qu'il se fit en jetant cette lettre au feu :

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Puisqu'il le faut tu seras embrasée,

Car j'aime mieux deuil en obéissant
Que tout plaisir en désobéissant.

où il

La Fontaine, qui lisait beaucoup Marot, paraît avoir imité la peinture qu'on vient de voir, dans cet endroit d'une de ses meilleures fables, dit des souris :

Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête,・

Puis rentrent dans leurs nids à rats,

Puis ressortent, font quatre pas,

Puis enfin se mettent en quête.

Mais le chef-dœuvre de Marot dans le genre de l'épître,, c'est celle où il raconte à François I.cr comment il a été volé par son valet. Qtez ce qui a

vieilli dans les termes et les constructions, c'est d'ailleurs un modèle de narration, de finesse et de bonne plaisanterie.

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On dit bien vrai la mauvaise fortune
Ne vient jamais qu'elle n'en amène une
Ou deux ou trois avec elle : vous, Sire,
Votre cœur noble en saurait bien que dire;
Et moi chétif, qui ne suis roi ni rien;
L'ai éprouvé, et je vous conterai bien,
Si vous voulez, comment vint la besogne,
J'avais un jour uu valet de Gascogne,
Gourmand, ivrogne et assuré menteur,

Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,

Sentant la hart de cent pas à la ronde,

Au demeurant, le meilleur fils du monde.

Ce vers si plaisant, après l'énumération des belles qualités de ce va,

let, est devenu proverbe, et se répète encore tous les jours dans le mê、

me sens.

Ce vénérable ilot fut averti

De quelque argent que m'aviez départi,
Et que ma bourse avait grosse apostume.
Il se leva plus tôt que de coutume,
Et me va prendre en tapinois icelle,
Puis vous la met très-bien sous son aisselle ;
Argent et tout, cela se doit entendre,
Et ne crois pas que ce fut pour la rendre;
Car onc depuis n'en ai ouï parler.

Bref, le vilain ne s'en voulut aller

1

Pour si petit, mais encore il me happe

Saye et bonnets, chausses, pourpoint et cape.

De mes habits en effet il pilla

Tous les plus beaux, et puis s'en habilla
Si justement, qu'à le voir ainsi être,

Vous l'eussiez pris en plein jour pour son maître,
Finalement de ma chambre il s'en va

Droit à l'étable, où deux chevaux trouva,
Laisse le pire, et sur le meilleur monte,
Pique et s'en va pour abréger mon conte,
Soyez certain qu'au sortir de ce lieu,
N'oublia rien, fors de me dire adieu.
Ainsi s'en va chatouilleux de la gorge,
Ledit valet monté comme un Saint-George,
Et vous laissa monsieur dormir son saoul,
Qui au réveil n'eût su finer d'un sou.
Ce monsieur-là, Sire, c'était moi-même,
Qui, sans mentir, fus au matin bien blême,
Quand je me vis sans honnête vêture,
Et fort fâché de perdre ma monture.
Mais pour l'argent que vous m'aviez donné,
Je ne fus point de le perdre étonné
Car votre argent, très-débonnaire Prince,
S'il faut le dire, est sujet à la pince.
Bientôt après cette fortune-là,
Une autre pire encore se mêla
De m'assaillir, et chaque jour m'assaut,
Me menaçant de me donner le saut,
Et de ce saut m'envoyer à l'envers
Rimer sous terre et y faire des vers.

:

l'ai vendu,

C'est une longue et lourde maladie
De trois bons mois, qui m'a tout étourdie
La pauvre tête, et ne veut terminer ;
Ains me contraint d'apprendre à cheminer,
Tant faible suis bref, à ce triste corps
Dont je vous parle il n'est demeuré fors
Le pauvre esprit qui lamente et soupire,
Et en pleurant tâche à vous faire rire.
Voilà comment depuis neuf mois en çà
Je suis traité or ce que me laissa
Mon larronneau, long-temps ce,
Et en sirops et juleps dépendu.
Ce néanmoins ce que je vous en mande,
N'est pour vous faire ou requête ou demande.
Je ne veux point tant de gens ressembler,
Qui n'ont soucí autre que d'assembler.
Tant qu'ils vivront, ils demanderont, eux;
Mais je commence à devenir honteux,
Et ne veux plus à vos dons m'arrêter.
Je ne dis pas, si voulez rien prêter,
Que ne le prenne: il n'est point de prêteur,
Quand il le veut, qui ne fasse un debteur.
Et savez-vous, Sire, comment je paie ?
Nul ne le sait, si premier ne l'essaie.
Vous me devrez, si je puis, du retour,
Et je vous veux faire encore un bon tour.
A celle fin qu'il n'y ait faute nulle,
Je vous ferai une belle cédule,

A vous payer, sans usure s'entend,
Quand on verra tout le monde content;
Ŏu si voulez à payer ce sera

Quand votre los et renom cessera.

Depuis Horace, on n'avait pas donné à la louange une tournure si

délicate.

Je sais assez que vous n'avez pas peur
Que je m'enfuie ou que je sois trompeur.
Mais il fait bon assurer ce qu'on prête.
Bref, votre paie, ainsi que je l'arrête,
Est aussi sûre, avenant mon trépas,
Comme avenant que je ne meure pas.
Avisez donc si vous avez désir
De me prêter: vous me ferez plaisir ;
Car depuis peu j'ai bâti à Clément,
Là où j'ai fait un grand déboursement,
Et à Marot qui est un peu plus loin
Tout tombera qui n'en aura le soin.
Voilà le point principal de ma lettre ;
Vous savez tout: il n'y faut plus rien mettre.
Rien mettre, las ! Certes et si ferai,
Et ce faisant mon style hausserai :
Disant ô roi! amoureux des neuf Muses,
Roi en qui sont leurs sciences infuses,
Roi, plus que Mars d'honneur environné,
Roi, le plus roi qui fut one couronné,
Dieu tout-puissant te doint, pour t'étrenner,
Les quatre coins du monde à gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine
Que pour autant que sur tous en est digne,

Onimagine sans peine que François I.er, qui se glorifiait du titre de père des lettres, voulut bien être le créancier d'un debteur qui empruntait de si bonne grâce. Marot cut plus d'une fois besoin de la libéralité et de la protection de son maître. Ses succès en poésie et en amour lui avaient fait des ennemis, et la liberté de ses opinions et de ses discours les irritait encore et leur donnait des armes contre lui. Rien n'est si facile que de trouver des torts à un homme qui a la tête vive et le cœur bon. Il fut plusieurs fois obligé de sortir de France et mourut enfin hors de sa patrie, après une vie aussi agitée que celle du Tasse, et à peu près par les mêmes causes, mais bien moins malheureuses, parce que le malheur ou le bonheur dépend principalement du caractère, et que celui de Marot était porté à la gaîté, comme celui du Tasse à la mélancolie.

Observons que, dans l'épître qu'on vient de voir, et dans plusieurs autres, l'oreille de l'auteur lui avait appris que l'enjambement, qui est par lui-même vicieux dans l'hexamètre, à moins qu'il n'ait une intention marquée et un effet particulier, non-seulement sied très-bien au vers à cinq pieds, mais même produit une beauté rhythmique en arrêtant le sens ou suspendant la phrase à l'hémistiche.

Bref, le vilain ne s'en voulut aller

Pour si petit....

Finalement, de ma chambre il s'en va
Droit à l'étable....

Voilà comment depuis neuf mois en çà

Je suis traité....

Cette coupe est très-gracieuse dans cette espèce de vers, pourvu qu'on ne la prodigue pas; car on ne saurait trop redire à ceux qui sont toujours prêts à abuser de tout, que l'excès des meilleures choses est un mal, et que l'emploi trop fréquent des mêmes beautés devient affectation et monotonie. Voyez le commencement de l'Epitre sur la calomnie, de Voltaire: Écoutez-moi respectable Émilie:

Vous êtes belle ainsi donc la moitié

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Ces vers sont parfaitement coupés; mais si tous les vers de la pièce l'étaient de même, cela serait insupportable.

Marot, en s'élevant fort au-dessus de ses contemporains, n'eut pourtant qu'une assez faible influence sur leur goût, et l'on ne voit pas que la poésie ait avancé beaucoup de son temps. Celui qui s'approcha le plus de lui, fut son ami Saint-Gelais : il a de la douceur et de la facilité dans sa versification, et l'on a conservé de lui quelques jolies épigrammes; mais il a bien moins d'esprit et de grâce que Marot. Celui-ci eut une destinée assez singulière : il eut une espèce d'école deux cents ans après sa mort. C'est vers le milieu de ce siècle, et lorsque la langue, dès long-temps fixée, était devenue si différente de la sienne, que vint la mode de ce qu'on appelle le marotisme. Rousseau, qui avait montré tant de goût et parlé un si beau langage dans ses poésies lyriques, s'avisa dans ses Epitres, et plus encore dans ses Allégories, de rétrograder jusqu'au seizième siècle, et ce dangereux exemple fut imité par une foule d'auteurs. Mais je remets à l'article de ce grand poëte à examiner les effets et l'abus de cette innovation, dont je ne parle ici que pour faire voir combien la tournure naïve de Marot avait paru séduisante, puisqu'on empruntait son langage, depuis long-temps vieilli, pour tâcher de lui ressembler. A présent, il faut poursuivre l'histoire des progrès de notre poésie.

des

:

Les premiers qui essayèrent de lui faire prendre un ton plus noble, et dy transporter quelques-unes des beautés qu'ils avaient aperçues chez les anciens, furent Dubellay, et surtout Ronsard. Ce dernier est aussi décrié aujourd'hui qu'il fut admiré de son temps, et il y a de bonnes raisons pour l'un et pour l'autre. Si le plus grand de tous les défauts est de ne pouvoir pas être lu, quel reproche peut-on nous faire d'avoir oublié les vers de Ronsard, tandis que les amateurs savent par cœur plusieurs morceaux de Marot, et même de Saint-Gelais, qui écrivaient tous deux trente ans avant lai? C'est qu'en effet il n'a pas quatre vers de suite qui puissent être retenus, grâce à l'étrangeté de sa diction (s'il est permis de se servir de ce mot nécessaire, et que l'exemple de plusieurs grands écrivains de nos jours devrait avoir déjà consacré ). Cependant Ronsard était né avec du talent; ila de la verve poétique; mais ceux qui, en lui refusant le jugement et le goût, vont jusqu'à lui trouver du génie, me semblent abuser beaucoup de ce mot, qui ne peut aujourd'hui signifier qu'une grande force de talent. Certainement elle ne peut pas consister à calquer servilement les formes du grec et du latin sur un idiome qui les repousse. Ce n'est pas non plus par les idées qu'il peut être grand; elles sont ordinairement chez lui communes ou ampoulées : ni par l'invention; rien n'est plus froid que son poëme de la Franciade. Ce qui séduisit ses contemporains, c'est que son style étale une pompe inconnue avant lui: quoique étrangère à la langue qu'il parlait, et plus faite pour la défigurer que pour l'enrichir, elle éblouit parce qu'elle était nouvelle, et de plus, parce qu'elle ressemblait au grec et au latin, dont l'érudition avait établi le règne, et qui étaient alors généralement ce qu'on admirait le plus.

Ajoutons, pour excuser Ronsard, et ceux qui l'admiraient et ceux qui le suivirent, que le genre noble est sans nulle comparaison le plus difficile de tous; et si ce principe avoué par tous les bons esprits avait besoin d'une nouvelle preuve, nous la trouverions dans ce qui est arrivé à la langue française. Avant d'être formée, elle compta de bonne heure des écrivains qui surent donner à sa simplicité inculte les grâces de la naïveté et de la gaité; mais quand il fallut s'élever au style soutenu, au style des grands sujets, tous les efforts furent malheureux jusqu'à Malherbe, et pourtant ne furent pas méprisables; car il y avait quelque gloire à tenter ce qui était si difficile, et à faire au moins quelques pas hasardés avant que la route pût être frayée. Alors la véritable force, le vrai génie aurait été de sentir quel caractère, quelles constructions, quels procédés pouvaient convenir à notre langue; à la débarrasser des inversions qui ne lui sont pas naturelles, vu le défaut de déclinaisons et de conjugaisons proprement dites, et l'attirail d'auxiliaires et d'articles qu'elle traîne avec elle; à purger la poésie des hiatus qui offensent l'oreille, à mélanger régulièrement les rimes féminines et masculines, dont l'effet est si sensible. Voilà ce que fit Malherbe, qui eut vraiment du génie, et qui créa sa langue, et ce que ne fit pas Ronsard, qui n'avait qu'un talent informe et brut, et qui gâta la sienne. Il faut étudier ses ouvrages pour y trouver le mérite que je lui ai reconnu malgré tous ses défauts, et pour y distinguer quelques beautés d'harmonie et d'expressions qui s'y rencontrent, au milieu de son enflure barbare. Le système de sa versification n'est pas difficile à saisir. On voit clairement qu'il veut mouler les vers français sur le grec et le latin; qu'il a senti l'effet des césures variées et des épithètes pittoresques : il les prodigue maladroitement : c'est en général une caricature lourde et grossière. Mais pourtant il y a quelques traits heureux, et dont on a pu profiter; car à cette époque, comme je l'ai déjà dit, celui qui se trompe souvent et qui rencontre quelquefois, ne laisse pas d'être utile. C'est une épreuve où l'art doit absolument passer, et ce n'est pas en ce genre que les sottises des pè

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